XASAÏD DE CHEIKH AHMADOU BAMBA, CHEFS-D'OEUVRE INTEMPORELS
Il n’était pas seulement une âme pieuse et dévouée. Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké était un érudit inspiré dont l’œuvre littéraire, la production intellectuelle de manière générale, est des plus admirables aussi bien par le sens que par le volume
Il n’était pas seulement une âme pieuse et dévouée. Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké était un érudit inspiré dont l’œuvre littéraire, la production intellectuelle de manière générale, est des plus admirables aussi bien par le sens que par le volume. Elle livre un message universel qui embrasse l’éternité.
Cheikh Ahmadou Bamba, en plus de la fondation d’une confrérie, le mouridisme, a légué à l’humanité une œuvre littéraire gigantesque et de tous les temps. Une croyance populaire au sein de la communauté mouride estime le poids de l’ensemble de sa production connue à plus de sept tonnes, allant de la prose à la poésie. Cette production est éternelle en ce sens qu’elle prend sa source dans l’orthodoxie et le mysticisme classique musulman. Cette production est aussi personnelle parce qu’exprimant le vécu et les sentiments d’un élu de Dieu qui a subi l’arbitraire ; sort qu’il a immortalisé par l’écriture. Ses écrits que constituent les « xasaïd » représentent la colonne vertébrale du mouridisme. Ils obéissent, selon Khalil Mbacké, petit-fils du défunt Khalife général des Mourides, Serigne Saliou Mbacké, à une logique spirituelle dont la base s’articule autour de la croyance à l’unicité de Dieu (tawhid), de la jurisprudence islamique (fiqh) et l’intercession (le tasawuf). C’est d’ailleurs ce que le chercheur et conférencier mouride Abdallah Fahmi Aïdara résume en disant que les enseignements de la voie mouride sont « iman, islam et ihsan ».
Profession de foi
Serigne Touba, lui-même, renseigne dans ses écrits que ce triptyque est la voie empruntée par le Prophète Mouhamed (Psl), ses compagnons et leurs disciples. C’est la raison pour laquelle « nul ne peut emprunter cette voie sans la bénédiction du prophète (Psl) et sa permission ». C’est ainsi que Khadim Rassoul révèle dans ses écrits que le Messager (Psl) lui a dit oralement ceci : « Éduque tes compagnons par la volonté spirituelle et non seulement par l’enseignement didactique. Éduque chacun par ce qui correspond à ses aptitudes et à ses états ». C’est ce qui justifie que dans le « Tawhid », Cheikh Ahmadou Bamba a produit des ouvrages qui sonnent comme une profession de foi. Il a rédigé des ouvrages conformément à l’enseignement de l’école malikite. Et Dans le « Tasawuf », Serigne Touba a produit des chefs-d’œuvre qui synthétisent la voie mouride, la confrérie qu’il a créée. Cette œuvre littéraire d’une valeur spirituelle inestimable que constituent les « xasaïd » peut-être chronologiquement située dans trois contextes et périodes de la vie de Cheikh Ahamadou Bamba.
Une œuvre dans le temps
La vie de Cheikh Ahmadou Bamba est rythmée de grands moments et d’épreuves qui ont beaucoup contribué à la consolidation de la confrérie mouride et qu’il trace dans la plupart des « xasaïd ». Cependant, il est difficile de situer dans le temps les dates exactes de production de tous les « xasaïd ». D’après Serigne Bassirou Mbacké, père de l’actuel Khalife général des Mourides, dans le livre « Minanul Bâqil Qadîm » (Les bienfaits de l’Éternel), et son illustre biographe Mouhamadou Lamine Diop Dagana, l’œuvre littéraire du Cheikh peut être située dans quatre périodes plus précisément avant le décès de son père Momar Anta Sali en 1883, après la disparition de ce dernier, entre 1883 et 1895, lors du deuxième exil en Mauritanie et enfin la période de 1907 à 1927, selon leurs centres d’intérêt.
Ce qui correspond aux trois périodes délimitées par le chercheur mouride Serigne Sham Niang et le conservateur de la bibliothèque Khadim Rassoul, Ousseynou Diattara. Pour ces deux derniers, les contextes de production des « xasaïd » sont avant, pendant et après la déportation au Gabon et en Mauritanie, jusqu’en 1927, date du « retour définitif » de Cheikh Ahamadou Bamba à Touba. Cependant, selon le chercheur Abdallah Fahmi, Khadim Rassoul, lui-même, dans ses écrits, semble diviser son œuvre littéraire en deux. « La période précédant mon départ, je n’ai écrit qu’envers mon Seigneur (Mauritanie et Thieyenne). Cela nous concerne Lui et moi. Les ouvrages de la seconde déportation, par contre, sont faits de prières et permettent d’exaucer des vœux à tous ceux qui s’y adonnent », rapporte Abdallah Fahmi.
Le Docteur ès lettres en arabe à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Maguèye Ndiaye, dans sa thèse de doctorat d’État intitulée « Cheikh Ahmadou Bamba : un soufi fondateur de Tariqa et un érudit poète », répartit l’œuvre de Serigne Touba en fonction des faits les plus marquants de sa vie tout en citant certains ouvrages pour chaque époque. La synthèse des travaux et récits de toutes les sources citées ci-dessus permet de stabiliser sur deux contextes de production et d’écriture : pendant et après la déportation et l’exil. Ce dernier contexte correspond en grande partie à la résidence surveillée à Diourbel.
Au début, « Al axdaryu » de son père
C’est cette longue période qui va de ses études dans le « daara » de son père à la déportation au Gabon en 1895. Selon le chef religieux, chercheur et écrivain, Serigne Cheikh Thioro Mbacké, c’est dans ce contexte d’apprentissage, de quête du savoir et d’affirmation que Cheikh Ahamadou Bamba a repris le livre « Al axdaryu » de son père, Serigne Momar Anta Sali Mbacké, un érudit et enseignant. « C’est dans le daara de ce dernier que ses condisciples l’ont sollicité pour qu’il réécrive, de façon plus accessible, des ouvrages dont la compréhension était difficile pour certains. Il s’agit, entre autres, de « ummal-Barahin » (La source des preuves), « Jawharu Nafis » (L’essence des précieuses) « Tazaoudou Sikhar » (l’attraction des enfants), « Mawahiboul Xoudous » (Don du Très Saint), qui sont une version allégée des livres anciens comme « Al axdaryu » », indique-t-il, sans oublier le célèbre poème « Massalik Al-Jinan » (Les itinéraires du paradis). C’est dans ce sillage qu’il a écrit un célèbre ouvrage qui explique comment l’aspirant accède à Dieu par l’adoration, « Wilaya ».
Mayombé ou les épreuves salvatrices
Selon un récit corroboré par toutes les sources orales comme écrites, c’est en 1888, lorsque Cheikh Ahmadou Bamba s’est installé dans la forêt de Mbafar qu’il a nommée Touba, que les répressions coloniales ont commencé. L’attrait qu’il exerçait a suscité de la jalousie chez certains chefs traditionnels. Ce sont eux qui ont d’abord attiré l’attention de l’administration coloniale qui, à son tour, a commencé à exercer une surveillance étroite. Il s’en est suivi des mesures administratives coercitives qui aboutissent à sa déportation au Gabon de 1895 à 1902 et en Mauritanie de 1902 à 1907.
Cheikh Ahamadou Bamba percevait ces contrariétés comme des décisions divines qu’il devait supporter avec dignité afin de sauver son peuple et d’atteindre la station suprême qui lui confère le titre de Khadim Rassoul. C’est dans ce contexte qu’il a écrit les poèmes comme « Khalo liyarkan » dans lequel il rappelle à ceux qui lui proposaient d’être conseiller d’un roi qu’il ne s’occupait que de la religion pour adorer Dieu.
Le jugement de Saint-Louis du 5 septembre 1895 entérine sa déportation au Gabon. Il y voyait un signe d’« épreuves salvatrices, un tremplin vers la véritable sainteté, un moyen de purification », selon feu Pr Amar Samb. Le guide religieux a raconté son exil de près de huit ans dans une brochure de 60 pages intitulée « Jazâ es-Sakûr » ou « La récompense du très Reconnaissant ». Il y dit ceci en prose : « Je suis parti le samedi 4 du mois de Safar en l’an 1313, de la demeure que j’avais construite dans le Djolof après avoir reçu une lettre de l’Émir de Ndar (Gouverneur de Saint-Louis) qui a eu avec moi des rapports voulus par le destin ».
Le fondateur du mouridisme a passé toute sa vie, d’après Amar Samb, à écrire surtout des poèmes et ceux-ci étaient souvent des acrostiches où les initiales de chaque vers, lues dans le sens vertical, composent un ou plusieurs versets du Coran, un nom du Prophète, l’alphabet arabe ou même le mot français « Merci ». En 1902, entre les deux exils, Serigne Touba a aussi produit, entre autres, « Muqaddîmâ al Amdâh fî Mazâyâ al-Miftâh » (Les prémisses des louanges ou les privilèges de la clé » en acrostiche d’un verset coranique. Lors de la deuxième déportation, il a écrit, selon Serigne Mamadou Lamine Diop Dagana, plusieurs « xasaïd » sans titres et rassemblés dans son recueil « Irwahu An Nadim ».
Un retour prolifique
À son retour de la Mauritanie en 1907, l’administration coloniale décide de le mettre en résidence surveillée à Diourbel. En se fondant sur les écrits de son fils Serigne Bassirou Mbacké et de Dr Maguèye Ndiaye, c’est durant cette période d’« accalmie » mais sous une étroite surveillance que Serigne Touba a produit, entre autres recueils, « Les versets du bienfait », « Le bonheur des disciples », « Les clés de la joie », « La voie de la satisfaction du besoin », « Les verrous de l’enfer », « Le trésor des bienfaits guidés »…
Les « xasaïd » sont entrés dans l’éternité par leur message universel. De l’avis de Serigne Sham Niang, les « xasaïd » permettent une acquisition de connaissances ésotériques et une meilleure compréhension de l’islam et des secrets du verbe divin. C’est également pour lui une exhortation au travail et un moyen de raffermissement de la foi du musulman. C’est pourquoi Serigne Mountakha Bassirou Mbacké leur accorde une très grande importance, d’où l’organisation d’une journée nationale dédiée aux « xasaïd ». Cela avait suscité un très grand engouement. Enthousiasme qui témoigne de l’intemporalité de cette œuvre.