«QUAND ON EST TALENTUEUX, ON EST LA CIBLE A ABATTRE»
CARLOU D, AUTEUR COMPOSITEUR

En mode décontracté, couché sur le dos, sur la moquette de son salon, les yeux rivés sur le petit écran, Carlou D, de son vrai nom Ibrahima Loucard, nous accueille chez lui, à la Cité Assemblée de Ouakam. Dans cet entretien accordé à Grand-Place, le bay fallde la musique sénégalaise se souvient de ses premiers pas dans la danse, de sa première femme, ses fans, ses relations. Carlou-D à coeur ouvert!
Grand-Place: Qui est Carlou-D?
Carlou D: Je m’appelle Ibrahima Loucard alias Carlou-D. Je suis artiste, auteur et compositeur. Je suis sénégalais et je suis né le 16 décembre 1979 à Dakar. Je suis Saloum-Saloum de père et ma mère était une petite fille de Lat Dior Ngoné Latyr Diop. J’ai arrêté les études en classe de 4e secondaire pour prendre mon destin en main, car j’avais l’obligation de gagner ma vie. Donc, il fallait que je quitte les bancs. J’ai vécu une enfance difficile au début, avec des moments de bonheur, parsemés d’embûches parfois. C’était une belle histoire aussi comme tout le monde. J’étais bien élevé comme tout enfant. Mon père était quelqu’un de très strict et je dirai que c’est franchement une chance. J’en parlais d’ailleurs avec lui, il n’y a pas longtemps. Cette histoire m’a ouvert beaucoup de portes et ça m’a toujours encouragé plutôt à me prendre déjà en charge et de ne jamais dépendre de quelqu’un, de me battre et d’essayer de m’en sortir seul. Je n’ai pas regretté.
Quelle a été votre vie avant la sortie de ton premier album?
Tout a été naturel chez moi. En fait, la danse fait partie de ma vie. Elle est juste l’expression du corps. J’ai commencé par la dance avec mes amis avec qui j’ai grandi. Cela s’est passé naturellement. J’ai vu mes aînés répéter chaque jour et ça m’a plus. Et j’ai intégré le groupe «Navajo NBA». Les membres m’ont accueilli à bras ouverts. Navajo était aussi une famille. J’ai beaucoup appris là-bas. Nous sommes toujours en contact. Il est vrai qu’on n’est plus ensemble en tant que danseurs, mais on est des frères maintenant. Nous avons chacun une famille et des responsabilités. C’est ce qui fait que nous ne pouvons plus nous voir comme quand nous étions célibataires avec zéro responsabilité.
Comment êtes-vous entré dans la musique?
C’est comme la danse. Il est arrivé à un moment où je voulais composer mon propre rythme et m’exprimer là-dessus. Il a fallu que j’apprenne un instrument. J’ai toujours adoré la guitare et depuis lors je n’arrête pas de gratter. J’ai sorti 5 albums dont 4 au Sénégal et 1 au niveau international. Le dernier est «Audiovisa». C’est sorti, il y a juste un an.
Pourquoi avez-vous quitté le Positive black soul (Pbs) Radikal ?
Non, je n’ai pas quitté le Pbs Radikal. On était arrivé à un moment que j’appelle le choc des ambitions. Chacun devait faire son chemin. J’ai intégré le groupe avec l’idée d’un travail de groupe. A un moment, Didier (Awadi) a voulu faire son chemin et je n’allais pas rester là-bas à attendre qu’il nous revienne. C’est pourquoi je suis parti pour faire le mien aussi.
Dans le groupe, on vous a toujours prêté une ressemblance avec Duggy-Tee…
Oui ! J’en ai souffert.
Comment avez-vous vécu cela ?
Naturellement. Mais, comme on dit, le chien aboie la caravane passe.
Etiez-vous recruté pour le remplacer ?
Ce n’était pas pour prendre la place de Duggy Tee. La ressemblance, ce n’était que physique, mais pas sur le plan musical. Je n’ai jamais chanté comme lui. On n’a pas le même timbre vocal, ni le même style de chant. Duggy, c’est Duggy et Carlou, c’est Carlou. Et jusqu’à présent, on m’appelle parfois Duggy-Tee et comme lui on l’appelle Carlou-D. Finalement, c’est devenu ironique. Des fois, quand on se croise, il me dit: «Carlou-J» et moi, je lui dis «Duggy-J».
Vous avez quitté le groupe Skablue et celui du Pbs Radikal. Estce que vous êtes digne de confiance?
On parle de confiance dans la musique ! J’aimerais bien comprendre cela !
Donc, il n’y a pas de confiance dans votre milieu ?
Quand on dit confiance, c’est entre des personnes. Dans la musique, il y a juste le talent. On fait, on ne peut pas, on se calme.
Mais qu’est-ce qui s’est réellement passé avec tes compagnons (Ass Malick et Seydimandoza) de Ska-blue ?
A Ska blue, on était parti pour faire une compilation. On n’avait pas l’argent pour produire l’album et on a décidé de former le groupe, tellement on chantait bien. A chaque fois qu’on chantait, on se complétait. C’est parti comme ça. On a fait pas mal de dates et un single que les gens aimaient beaucoup et qui s’intitulait Fire burn. Et j’ai été le premier à sortir du groupe, parce qu’on m’avait proposé d’intégrer le groupe Positive Black Soul (Pbs). Du coup, je n’ai pas hésité. Ass Malick est maintenant parti, de même que Seydiman. Nous sommes toujours en de bons termes.
N’est-il pas une trahison de votre part?
Ne m’ont-ils pas trahi, eux?
Vous êtes parti le premier, non?
Mais, ils ont suivi. Pourquoi Seydiman n’a pas attendu Ass Malick ou vice-versa? La musique est une histoire. Quand on est artiste, on a une mission et on la trace. On n’attend personne. C’est une histoire de talent. Aujourd’hui, regardez le public qui est derrière Carlou-D. Si j’avais décidé de rester dans Ska Blue ou Pbs.
Est-ce à dire que vous n’alliez pas avancer?
Vous avez vu. C’est une question de mission. Je suis en train de faire ma mission et l’histoire continue.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées durant votre carrière?
Tout début est difficile, comme on dit. On commence par le manque de moyens, d’expérience. Et comme je l’ai dit dans une de mes chansons, c’est un vrai problème d’être talentueux dans ce pays. Quand on est talentueux, on est la cible à abattre. Et ça ne commence pas avec Carlou- D et ça ne doit pas finir avec lui. C’est la logique, c’est la vie et c’est normal.
Vous dérangez?
Je ne dérange personne.
Vous faites allusion à cela, non?
Non ! Et ça, c’est l’histoire de Carlou, l’éternel incompris. Quand on parle, on ne le fait pas juste pour nous faire comprendre. Moi, il y a des choses que je n’arrive pas à comprendre et j’aimerais bien les partager avec les personnes avec qui je discute souvent. C’est peut-être mon destin ou ma nature. Je n’aime pas parler simple. Cela ne sert à rien de dire ce qui existe déjà. Je veux toujours laisser mes traces en proposant autre chose. Je veux que mon histoire soit autrement comprise. Et c’est souvent difficile à comprendre.
Votre genre musical ne risque-til pas de créer un conflit dans le mouvement Hip-hop?
C’est la fameuse question qui va me suivre durant toute ma carrière musicale. Comme je l’ai dit tantôt, je n’aime pas faire ce qui existe déjà. Si ce n’était que faire du rap comme depuis 2004, je serais là à faire mieux tout le temps. Aujourd’hui, j’ai grandi musicalement. Je ne fais plus le même poids, j’ai changé. Le rap n’était pas un style pour moi. Le rap est le fait de chanter sur un rythme accéléré. C’est comme le Mbalax ou le Salsa. Les choses évoluent. Il y a des artistes parmi les artistes. Mais, ce qui est difficile c’est que, quand on est dans un groupe et qu’on essaie de faire la différence, on est la cible à abattre. Nous, on propose, donc je n’arrête pas de proposer. Au moins, j’essaie de proposer. Je ne peux rester là à ne faire que ce qui était déjà là. Ce n’est pas bien. Quoi que l’on puisse dire, raper, c’est très facile, les choses évoluent et je me dois de proposer autre chose. Je ne peux pas faire ce qui a été déjà fait. En deux semaines, je peux sortir un album rap. No problem. Cela ne va pas me déranger. Le Musikr est une philosophie. On y est déjà. C’est faire de la musique. Je donne l’exemple de Youssou Ndour et de sa génération. Avant, c’était les Salséros avec les Rockstars des années 60. C’était la musique, l’al cool, les femmes et la drogue. Mais, eux, ils sont venus avec la musique sans l’alcool et la drogue. Il y a toujours des effets négatifs et on essaye d’améliorer. Carlou-d est venu avec la Musikr, jeune. Et il veut être responsable et spirituel. C’est ça l’idée de Musikr et rien d’autre.
Pensez-vous que vos fans, qui sont de confessions différentes, puissent s’y retrouver avec les chants religieux surtout les Khassaïdes?
Je ne chante pas que des Khassaïdes (Panégyriques de la confrérie mouride de Cheikh Ahmadou Bamba). Il n’y a même pas des Khassaïdes. Si cette spiritualité dérange, il y a un problème. On peut être journaliste ou footballeur et très spirituel. Moi, j’ai choisi d’être musicien et d’être très spirituel. C’est un choix et un droit en tant qu’humain et musulman. Le catholique a le droit d’en faire pareil. Le Bayefallisme pour moi, ça dépasse la spiritualité. On peut être chrétien et être Baye Fall. Le Bayefallisme est une façon de vivre. C’est la simplicité et le droit chemin. Un homme carré. Cela n’a rien à avoir avec la spiritualité comme le Mouridisme, le Tidianisme entre autres.
Comment voyez-vous le milieu de la musique actuellement?
Ce qui se passe dans la musique sénégalaise est pareil à ce qui se passe dans le football, la lutte. Il y a des coups bas comme partout au Sénégal malheureusement, je dirai même en Afrique. Il y a un vrai manque de professionnalisme. Le milieu musical est difficile.
Avez-vous, une fois, fait l’objet d’attaques d’un collègue artiste?
Moi, je ne prête pas beaucoup d’attention à ce que font les artistes. Jamais. Mon temps ne me le permet pas. Je me réveille chaque jour à 6 heures du matin pour amener mes enfants à l’école, revenir avant d’aller prendre mon épouse à sa pause et je vais au lit à 22 heures. Je n’ai pas le temps pour ça.
Avez-vous des amis dans la musique ?
Oui, mais je ne vais pas citer de noms parce que ce n’est jamais sûr. J’ai des potes dans la musique et j’ai aussi mes amis d’enfance.
Comment faites-vous pour gérez le public qui est au Sénégal et à l’étranger?
Au Sénégal, j’ai un public qui m’est propre. Ceux qui sont ici et ceux qui sont en dehors de ce pays sont en link. Sur Facebook, ils seront bientôt 27000 personnes. Ils sont tout le temps connectés avec Carlou-D et je pense que ça c’est bien.
A travers votre style vestimentaire, avez-vous un message particulier à lancer?
Je m’habille comme tout le monde. Des fois, j’ai envie de porter des boubous traditionnels. Sur scène, je m’habille autrement, parce que j’ai des amis stylistes qui me proposent des tenues. Je suis africaniste et j’aime bien le rester. Lors de la dernière édition «Tube de l’année», je m’étais habillé comme ça, parce que c’était aussi pour être libre. Je n’aime pas que les gens me fassent des calomnies un peu ou m’imposent des choses. Je veux être libre dans tout.
Parlons du Tube de l’année. Le sacre de Boubs de Sen Kumpë a suscité beaucoup de critiques chez les rappeurs. Certains disent qu’il ne mérite pas ce titre. Quel en est votre avis?
Boubs mérite plus que cela. Il est quelqu’un de très pieux et, moi, je respecte les gens qui sont comme ça. Il est très discipliné. A chaque fois qu’il me voit, il me salue tranquillement dans le respect. C’était avec son grand frère Bourba Djolof. Que Dieu l’accueille au Paradis. Maintenant, il est là et il trace son chemin et il est bien en rap.
Comment avez-vous connu votre épouse?
Nous nous sommes connus sur le Net. Bon, c’est comme les go (Ndlr : filles). Elle avait des projets dont je ne sais plus ... Donc elle a appelé un de mes managers , Passy, à l’époque. Ce dernier m’a d o n n é son numéro De téléphone . Lorsqu’elle est venue au Sénégal, je l’ai appelée. Puis, nous nous sommes vus et depuis lors, c’est parti. Nous nous sommes mariés six mois après.
Le fait que vous soyez adulés par les femmes ne crée pas une jalousie chez elle?
C’est comme les hommes aussi, ils sont mes fans. Peut-être qu’ils agissent autrement. Mais, ils sont bien présents, franchement. Les femmes sont comme les mômes. Elles réagissent naturellement, elles ne peuvent rien cacher. Quand aux mecs, ils sont tout le temps en train de se réserver et de se contrôler parce qu’ils sont comme ça. C’est la nature.
Dans Mbeugeul, vous dites que c’est une histoire vécue. C’est avec Madame Loucard?
Tout ce que chante, c’est de l’histoire vécue. Tout est vécu ici. Pour le son Mbeuguel, c’était juste une façon pour dire à ma femme: «Ma chérie, mane mbeugeul lou thiakhane takhouma diok, mbeuguel fo takhouma diok, mbeuguel yermandé ma takha diok» (Ndlr: Je ne joue pas avec l’amour). Je veux qu’elle écoute cette chanson. Elle l’a dans son téléphone portable et elle répond avec. Mieux, elle l’écoute tout le temps. Mane vrai hindou là(Ndlr : Je suis un vrai hindou). Si j’aime, c’est vrai pour de vrai. Mais si je hais, c’est fini! Donc, avant qu’on arrive à un quelque obstacle que ce soit, je lui donne quelque chose à écouter et à méditer.
Si vous n’étiez pas musicien, qu’allez-vous devenir?
J’aurais été psychiatre o u psychologue. Je pouvais continuer les études, parce que je n’étais bête et je n’étais pas nul aussi.
C’est quoi votre instrument préféré?
La guitare. Même si je m’amuse de temps à autre avec les autres instruments. La guitare, c’est ma première femme. Personne ne m’a enseigné à manier cet outil. Je me suis débrouillé tout seul pour le maitriser.
Comment avez-vous vécu votre adolescence aux Parcelles Assainies au moment où c’était une zone de grand banditisme?
C’est vrai que les Parcelles étaient tendues à l’époque. Avant, il n’y avait pas cette ampleur dans la lutte sénégalaise. Ce qui veut dire qu’il y avait plein d’agressions et de banditisme chez nous. Moi, j’étais là-bas avec les potes sans d’occupations majeures. Mais, j’étais figé à ce qui était devant moi pour dire que j’allais m’en sortir, de même que pour ma famille. Cela m’a beaucoup motivé. Il fallait quelqu’un pour tirer tout le monde et j’ai fait de mon mieux. Mais, ces jeunes n’étaient même pas des bandits. Ils étaient un peu perdus et délaissés. Aujourd’hui, ils ont changé et sont devenus des responsables. Ils ont dû faire comme moi, comme les leaders dans tous les secteurs.
Quel est votre caractère?
Je n’aime pas les histoires. Il ne faut j’aimais m’humilier c’està- dire que je ne blesse personne, mais quand on me blesse, je peux blesser grave. On ne m’humilie pas. Ce que j’aime le plus c’est l’être humain, c’est le respect. Depuis l’âge de 10 ans, je suis parti de chez moi. Je suis allé à l’aventure. J’ai choisi d’aller dans la brousse pour apprendre, de rencontrer la nature. J’ai tout appris presque seul. Depuis 20 ans, je suis au devant de la famille. J’ai fait tout à la place de mon père. Je n’ai presque pas de vie. Et jusqu’à cet instant, je suis chef de famille pour dire que je n’ai pas une vie de jeune. On doit toujours se préparer d’être responsable et de se prendre en charge. Il ne faut pas perdre de temps. Je subvenais à mes besoins et à ceux de ma famille grâce à la musique avec les modiques sommes que je gagnais dans la banlieue. J’ai vendu de la glace pour ma maman, presque cinq ans au marché des Parcelles Assainies. Les vendeuses de poissons étaient mes clientes après ma descente de l’école à 12 heures, j’y allais. Ensuite, je me débrouillais par-ci et parlà.
Avec du recul, regretteriezvous le son Ganster?
Non. Avant de composer et de sortir ce morceau, je savais qu’on allait en arriver là. C’est loin d’être fini. Je ne regrette absolument rien, parce que tout ce que j’ai dit dans cette chanson c’est des vérités indélébiles. Cela m’a, au contraire, aidé à améliorer, changer, à tel point que mes proches, en tout cas, me comprennent. Et c’est ce qui se passe actuellement. Mon père et moi, on est devenu très proche. Il m’a appelé hier. (Ndrl : l’entretien s’est déroulé le 11 avril dernier). On est tranquille. Il était chez moi, il y a de cela quelques semaines.
Mais, les gens vous ont traité de tous les noms à cause de ce morceau?
Je le savais, mais cela n’est pas important. Ce qui est important, c’est la fin. On entend du tout au Sénégal, mais si c’est du vrai, cela ne peut avoir qu’une issue heureuse et tel est le cas.
Votre prochain opus sera-t-il spirituel encore?
La spiritualité ne va jamais me quitter. Cela n’a rien à voir avec le style de Carlou. Il faut que les gens arrêtent de dire que Carlou est baye fall à tout va. Tout le monde sait que je suis un baye fall et ça, je l’ai voulu. C’est acquis et on passe. Je ne fais pas du bayefallisme, je fais de la musique. C’est un baye fall qui fait de la musique. Il faut qu’on parle de Carlou et de sa musique. Dans mon prochain opus, il y aura toujours un plus. L’histoire continue. On a démarré avec la musicalité depuis 2004 avec l’album Seedé (Ndlr: Témoin). Après le Ndèye Dior, c’était l’originalité car avec Musikr, les instruments traditionnels, c’était original. On va faire plus.