«UNE BONNE PARTIE DES 18 MILLIARDS DE LA COMMANDE PUBLIQUE VA REVENIR AUX ARTISANS SENEGALAIS»
MAMADOU TALLA, MINISTRE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET DE L’ARTISANAT
Chargé de la formation professionnelle, de l’Artisanat et de l’Apprentissage, Mamadou Talla fait partie des membres du gouvernement qui se distinguent par leur discrétion. Membre fondateur de l’Alliance pour la république, il revient dans cet entretien sur les projets de son département et les nombreux programmes mis en place pour booster le secteur et indique la voie aux artisans nationaux pour bénéficier des 18 milliards de la commande publique
L’As : Les Menuisiers sénégalais se sont fait entendre parce qu’ils ne bénéficient pas de la commande publique en matière de mobilier. En tant que ministre chargé de l’Artisanat, qu’est-ce que vous leur dites pour les rassurer ?
Mamadou Talla : D’abord il faut signaler qu’il y a deux choses différentes. Il y a le mobilier national et il y a la commande publique qui est beaucoup plus large. S’agissant du mobilier national, c’est un projet qui a été initié depuis très longtemps jusqu’en 1999, et les prototypes ont même été réalisés. Ce dossier mobilier national avait même un coordinateur et était géré, de par son ancrage institutionnel, par le ministère de la Culture et le ministère des Finances. Voilà ce que nous avons trouvé. Mais de 2000 à 2012, rien n’a été fait sur le mobilier national parce que le dossier était rangé dans les tiroirs. Alors le Président Macky Sall, dès son accession au pouvoir, a relancé ce dossier, depuis avril 2012. On est en train de travailler dessus mais comme vous le savez, c’est un dossier extrêmement complexe, parce que tout simplement le Sénégal est lié à d’autres pays par des accords, ce qui fait qu’on ne peut pas fermer le pays au reste du monde.
Est-ce qu’ils sont à la hauteur pour respecter les normes ?
Oui ils sont bien à la hauteur de ce qui est demandé. Mais la difficulté c’est comment peuvent-ils postuler à ces marchés. C’est ce qui explique la présence de la direction centrale des marchés publics (Dcmp) dans ce comité mis en place. Nous avions reçu une instruction du président de la République, du Premier ministre, un arrêté a été mis en place et maintenant, là où on va dans ce budget 2015, c’est que chaque ministère et chaque institution réserve un pourcentage de sa commande de mobilier aux artisans nationaux, ou même la commande publique aux artisans nationaux. Si nous regardons l’équipement en chaises, en tables bancs et en armoires de nos écoles, c’est plus de 5 milliards de F Cfa par an. Notre ambition est de quitter l’atelier du quartier pour aller vers l’entreprise artisanale et les petites et moyennes entreprises. Quand nous aurons ces entreprises qui existeront partout, elles pourront postuler au même titre que les autres par rapport au mobilier national et à la commande publique. Mais ce qui est valable pour les menuisiers est aussi valable pour les mécaniciens. Eux aussi pourraient demander à réparer l’ensemble des véhicules, mais à condition qu’ils puissent postuler légalement en respectant les
textes.
Quelles sont ces conditions ?
La première condition c’est la formation. Il faut les former dans la réalisation pour qu’ils puissent faire des produits compétitifs, pour que le matériel qui vient de l’extérieur, même s’il est amené ici, ne trouve pas acquéreur. Nous sommes donc dans cette dynamique. Non seulement il faut accompagner ponctuellement ces artisans dans la commande publique et le mobilier national qui doit être présent dans nos institutions, mais aussi faire tout pour que nos artisans aient facilement la matière première, mais aussi des machines qui leur permettront de travailler dans les temps pour respecter les termes d’un marché. Que ce soit au niveau des menuisiers du Sénégal ou l’Onp bois, nous sommes en train de travailler et dans ce budget que nous allons voter bientôt, ils auront une part qui leur reviendra de droit.
Les dix-huit milliards accordés à la commande publique sont assez consistants, mais comment faire pour que nos menuisiers puissent en bénéficier concrètement ?
Non seulement il y a eu cette volonté, mais il y a eu également l’arrêté du Premier ministre parce que, ne serait-ce que pour l’équipement des écoles, nous dépensons plus de 5 milliards de F Cfa. Une préférence nationale ferait qu’on prenne une grande partie de cette somme pour l’orienter vers nos entreprises locales qui sont capables de le faire en respectant les délais. En dehors de cela, si vous regardez nos juridictions internationales, nous sommes à plus de 60 représentations dans le monde. On peut donc prendre la décision, dès cette année, d’équiper nos ambassades. Le ministère des Affaires étrangères a reçu le même document que tout le monde. Non seulement ils auront des meubles, mais des meubles qui rappelleraient le Sénégal et, culturellement parlant, qui intègrent nos valeurs. Imaginez en fonction des lignes que nous avons, si on orientait seulement 30% vers l’artisanat, cela permettrait non seulement de créer des emplois, mais aussi de développer l’économie sénégalaise. C’est cette vision que nous avons mais elle repose sur plusieurs étapes : la mise en place de ce comité, la formation, la formalisation ; et aussi au niveau de la Dcmp il faudrait mettre des clauses dans les marchés publics, qui favoriseraient nos artisans. Cette clause existe déjà, mais il faut l’affiner en nommant un coordonnateur du mobilier national, ce qui sera bientôt fait par décret. Celui-ci aura la charge d’impulser cette nouvelle dynamique pour le bien de nos artisans. En plus, une ligne de crédit de741 millions est prévue entre novembre et décembre pour le financement des projets des artisans, et cette ligne de crédit va passer à 2 milliards en janvier prochain.
C’est un fonds de financement et la signature sera faite dès demain.
Il y a une rumeur persistante qui fait état de la dissolution du fondef. Qu’en-est-il exactement ?
Nous avons vu que nous avons deux organismes, l’Onfp et le Fondef. Et quand on a regardé les missions du Fondef, nous avons vu que cette mission est spécialement circonscrite uniquement à ceux qui travaillent dans le secteur privé. Donc il fallait élargir les missions du Fondef aux chômeurs, à ceux qui veulent une reconversion, aux contrats d’apprentissage. L’apprenti devrait être pris en charge très bientôt. C’est ce qui nous a amené à créer un projet d’envergure pour développer les compétences au Sénégal. Ce projet a le soutien de l’Agence française de développement, de la Banque mondiale, mais aussi de l’Oif. Ce projet ce n’est pas seulement le Fondef. Le Fondef sera dans ce nouveau fonds qu’on est en train d’installer, plus quatre autres nouveaux guichets et il y aura un directeur général. Donc nous ne sommes pas du tout en train de dissoudre le Fondef. Au contraire, ce sont les missions du Fondef qui sont élargies et tout patrimoine du Fondef, y compris le personnel, sera directement intégré dans ce premier guichet qui concerne les premières missions du Fondef. Tout le financement de la formation professionnelle se fera à travers ce fonds, l’autonomisation de nos lycées et centres, le financement de ces centres, la qualité et également des individuels qui veulent être formés. Nous avons l’obligation de proposer des formations alternatives aux gens qui ne veulent plus faire la même chose. C’est cette mission d’envergure, qui inclut les missions du Fondef, qui fait que certains pensent à la dissolution du Fondef. Le patronat, les syndicats, les formateurs ont tous été associés à ce projet et donc tout le monde a adhéré à sa mise en oeuvre. La deuxième chose c’est cette loi d’orientation qui manque à la formation professionnelle et qui intègre sa nouvelle orientation de la formation professionnelle qui devrait aller vers l’agriculture, l’horticulture, bref le secteur secondaire. Il faut donc développer l’agroalimentaire, l’agrobusiness, l’industrie, le bâtiment, etc.
Pouvez-vous donner des garanties qu’il n’y aura pas de pertes d’emplois comme on l’a déjà vu avec les agences dissoutes ?
Il y aura zéro perte d’emploi. Au contraire, on est en train de voir comment trouver des ressources humaines suffisantes, compétentes, correspondant à notre vision. Il n’y aura aucun licenciement et vous le verrez dans les jours à venir, quand nous allons lancer les appels à candidature. On ne peut pas développer un pays dans ce monde sans que la formation professionnelle n’y joue un rôle essentiel. Le président de la République a voulu très tôt que l’on replace la formation professionnelle au coeur du dispositif qui permettrait qu’au niveau du Pse on fasse le capital humain.
Où en êtes-vous avec les zodart, Seca et autres ?
Nous avons deux secteurs essentiels pour développer un pays. La formation professionnelle et l’artisanat. Nous avons bien fait avec les villages artisanaux depuis les indépendances jusqu’à présent, il faut les réhabiliter. Il faut tout faire pour qu’ils attirent encore du monde. Mais pour qu’il y ait une connexion entre l’artisanat de production et de service, il fallait autre chose. C’est ce qui nous a amené à créer des zones de développement artisanales (zodart). Ce n’est plus un slogan ni un voeu, c’est devenu une réalité. Le budget a été fait cette année, les trois premières Seca sont à Diamniadio, à Mékhé et à Thionk-Essyl. Nous avons déjà les fonds, les sites sont trouvés, ils sont dans le budget et les dossiers d’appel d’offres sont terminés et on va les lancer. En dehors de cela, dans le Pse on a un budget de 1,5 milliard qui nous permettraient d’installer des Seca partout où il y a des sites touristiques. Ces huit sites d’exposition et de commercialisation artisanale vont être installés, que ce soit au nord, au sud, ou ici à Dakar. C’était une volonté du président de la République qui a doublé le budget du ministère, qui est passé de 950 millions à près de 2,5 milliards de F Cfa. En dehors de cela, il y a 1,5 milliard uniquement pour installer les Seca afin de booster et développer le tourisme.
Il faut dire que cela fait aussi l’objet de controverse, au niveau de la classe politique et au niveau des populations…
Pour changer en profondeur, on ne le fait pas du jour au lendemain. Dire qu’on est là aujourd’hui et dès demain il n’y aura plus de problèmes d’électricité et autres, ce n’est pas possible. Si nous voulons définitivement régler ces problèmes, c’est avec méthode et c’est ce que nous sommes en train de faire. Il faut reconnaître qu’on commence à voir le bout du tunnel. Nous sommes à mi-mandat et je crois que c’est à la fin qu’il faudra nous juger. Il n’y a aucun président au monde qui a décidé de réduire son mandat de 7 à 5 ans.