"ÉPIDERMIQUE", ET ALORS ?
On peut regretter la maladresse de la réplique sèche de Mbagnick Ndiaye à Immar Tor, directrice de la diversité linguistique à l’Oif, mais pas reprocher au ministre de la Culture d’avoir fait parler son cœur

"L'émotion est nègre, comme la raison est hellène." Léopold Senghor dixit. Ce vieux cliché était de sortie hier au Théâtre Sorano. D’une part, il colle à la peau au Noir. Le présentant, côté pile, comme un être émotif. Ce qui donne facilement, côté face, un type orgueilleux, qui prend tout pour lui.
De l’autre, ce cliché décrit le Blanc sous les traits d’un être réfléchi, capable de prendre de la hauteur sur les événements pour mieux les appréhender. Un trait de caractère plus valorisant qui pousse souvent à la condescendance, vis-à-vis des personnes de couleur, celui à qui il est attribué.
En marge d’un sommet de la Francophonie et au pays du poète-président, un des pères fondateurs de l’Oif et auteur de la célèbre assertion, on ne pouvait pas mieux tomber… dans la caricature.
Mais quoique réducteur et déformant, tout cliché comporte une part de vrai. À preuve, l’épisode qui a mis en scène le ministre de la Culture et de la Communication, Mbagnick Ndiaye, et la directrice de la langue française et de la diversité linguistique à l’Oif, Imma Tor. D’après Le Quotidien, la seconde a fait "sortir de ses gonds" le premier pour avoir fait une proposition sentant fort le recadrage.
Le journal rapporte : "Après avoir écourté son allocution, Imma Tor suggère aux autres d’en faire de même pour permettre au public de suivre le spectacle."
Le ministre sénégalais n’a pas goûté. En attestent ses propos rapportés par Le Quotidien : "Je dois signaler qu’aujourd’hui ce n’était pas évident que je vienne car ayant un agenda surchargé. J’ai consenti des sacrifices pour venir et on me demande d’écourter mon discours. Comme vous êtes pressés de voir le spectacle, je ne prononcerai pas mon discours. Bonne soirée !"
La réplique est abrupte. On serait tenté de l’assimiler à du classique chez Mbagnick Ndiaye. Lequel passe, depuis son avènement au département de la Culture et de la Communication, pour le champion des dérapages de langage. Mais, il n’en est rien. En l’occurrence, le ministre n’a pas dérapé. Sa langue n’a pas fourché. Il est en colère et l’exprime en toute lucidité.
Il aurait pu rentrer sa colère et garder son flegme. Improviser un excellent speech court, mais bref. Rompre ainsi avec cette manie de nos hommes publics à servir, pour un oui ou un non, de longs et ennuyeux discours. Mais, il a choisi de faire parler son cœur. D’avoir une réaction épidermique.
C’est dommage pour l’ambiance. Pis, il apporte de l'eau au moulin de ceux qui prétendent bêtement que les Noirs, avec leur orgeuil mal placé, ont tendance à prendre tout au premier degré.
Certes. Mais, et alors ? On peut regretter la maladresse de la réplique sèche de Mbagnick Ndiaye, mais pas reprocher au ministre de la Culture d’avoir fait parler son cœur. Comment saurait-il en être autrement devant l’outrecuidance débordante d’une simple directrice d’un département de l'Oif, qui a osé recadrer un ministre de la République, lequel, de surcroît, a eu la gentillesse de présider leur cérémonie, la soirée de la 5e édition de la "Caravane des dix mots" ?
Imma Tor aurait-elle eu le même toupet devant le ministre français de la Culture ou celui des Affaires étrangères ou encore le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf ? Sans doute pas. Mbagnick Ndiaye étant certainement arrivé à la même conclusion, a décidé de répondre à la condescendance par le mépris. Ainsi il est quitte avec l’aimable Imma Tor.
On applaudit à tout rompre. Et si cette colère du ministre de la Culture est de nature à renforcer la thèse senghorienne selon laquelle "l’émotion est nègre, comme la raison est hellène", tant pis. Autant assumer car, il y a des colères justes.