DÉCLARATION DE PATRIMOINE : LES DANGERS D’UNE APPROCHE RESTRICTIVE

Le projet de loi sur la déclaration préalable des biens passe actuellement sous les fourches caudines de la Commission des Lois et Règlements de l’Assemblée nationale. Il ne fait aucun doute qu’elle en sortira pour l’essentiel indemne. Même quand il sera soumis à la plénière, il passera à coup sûr, comme lettre à la poste. Pour cause, la majorité parlementaire ne rechignera pas à la voter conformément à la volonté de son instigateur, le Président Macky Sall.
A l’évidence, il est même difficilement imaginable que l’opposition libérale n’en fasse pas autant en dépit de la tension politique qui sévit entre elle et le pouvoir. Dans son esprit, la loi sur la déclaration des biens relève de la Bonne Gouvernance, de la transparence et de l’éthique de gestion, pour ne pas dire de la morale politique. Des formations politiques comme le PDS et ses excroissances, pourraient difficilement ne pas y souscrire et prendre le risque devant l’opinion et les citoyens d’apparaître comme des prédateurs, adversaires déclarés de la gestion vertueuse.
Au vu des nombreuses affaires dans lesquelles sont impliqués leurs partisans, ils justifieraient a posteriori, les poursuites pour mauvaise gestion contre Karim Wade, Ndèye Khady Guèye, Modibo Diop, Aïda Ndiongue, Pape Ousmane Sy, Bara Sady, entre autres. Et sans doute, dans le cadre de la traque de détenteurs de biens supposés mal acquis, Oumar Sarr, Abdoulaye Baldé, Ousmane Ngom, Samuel Sarr, Madické Niang, tous des grosses pointures du PDS, en délicatesse avec la justice.
Sans doute, les parlementaires libéraux tous bords, pourraient trouver de bonnes raisons d’amender le texte, par exemple pour exiger son extension, avec le risque de rendre encore plus complexe son applicabilité. Si la logique politicienne constituait la seule justification de ce blocage éventuel, les opposants au régime auraient probablement tort. Au demeurant, si l’exigence d’efficacité de la loi les motive réellement, ils trouveraient de nombreuses voix favorables à leur thèse.
La fortune du Président
En effet, une éventuelle loi sur la déclaration des biens des principales figures de l’Etat ne peut que trouver un écho favorable chez tous ceux qui sont soucieux de justice et de transparence. Le président de la République a du reste montré la voie en exposant sur la place publique l’étendue de ses biens estimés à plus de huit milliards, des maisons au Sénégal et aux Etats-Unis, des titres fonciers. Bref, une belle fortune, qui peut dispenser tout chef d’État de se servir grassement sur la bête pendant son séjour au Palais.
Sans doute beaucoup de bruits tournent autour de l’origine de ces richesses. Mais protégé par son immunité présidentielle, le Président est à l’abri de toute poursuite. Il n’empêche que le courage du Président mérite une salve d’applaudissements et de la considération, car il est probablement un des rares hommes politiques africains, de ce rang, à avoir eu cette témérité.
Du coup, il a aidé ses adversaires et une bonne partie de l’opinion à alimenter des commentaires acerbes sur cet «enrichissement rapide», comme en attestent de récentes sorties au vitriol de Samuel Sarrr et Sidy Lamine Niasse. Mais personne en réalité ne peut reprocher au Président Sall de faire accès de transparence sur ses biens personnels et de sommer ses partisans d’adopter des attitudes vertueuses dans la gestion des biens publics qui leur sont confiés.
Sera-t-il entendu ? Pourra-t-il lui-même tenir en laisse ses parents et partisans souvent enclins à tirer le maximum de profit de leur position dans le pouvoir ? Rien n’est moins sûr, le pouvoir a ses tentations et des dérives sont déjà çà et là signalées, sans que des preuves accompagnent les accusations. Le temps révélera un jour ses secrets.
L’arme de la prévention
Cependant, une loi sur la déclaration des biens, limitée aux seules têtes du pouvoir (le président, le Premier ministre, les ministres, le président de l’Assemblée nationale, le président Conseil économique social et environnemental), sera forcément limitative et de portée relative. Dans les grandes démocraties comme en France, où cette loi a pignon sur rue, elle touche tous les hauts fonctionnaires, les parlementaires, en plus des ténors des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Comment imaginer que les directeurs généraux des sociétés nationales, Offices, Agences, et autres établissements publics, puissent en être exclus ? Ils gèrent tout de même, des deniers publics et très souvent pas en bon père.
Il suffit de compter le nombre de ces patrons du service public qui atterrissent à la Citadelle du silence à Rebeuss pour s’en convaincre. Il apparaît donc essentiel pour cette loi d’aller jusqu’au bout de sa logique pour mériter respect et considération, et servir d’épée de Damoclès à tous ceux qui seraient tentés de confondre leurs comptes à ceux des structures placées sous leur autorité.
Cependant, la concomitance entre l’actualité immédiate marquée par une forte centration sur la médiation pénale et celle du projet de loi sur l’obligation de déclaration préalable de biens, laisse penser que ce hasard n’est pas aussi neutre ou fortuit. Autant la médiation pénale est inique, autant la déclaration préalable des biens est d’essence vertueuse. La première apparaît comme une licence accordée aux délinquants en col blanc, la seconde, est de connotation préventive. Mais leur alliage est lourd de dangers.
Contrôle, formation et sensibilisation
Il y a à craindre que les détenteurs de bien mal acquis, après la découverte d’une grande distorsion entre leurs biens déclarés- situation de référence- et leurs avoirs- situation d’arrivée- ne soient tentés de faire appel à la médiation pénale pour échapper à la justice, en contrepartie d’une renonciation à des biens indument acquis. Entre les deux dispositions, il y a à la fois une différence de nature et de degré.
La médiation pénale est d’essence administrative, alors que la loi sur la déclaration pénale à un caractère éminemment judiciaire. L’une est un arbitrage. Même fondé sur la légalité, elle est tributaire de la bonne volonté commune des deux parties. L’autre une loi applicable dans toute sa rigueur.
L’essentiel, au bout du compte, est que les voleurs de la République ne retrouvent pas refuge potentiel dans la médiation pénale pour échapper à la justice, après l’accomplissement de leur odieux forfait. Ceci dit, l’Etat devrait privilégier la prévention des détournements, en renforçant ses moyens de contrôle, d’audit et de vérification de ses corps dédiés. La formation et la sensibilisation à la promotion de la bonne gouvernance sont aussi des conditions sine qua none de cette indispensable approche préventive, synonyme d’efficacité.