DANS LA VIE COMME DANS UNE CLASSE AVEC LES JEUX TRADITIONNELS
« KUPPE », « KABATI-KABATI », « KOTI-KOTI YOLLI-YOLLI », « KAMB GEJ ».

Pour qui veut connaître les sports typiquement sénégalais, le Centre national d’éducation populaire et sportive (Cneps) de Thiès est le lieu indiqué. Dans cette structure, des efforts ont été consentis pour réhabiliter et promouvoir nos jeux traditionnels qui, au même titre que ceux modernes, peuvent contribuer au développement physique, intellectuel et moral des jeunes.
Si des résultats appréciables sont, aujourd’hui, enregistrés, le mérite en revient à un collectif de pédagogues qui a travaillé au recensement, puis à la codification de disciplines éducatives et sportives locales. Dans la foulée, ont-ils manifesté leur volonté de sauvegarder notre patrimoine culturel.
A partir d’observations faites sur le terrain, ils ont constaté que nos enfants ont délaissé nos jeux traditionnels, ne s’intéressant qu’aux activités physiques modernes à caractère sportif.
Alors, ils ont tiré la sonnette d’alarme pour signifier à tous qu’au rythme où vont les choses, ces jeux bien de chez nous vont disparaître, en dépit de leur valeur éducative.
Un recensement a plaidé l’utilité d’intégrer les jeux traditionnels dans les séances d’éducation physique et sportive et des activités socio-éducatives. Sur 300 jeux recensés, les 70 ont fait l’objet d’une brochure éditée.
Ce document permet de découvrir un ensemble de valeurs morales spécifiquement sénégalaises et de répondre à une préoccupation essentielle de notre système d’enseignement : promouvoir une éducation prenant sa source dans les réalités du milieu et aspirant à l’épanouissement de nos valeurs traditionnelles.
C’est par là que passe le respect de notre culture, laquelle doit être arrosée d’une bonne eau pour connaître une croissance adéquate et donner des fruits agréables qui puissent nourrir correctement tous les jeunes du pays. Aujourd’hui, la vulgarisation de ces pratiques sportives en milieu scolaire fait douter beaucoup de personnes.
Celles- ci s’interrogent : pourquoi « exhumer » les jeux traditionnels alors que les exigences des compétitions du haut niveau nous interpellent ?
Beaucoup d’autres Sénégalais sont d’avis qu’en intégrant les jeux traditionnels aux activités physiques et sportives, on ne cherche ni à dénigrer ni à supprimer les jeux fédéraux, mais on travaille à leur apporter un complément. D’ailleurs, selon des spécialistes, certains jeux traditionnels sont préparatoires aux activités physiques modernes à caractère sportif.
Les pédagogues ont trouvé, depuis longtemps, que les jeux occupent une place importante dans le développement moral et intellectuel des enfants. Sans doute, il va falloir moderniser, codifier ces jeux, motiver les pratiquants. Que n’a-t-on pas dit, depuis quelques années, sur le comportement des jeunes ?
Ils ne respectent plus les vieux, ils sont impatients, ils manquent d’humilité, de maîtrise de soi. On peut allonger cette liste. On spécule beaucoup sur les raisons de la déperdition de certaines de nos valeurs fondamentales. On accuse les parents, l’Etat, l’argent, la pauvreté. Ce ne sont certainement pas les raisons.
Le Kuppé et les autres
Parmi les jeux traditionnels qui continuent à être pratiqués dans quelques rares localités de notre pays, le «kuppe » demeure le plus populaire. A Louga, dans les années 1980, les tournois organisés pendant les vacances scolaires attiraient les foules d’où émergeaient les jeunes filles.
C’est d’ailleurs elles qui le pratiquaient. Les Lougatois l’avaient modernisé. Les règlements du jeu avaient été quelque peu modifiés, privilégiant le côté sportif. Au lieu de la balle au chiffon, on utilisait une balle de tennis ou de hand ball. Les vainqueurs recevaient des trophées.
Deux équipes de 11 personnes chacune se mettaient sur un terrain déterminé. Une joueuse d’un camp engageait. Il s’agissait, pour elle, de lancer la balle et de traverser le terrain en courant pour rejoindre la ligne de but sans se faire toucher par les tirs de balle de l’équipe adverse.
Si elle parvenait, elle marquait un point pour son équipe. Si elle était « touchée », les rôles étaient inversés. Et c’est une joueuse de l’autre camp qui engageait.
A la fin du temps réglementaire, l’équipe qui marquait le plus de points remporte la victoire. A l’origine, les vainqueurs montaient sur le dos des vaincus. Les premiers se mettaient en cercle en se faisant des passes. Ils ne descendaient que lorsque la balle touchait le sol à cause d’une maladresse. A Louga, le jeu enseignait aux enfants, humilité et adresse.
Courage, résistance et sens de la solidarité
S’agissant du « gartombé », un cercle était tracé. A l’intérieur, un groupe. Un autre groupe était dehors. Celui du dehors tentait, toute violence exclue, de sortir du cercle les adversaires par la force. Si un élément isolé de l’intérieur était attaqué, se formait une véritable chaîne de solidarité. On se soutenait par la taille. Chaque équipe tirait de son côté.
Tout joueur du camp de l’intérieur qui sortait du cercle était éliminé et ainsi de suite. C’est un jeu de courage, de résistance et de sens de la solidarité. Pour le « kool », il s’agissait de prendre un morceau de bois et de le jeter dans l’obscurité, le jeu étant nocturne.
Le groupe se mettait à la recherche de l’objet. Le maître du jeu, c’est-à-dire celui qui avait lancé le morceau de bois, attendait sur place. Celui qui ramassait l’objet usait de plusieurs subterfuges pour ne pas être repéré.
Si c’était le cas, tous les autres se jetaient sur lui pour lui arracher le morceau de bois. Si par contre, il parvenait à donner l’objet au maître du jeu, il gagnait une manche.
Celui qui gagnait trois manches était déclaré vainqueur. Il devait monter alors sur le dos des autres. L’objectif est d’enseigner à l’enfant la subtilité, l’endurance, le goût de la recherche. Plusieurs autres jeux ont survécu à la colonisation dans notre pays. Il s’agit du « dialbi dialan » qui enseigne l’humilité, du « koti koti yolli yolli » qui véhicule l’obéissance.
ANECDOTE
Le colon, le « jeu barbare » et les fondements de la tolérance..
La scène se serait passée dans un village du Ndiambour, il y a de cela plus de soixante-dix ans. Un administrateur blanc de la colonie arrive dans une école de brousse au moment de la récréation. Les petits élèves jouaient un jeu inconnu de l’étranger. Alors, il s’est adressé à un enseignant noir debout devant sa classe : « Quel est ce jeu barbare ? Ne vous a-t-on pas appris des jeux plus civilisés ? ».
Très calme, l’enseignant expliqua à l’intrus que ce jeu n’avait rien de barbare. Au contraire ! Les élèves jouaient le « kabati kabati ».
De quoi s’agit-il ? Un grand cercle est formé généralement avec 10 couples de garçons. Les uns montent à califourchon sur les autres. Un garçon dont les yeux sont bandés se met au milieu du cercle. Un couple s’avance, le touche et rejoint sa place.
On enlève le bandeau de l’enfant du milieu du cercle. Le jeu consiste à désigner le couple qui l’a touché. Ce jeu aide à éveiller chez l’enfant son 6e sens.
Cette histoire est racontée par plusieurs personnes au Sénégal. Il n’est pas possible de vérifier son bien fondé. S’agit-il d’une légende comme il en existe des milliers dans notre pays ? Là, n’est pas la question.
En tout cas, dans sa volonté de nier toute culture africaine, le colonisateur a tenté d’effacer de la mémoire des Africains les jeux traditionnels. Dans ce domaine, il a même failli réussir. Bien de jeunes Sénégalais, surtout ceux des villes, sont aujourd’hui incapables de citer cinq (5) jeux traditionnels.
Sauf à Louga, seuls des quinquagénaires sont, ailleurs, capables d’énumérer des jeux traditionnels qu’ils ont pratiqués à leur jeunesse. « Dans les années 1980, des jeux étaient inscrits dans les programmes des activités de vacances dans la capitale du Ndiambour », se rappelle Mamadou Amath, à l’époque chef du bureau régional de l’Agence de presse sénégalaise à Louga. Selon lui, le « kuppe » était obligatoire pour les associations sportives et culturelles (Asc).
A-t-on suffisamment insisté sur la quasi disparition d’une multitude de jeux d’enfants et d’adolescents que pratiquaient nos pères et mères ? A y voir de près, ces jeux sont de véritables écoles de tolérance, d’humilité, de respect d’autrui, de sens de l’effort, de la maîtrise de l’émotivité. Ils permettaient aussi d’acquérir le courage, l’assurance, le sens communautaire, l’esprit d’équipe et la subtilité.
La maintenance d’une bonne condition physique était loin d’être négligée. D’où viennent cette souplesse et cette agilité que les autres races nous envient ?