'' EBOLA EST LE POINT CENTRAL DES INÉGALITÉS ENTRE NORD ET SUD ''
FRANÇOIS DURPAIRE, PROFESSEUR AGRÉGÉ D'HISTOIRE
Auteur d'une thèse sur le rôle des Etats-Unis dans la colonisation de l'Afrique noire francophone, François Durpaire est professeur agrégé d'histoire. En France, il est l’un des spécialistes des questions liées à l’actualité américaine et plus particulièrement celles de ses communautés noires. Il analyse les conséquences du décès du premier cas d’Ebola aux Etats-Unis importé par un Libérien.
Quelles sont les conséquences du premier cas de virus Ebola sur la diaspora africaine aux Etats-Unis ?
Tout d’abord, la mort de Duncan (Thomas Eric Duncan, Libérien décédé mercredi 8 octobre, Ndlr), a entrainé une polémique. Elle porte sur les conditions et la prise en charge du malade quand il s’est présenté, la première fois, dans un hôpital de Dallas. Après avoir attiré l’attention du personnel soignant sur le fait qu’il a été en Afrique et que, peut-être, il avait des symptômes d’Ebola, le personnel de l’hôpital lui a dit de rentrer.
Il se trouve que ce sont des manquements humains et de logistiques. Il y a un deuxième niveau : quelles sont les décisions que Obama va prendre ? Le président américain vient de déclarer qu’il allait y avoir un renforcement au niveau des douanes pour que l’entrée aux Usa soit plus surveillée. Les vols directs venant de l’Afrique vers les Etats- Unis sont assez surveillés.
En revanche, ceux qui font une escale dans un pays d’Europe le sont moins. Barack Obama a pris des mesures allant dans le sens de sanctuariser le territoire américain pour éviter les risques. Le troisième ni- veau est sur l’ensemble des citoyens américains. Il est important que les Américains n’aient pas une psychose de cette maladie, parce qu’il y a peu de risque de contamination dans les pays du Nord.
Il y a eu des ratés ayant conduit au décès du Libérien aux Etats- Unis. Les gens qui ont été en contact avec lui sont surveillés de manière sérieuse, certains même sont mis en quarantaine.
Il y a tout un entourage médical qui assure dans les pays du nord, notamment aux Etats-Unis. La question est de savoir comment faire pour qu’Ebola ne soit pas le point central des inégalités entre Nord et Sud. Que l’on mette sous quarantaine une personne atteinte par le virus est une nécessité médicale. Mais est-ce que des pays, voire un continent va être mis en quarantaine ? C’est le cœur des inégalités mondiales qui se joue autour du virus Ebola.
A cause des stigmatisations et des amalgames sur les Noirs « suspects » de porter le virus Ebola, pensez-vous qu’il peut y avoir des tensions entre les Africains et les Afro-américains ?
On ne sait pas encore s’il y aura des tensions entre des Afro-américains et des Africains qui seraient accusés de transporter le virus Ebola. Par contre, on sait que les Africains subissent, aux Etats-Unis, des discriminations et des pressions particulières. Il y a eu quelques temps, des étudiants avaient initié une campagne d’affichage luttant contre les préjugés à l’encontre des Africains immigrés aux Usa.
On pouvait lire sur les affiches des inscriptions du type : « Je ne parle pas africain, car ce n’est pas une langue » ou bien « L’Afrique n’est pas un pays » ou encore « tous les Africains ne sont pas des coureurs à pieds ».
Aujourd’hui, on pourrait rajouter que tous les Africains ne sont pas des porteurs du virus d’Ebola. Il faut que tous les Américains, Afro-américains, Blancs et autres ne cèdent pas à la panique et ne mettent pas à l’écart des gens qui, pour certains, sont aussi des citoyens américains. Au-delà du fait de connaitre la réaction dans les pays du Nord vis-à- vis de la menace Ebola,
il serait bon de déterminer si tous les pays occidentaux peuvent se mettre ensemble pour construire une politique mondiale de la santé qui soit plus égalitaire et qui viennent au secours de pays touchés comme le Liberia, mais aussi la Guinée et la Sierra Leone. Ce qui est en jeu, c’est l’égalité de tous sur les questions de santé à l’échelle internationale.
Au regard de l’histoire, y a-t-il eu une maladie qui s’est répandue aussi rapidement sur trois continents ?
Pour les historiens de la santé, c’est un phénomène sans précédent dans l’histoire depuis les années 70. Aujourd’hui, il y a une globalisation de la maladie sur trois continents : Europe, Amérique et Afrique. Les risques cou- rus en Europe et en Amérique sont sans commune mesure incomparables avec ceux en Afrique.
Les pays du Nord doivent développer des poli- tiques publiques venant en aide à ceux du Sud, parce qu’aujourd’hui, nous sommes dans une ère de globalisation. Il y a des sociétés et entreprises qui font des affaires sur les trois continents.
Donc, au-delà de l’aspect moral, les questions économiques se posent et il faut prendre la mesure du phénomène pour faire reculer le virus Ebola.