LA CULTURE DE SENGHOR À MACKY : RÉPONSE À ELIE CHARLES

Mon cher ami, tu as publié dans Walf du 27 décembre (Ndlr l’article a été aussi publié dans le journal EnQuête du 26 décembre) une tribune intitulée "la culture de Léopold à Macky" comme tu en as la légitimité et le droit le plus strict, en tant que créateur, poète et éditeur. Tu t’y livre en un plaidoyer pour la culture son rôle et son importance (et tu as raison), en convoquant les 4 premiers présidents du Sénégal indépendant et leur bilan dans ce domaine.
Senghor, certes et tout le monde en convient, a été un très grand homme de culture. Il me semble cependant que le bilan que tu fais de son magistère est excessivement (donc insignifiant ?) laudateur, surfait. Ancien membre du Front culturel sénégalais sous Senghor, j’en sais et les gens de ma génération en savent quelque chose.
"Senghor eut le génie et assez de générosité pour nous convaincre et nous convertir à l’ancrage de nos valeurs" dites vous. En êtes-vous sûr ? Sur quoi fondez-vous cette assertion ? Plus loin vous écrivez que "l’inventaire du magistère de Senghor n’a pas été fait" ? Affirmation trop rapide (donc gratuite ?) et il suffit de convoquer le travail sérieux que Mame Birame Diouf, ancien ministre de la culture, a consacré à un tel bilan.
Oui, Senghor a rehaussé l’aura du Sénégal, oui il a créé Sorano et initié avec Alioune Diop (qu’on oublie souvent !) le 1er festival mondial des arts nègres, oui également pour le musée dynamique. Précisément parce qu’il était un grand poète, son bilan, politico-culturel me semble mitigé.
Voilà un "humaniste" qui a mis des intellectuels en prison, saupoudré au DTT les paysans de Darou-Mousty, ignoré et combattu l’illustre Cheikh Anta Diop, un humaniste responsable des deux seules exécutions capitales au Sénégal et de la mort notre premier normalien en prison pour délit d’opinion : Oumar Blondin Diop ! Plus la censure : Ceddo ! Et Siggi ! Bref, malgré sers mérites, n’en faisons ni Dieu, ni un Ange !
C’est vrai que Diouf, dans un Sénégal "conjecturé", ne s’est pas grandement occupé de Culture. De là à dire qu’il n’a rien fait, c’est totalement injuste. Même si, généreux, tu lui accordes les circonstances atténuantes. Dak’Art, les journées du patrimoine, les Grands Prix du président de la république, le Fesnac, les Biennales des ARTS ET DES LETTRES, les Grandes Conférences Internationales supervisées par Souleymane Bachir Diagne, le Centre Culturel Douta Seck.
Dakar-Bruxelles Nanga def, le Village des Arts, le Mémorial de Gorée et j’en passe. Mais que Diouf eusse mieux pu faire, je te le concède. Et ne je te querellerai pas non plus sur le bilan de Wade : ni dans ses réalisations, ni son aspect Super-ministre de la culture, ni l’inflation sans précédent des ministres de la culture sous son magistère.
Pour Macky, n’est-ce pas trop tôt de procéder à un bilan ! N’empêche ! Allons-y ! Tu dis, à propos de ce dernier : "toujours pas grand-chose" sauf la "consommation" de 3 ministres et des " effets d’annonce" tout en disant ta conviction que le Président Macky Sall pourrait mieux faire que ses trois prédécesseurs !
Sans prendre garde à la pétition de principe. Et Tu sommes les Conseillers du président, appelés agressivement "conseilleurs", de se réveiller. Et puisque j’en fais partie, je voudrais te rappeler très amicalement, pour ta gouverne et ta médiation la Vision stratégique et politique du Président de la République pour un Sénégal Emergent. Et te rappeler de réalisations faites au mitan de son premier mandat.
Pour comprendre la stratégie culturelle du Chef de l’Etat, il convient de rappeler ce qu’est la culture. Au-delà de la notion foisonnante et confusément plurivoque, le concept de culture renvoie à des signes précis. Il s’appréhende au triple plan ontologique, idéologique et anthropologique.
Il y a d’une part la culture comme règle, comme norme, histoire et temporalité (par opposition à la nature) et la culture comme représentation (idéologie) et comme attitude fondamentale d’un peuple (anthropologie). La culture est ainsi "l’ensemble des habitudes, des attitudes, des aptitudes d’un peuple à un moment donné de son histoire".
Selon la belle formule de M. Yoro Fall, éminent historien. Ainsi comprise, la culture n’est pas seulement de l’ordre de la représentation ; elle concerne les valeurs, les comportements ; participe de l’identité nationale et de l’armature idéologique face au développement, à l’émergence.
Elle implique une pleine conscience de nous-mêmes, de notre histoire, du parcours de notre identité collective, de notre sentiment d’appartenance et de la manière dont nous nous représentons et nous nous représentons les autres et le monde. La culture a pour finalité l’épanouissement individuel et collectif. C’est la culture ainsi entendue "qui est au début et à la fin du développement".
Cette précision conceptuelle, qui n’est pas une simple déformation professionnelle, tend à lever toute équivoque, toute confusion qui réduirait la culture une simple LMD (Lutte, Musique, Danse), LMD qui, du reste, est une de ses composantes. Le président de la République a une approche holistique de la culture, dans sa triple dimension ontologique, idéologique et anthropologique.
Ainsi, la gouvernance vertueuse et sobre, la lutte contre la corruption et la concussion, une saine administration de la chose publique, la levée des couleurs, la promotion des valeurs civiques, le culte du travail et de la responsabilité participent de la promotion de la Citoyenneté, de l’Altérité et relèvent du processus culturel. C’est par la culture ainsi comprise que l’on peut réduire cette pathologie sociale universelle qu’est la résistance au changement, c’est par elle que l’on mobilise les énergies nécessaires à l’Emergence.
En effet, le Chef de l’Etat souhaite que la culture marche sur ses deux jambes, en prenant en compte l’ensemble de ses signes, de son champ. Comme en attestent les discours du centenaire d’Aimé Césaire, de Strasbourg, l’adresse aux intellectuels, la rection des écrivains et, récemment, le discours historique de Ziguinchor.
La vision stratégique et politique de la culture du président de la République s’articule autour des points suivants :
1) Produire un discours de l’Afrique sur elle-même (après celui de l’Europe et du monde) : ce que Senghor appelle penser pour nous – mêmes et par nous-mêmes. La production de ce discours est importante pour gagner la décisive bataille de l’Emergence, prélude au développement authentique et durable
2) Exploitation de notre patrimoine culturel dans sa richesse et sa diversité
3) Poursuite, dans le cadre de la reconquête de notre identité, de la réécriture de notre histoire
4) Promotion de la citoyenneté : rebâtir les mentalités, changer les comportements
5) Promotion et renouvellement des valeurs éthiques
6) Meilleure protection des arts et des artistes
7) Développement optimal des industries culturelles
Memo des chantiers réalisés ou en cours 2012-2014.
1) Renforcement du fonds d’aide à l’édition
2) Revitalisation des NEAS, en cours
3) Fonds de promotion du cinéma 1 milliard, réalisé
4) Organisation de la 4ème rencontre des cinéastes d’Afrique, du Brésil, des Caraïbes et leur Diaspora (ABCD) en septembre 2014
5) Naissance de la nouvelle société de gestion collective des droits d’auteurs et des droits voisins
6) Rencontre avec les intellectuels et échange, avec le discours historique du Président de la république
7) Création des bureaux économiques et culturels dans nos représentations diplomatiques
8) Création du musée Senghor
9) Acquisition du 1er musée d’Art africain : le Boribana
10) Le sommet de la francophonie
11) Ecriture de l’histoire générale du Sénégal, sous la direction du Professeur Iba Der Thiam
12) Etc.
Memo des chantiers en cours de réalisation 2014/2017
1) Promotion et vulgarisation de la charte du mandé en collaboration avec les Etats de l’espace mandingue, en cours
2) Projet "maison des archives"
3) Classement de la gare de Dakar 4) Erection d’une grande bibliothèque nationale multimédia
5) Inauguration du Musée des Civilisations noires
6) Retour du "musée dynamique"à la culture
7) Etc.
Senghor, Diouf, Wade ont-ils fait mieux au mitan de leur mandat respectif !
Elie, tu portes le nom d’un illustre prophète des écritures – celui qui a été enlevé au Ciel – et pour te paraphraser je te sommes à mon tour de ne pas désespérer l’Utopie, ni les "œuvres sublimes" et les "villes splendides" à venir. Et d’applaudir l’ingénieur capable de réaliser de si belles choses en peu de temps : plus que des traces, il a déjà laissé des marques.
C’est vrai qu’il ne fait pas autant de bruit que son prédécesseur immédiat, expert du tamtam des joues. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est de ne pas être dans la posture stérile du spectateur ni dans celle de l’arbitre "neutre" qui donne de bons et de mauvais points.
L’essentiel, pour nous créateurs, est de produire de belles œuvres. L’essentiel est de savoir que le développement de la culture et de ses signes n’est pas du seul ressort de Chef de l’Etat : De Gaulle n’a "produit" ni Malraux ni Sartre, et Senghor, ni Cheikh Hamidou Kane, ni Sembène, ni Aminata Sow Fall.
Et Macky Sall ne pourra te transformer en grand poète si au départ tu n’en as ni le talent ni le génie. Continue donc tes contributions qui sont toujours les bienvenues et souffre de temps en temps qu’on te réponde. Si le poète pense dans l’Absolu, le politique gère le Relatif. Il t’en souvient, je le sais de la "douloureuse blessure" de Césaire Poète et Homme politique.
Hamidou Dia
Conseiller spécial du président de la République