LA SAVEUR DU ''CORRIGE-DAME'' APRÈS CELLE DES CONDIMENTS NATURELS
UN DUEL EN ART CULINAIRE

La cuisine traditionnelle sénégalaise est souvent décrite comme la plus riche et la plus variée de l’Afrique de l’Ouest. Cependant, elle a subi des mutations suivant les années et les générations. Que reste-il des plats de cette époque considérés, par les femmes dites modernes, comme une cuisson qui a fait son temps ?
La maison des Mbaye fait partie des concessions les plus grandes de Niaga, une commune située dans le département de Rufisque. D’ailleurs, les villageois l’appellent « Chine populaire » en raison du nombre important de personnes qui vit dans ce foyer. Cette demeure à l’architecture différente de celle des bâtiments construits de part et d’autre a été léguée comme héritage.
Il est 14h 15 mn. Les membres de la famille se regroupent autour de trois bols de « tiébou dieune » ni huilé ni trop rouge, mais rempli de poissons et de légumes. Dans chaque plat, homme et femme « piochent » avec la main ou la cuillère. Faute de place sur les nattes en paille, certains ne sont même pas bien assis.
Mère Absa Dione, 76 ans, et Yaye Kane Bâ, 66 ans, sont les maîtresses de maison. Ces deux sages qui paraissent plus jeunes que leur âge, respectent toujours les normes des plats traditionnels. Et l’utilisation des bouillons dans la préparation de la cuisine est formellement interdite.
« De notre temps, tous ces épices n’existaient pas. Pour relever le goût des aliments, on y mettait du cymbium (« yet ») et du poisson sec », déclare Mme Dione.
L’EPOQUE OU ON MANGEAIT ''BEAUCOUP ET BIEN''
Dans cette maison, le « baassi salté » (couscous sénégalais à la sauce d’arachide), le « mboum » (sauce faite à base de feuilles) et le « diodd » (sauce d’igname) sont de rigueur. Selon Yaye Kane, ces plats sont cuisinés sans huile.
Pour préparer le « baassi » par exemple, il faut une bonne pâte d’arachide que l’on met dans une marmite contenant uniquement de l’eau, y ajouter soit des poissons fumés ou de la viande et du niébé. Ya Dary Diouf, une griotte sexagénaire résidant dans le même village, est témoin de l’époque où on mangeait « beaucoup et bien ».
Cette mère de famille se rappelle avec nostalgie le « natt » (un mix de poisson fumé, de « diomboss » (pastèque découpé en morceaux) ou « yombo » (courge), plus de l’arachide en poudre et du niébé).
Mais aussi du « nialang sef » (couscous sénégalais relevé avec une sauce à la pâte d’arachide, au poisson frais et sec et au niébé). Idem pour le « nialang mout » (préparé de la même manière que le riz au poisson, à la différence que le « nialang » est fait à base de céréales), le « tiéré koboss » (couscous accompagné d’une sauce à la patte d’arachide cuite avec des cacahuètes.
Ces plats étaient préparés au feu de bois dans l’objectif d’obtenir un goût meilleur. Malheureusement, se désole-t-elle, les femmes d’aujourd’hui préfèrent cuisiner avec le gaz butane pour éviter la chaleur et la fumée.
L’USAGE « ABUSIF » DES BOUILLONS
Ya Dary Diouf est d’avis que l’usage abusif des bouillons et cubes, de l’huile et autres ingrédients a favorisé l’apparition de certaines maladies qui n’étaient pas fréquentes à l’époque. Abondant dans le même sens, Coty Dièye, la soixantaine, témoigne que la cuisine d’hier n’est même pas comparable à celle d’aujourd’hui.
« Nous préparions nos plats au coin du feu, tout en prenant le temps nécessaire pour la cuisson des légumes. En plus, nous n’osions pas mettre les « corrige-dame », à savoir les cubes, bouillons et arômes », se souvient cette dame de Gandiol, une localité de Saint-Louis.
Expliquant qu’il suffisait d’avoir un bon poisson (« thiof », « beurre », « ngot »), du poisson sec et du cymbium pour réussir son « tiébou dieune ». Contrairement à l’avis de ces dames, Aminata Seck, une commerçante, soutient que la cuisine d’aujourd’hui est meilleure, car les femmes actuelles ont plus d’astuces.
« Les plats modernes sont meilleurs que ceux de l’époque, parce qu’ils sont plus savoureux et plus présentables », justifie-t- elle.
Une autre dame habitant la même maison que Aminata est du même avis. Elle va plus loin, considérant les plats traditionnels comme étant dépassés.