VIDEOLE CHANTRE DU LYRISME ÉROTIQUE
BOUCOUNTA NDIAYE, JOUEUR DE "XALAM"

Qui ne s’est jamais "shooté" au son du "Xalam" de El Hadji Boucounta Ndiaye qu’un perspicace confrère considère comme le chantre du lyrisme érotique ? En effet, si "Bou" porte bien cette casquette du maître de la chanson grivoise, il est bien plus que cela. L’homme s’est d’abord abreuvé à la source de l’histoire avant d’explorer ce créneau qui fait le délice d’une certaine catégorie de femmes. Et d’hommes aussi…
Jamais sans son "Xalam", qu’il accroche toujours à l’épaule et que cachent ses larges boubous. Vouloir l’en séparer, ce serait comme si on voulait attenter à sa vie. Car, cet instrument à cordes, il y tient comme à la prunelle des ses yeux et ne s’en sépare presque jamais. Jamais… Si ce n’est pour retrouver son lit douillet pour un sommeil réparateur après avoir égayé ses interlocuteurs de ses croustillantes histoires à moins que "Ndaaga" ne vienne lui gâcher son sommeil. Avec cet instrument, Boucounta Ndiaye entretient une relation quasi fusionnelle. C’est l’un de ses plus fidèles compagnons qui divertit son existence et la nôtre.
Car, Boucounta Ndiaye peut entretenir une discussion des plus sérieuses tout en grattant les cordes de son "Xalam". Avec cet ami attachant, l’homme devient autre et voit son imagination décuplée. Le fait de caresser cette guitare traditionnelle le transcende et le rend plus éloquent, loquace aussi comme quand il entre avec effraction dans le secret des femmes. Lesquelles l’adorent pour ses truculentes et succulentes paroles qui ont le don de les mettre dans tous leurs états.
L’art de gratter sur les cordes d’un "Xalam", le chantre du lyrisme érotique l’a appris à Thilmakha Mbakol, là où le valeureux résistant contre le colonialisme, Lat Dior Ngoné Latyr Diop, a vu le jour. C’est aussi dans cette contrée qu’est né Boucounta Ndiaye qui s’est initié à cet art bien avant nos indépendances.
C’était en 1952 sous le regard avisé de son grand-père Amadou Dièye Samb, originaire du Baol, qui lui fit découvrir les secrets du "Xalam" avant qu’il ne monte dans la capitale pour s’y initier au métier de tailleur. Cinq ans d’apprentissage du " Xalam" lui ont permis de maitriser son art en plus de s’abreuver au trésor lyrique de notre histoire dont ses aïeux furent les gardiens de la mémoire. Des ancêtres qui lui ont transmis l’art de bien le dire afin que jamais la mémoire ne se perde ni ne meure. Il l’entretient avec objectivité sans rien omettre.
Et c’est cet art qu’il cultive toujours afin que la nouvelle génération retienne l’histoire. Il ne lui fallait pas toujours répéter cette épopée chantée par tous les généalogistes pour qui jamais l’histoire ne ment car il est celui qui la restitue aussi... Et cette ligne de conduite, Boucounta Ndiaye s’y est toujours tenu. Avec maestria… Et quand ses amis de l’ensemble instrumental "La Case" qu’étaient Samba Diabaré Samb, Amadou Ndiaye Samb, Ablaye Nar Samb, Kany Samb, Aly Batta Mboup, Mordiop Seck dit Chams et Demba Lamine Diouf etc., se regroupèrent pour porter la parole et raconter une époque faste et guerrière, lui, il évoluait en solo portant l’histoire de son terroir mais aussi son propre répertoire qui lui vaut aujourd’hui son titre de chantre du lyrisme érotique. Mais attention, chez lui érotisme ne rime pas avec insolence. Ce serait lui faire une offense que de le penser.
Car Boucounta Ndiaye sait y mettre sa bonne dose de poésie pour faire admettre sa musique dans les cercles les plus puritains. C’est parce que l’homme a l’art de dire la parole non pas de manière brute, mais en l’enjolivant, et en faisant en sorte qu’elle n’agresse point, mais émeuve et crée l’extase chez certains. La preuve, on se laisse toujours entrainer par sa musique, même si, avec l’âge, il a réussi à édulcorer ses belles paroles pour les rendre plus éthérées sans pour autant qu’elles perdent leur grivoiserie.
C’est dans ce registre que nos oreilles continuent encore de bruire de cet air de "Ndaaga Ndiaye" ou encore ""Ndiouga Réle Massamba Gaye" dont la grivoiserie embellit encore nos pensées et chatouille notre intimité. Cela, seul ce maître du "Xalam", qui partage son art avec le valeureux Samba Diabaré Samb, en détient les secrets. A propos de ce dernier, d’ailleurs, il avoue partager avec lui le même style, si bien que, confiait-il, il est très difficile de distinguer leurs jeux. Samba Diabaré et Boucounta sont en effet deux maitres qui s’abreuvent à la même source, mais qui sont nés dans des terroirs différents tout en étant tellement proches.
Lui étant du Cayor et Samba Diabaré Samb du Djolof. Une parenté que ne sépare qu’un fil ténu et qui leur permet de porter plus loin l’histoire de nos valeureux résistants au colonialisme. Mais ce que l’on aime le plus chez Boucounta à la voix presque nasillarde, mais ô combien envoutante, c’est le vocabulaire lexical si châtié et qui fait le délice des femmes. Lesquelles se plaisent à inviter ce maître de la parole lors de leurs rencontres privées où la parole vole haut sans aucun interdit.
Des vérités certes "intimes" qui ne souffrent d’aucune ambiguïté et offertes crument avec poésie. Ce qui fait de Boucounta Ndiaye, comme disait un éminent confrère, un poète d’un genre particulier. Boucounta qui fut le compagnon du meilleur parolier de la musique traditionnelle sénégalaise, le maître du verbe Ndiaga Mbaye, puisque de lui qu’il s’agit. Ce dernier fut d’ailleurs plus qu’un compagnon, un fils avec qui il a partagé le meilleur des sons en l’accompagnant au "Xalam".
Comme celle des grands hommes véridiques, la parole de Boucounta est toujours pleine de philosophie. Et véridique aussi ! "Si on en est arrivé aujourd’hui à exiger des pièces d’identité et des signatures au cours des transactions commerciales et autres, c’est parce que, tout simplement le culte de la parole donnée n’existe plus", disait-il notamment. Des paroles, il en livre et de belles qui sont, surtout, un régal philosophique. Comme quand il fait avec une bonne dose de sagesse la distinction d’une " Diek", une "Drianké" et une "Diongoma".
Et voilà ce que l’on retient de la "Diongoma" dont l’apparition fait perdre toute retenue à certains messieurs, et leur respectabilité à d’autres. "La Diongoma", professait-il, " on l’a longtemps chantée sur tous les tons, elle se pavane et se dandine. Elle est souvent très belle. Un ami me disait souvent qu’il est très difficile pour deux espèces de vivre longtemps sans l’aide de Dieu. Il s’agit du varan qui ne quitte pas la route et de la belle Diongoma qui aime goûter à tous les plaisirs et fricoter avec tout le monde. Une véritable Diongoma bien désirable et sûre de son fait risque de collectionner les maris si elle ne fait pas attention".
C’est ça, Boucounta Ndiaye ! Des vérités cruelles, mais des vérités quand même. Un maitre de la parole grivoise qui continue de séduire ses inconditionnels d’ici et d’ailleurs jusqu’au Etats – Unis où l’on se délecte de ses belles sentences aux senteurs poétiques.