LE DIMANCHE, LE JOUR LE PLUS LONG À DAHRA !
ÉLEVAGE À LINGUÈRE

La zone sylvo-pastorale est par essence une zone d'élevage. Et le foirail de Dahra en est une parfaite illustration. Mais ce qui frappe d'abord le visiteur, c'est l'état physique des bêtes. Elles sont plutôt chétives dans ce vaste domaine à ciel ouvert, lieu de rendez-vous des éleveurs du Sénégal, tous les dimanches.
Il est midi au foirail de Dahra. Le soleil est au zénith. Sous la forte canicule d'avril, le lieu grouille de monde venu de la ville, des bourgades du Djolof, de différentes localités du pays et de la sous-région pour s'approvisionner en petits et gros ruminants. En cette fin de matinée dominicale, on est loin de l'affluence des grands jours. Mais ce qui frappe d'abord le visiteur, c'est l'état physique des bêtes. Elles sont plutôt chétives dans ce vaste foirail à ciel ouvert, lieu de rendez-vous des éleveurs du Sénégal.
Sur place, grouille un monde hétéroclite. Eleveurs, camionneurs, chauffeurs de taxis-brousse appelés "opou ya", charretiers, marchands ambulants, vendeuses d'eau glacée, gargotières, coiffeurs, téfankés, rabatteurs, etc., squattent les lieux de neuf à quinze heures. Les moutons, chèvres et bœufs sont l'épicentre d'une chaîne d'activités commerciales diverses sous l'égide des pouvoirs publics dont la municipalité.
A côté des vendeuses d'eau, de bissap et de lait alignées sous des tentes de fortune, des restauratrices se hâtent de servir des plats de riz ou de viande avant 14h, heure de clôture. A proximité, des marchands venus du Baol pour la plupart proposent toutes sortes d'articles. A l'écart, c'est le foirail des chevaux et des ânes, non loin des vendeurs de poulets locaux. Assis à l'ombre des "soumps" (variété d'arbre) rabougris, les camionneurs guettent la fin des opérations pour charger les bêtes en direction de Dakar et d'autres villes.
Dans un flux continu, les charretiers de la cité et des villages situés dans un rayon de 10 km assurent la navette entre le marché central et le foirail. Sacoche en bandoulière, stylo et blocs de reçus à la main, les percepteurs de la mairie ne chôment pas. Ici, en termes de revenus monétaires ou de bonnes affaires, le dimanche est en effet une journée particulière, non seulement pour les caisses de la ville, mais aussi pour toute une armée de jeunes et vieux débrouillards, hommes et femmes, accrochés à l'aubaine des caisses. Les téfankés (courtiers professionnels du bétail) côtoient les éleveurs du dimanche dont beaucoup d'enseignants pour qui les races de mouton "ladoum", "bali bali" ou "toubabir" n'ont plus de secret.
À Dahra, tous les services fonctionnent à plein régime le dimanche : le centre de santé, les pharmacies, les banques, les ateliers de mécanique, etc. La mairie tient même une permanence, les radios communautaires adaptent leurs programmes. Pour la tranquillité des affaires, la sécurité est renforcée avec les gendarmes et leurs auxiliaires qui patrouillent comme en situation d'alerte.
Sous-secteur de l'élevage : les complaintes des acteurs
En cette dernière semaine du mois d'avril, il n'est pas facile de trouver un bon et gros bélier. C'est que la plupart des grands éleveurs du Koya (la vallée morte du Ferlo) ont déjà transhumé vers d'autres lieux à la recherche de pâturages. Destinations principales : le Saloum et la Falémé. De fait, ce sont quelques bêtes faméliques qui sont disponibles. Et en vertu du principe de l'offre et de la demande, c'est le poulet de chair qui a la cote. Chaque week-end, un "gamou" est célébré quelque part dans le Djolof. Du coup, l'aviculture connaît un boum jamais égalé.
Le sous-secteur de l'élevage est considéré comme malade dans le département de Linguère. El Hadj Nguessory Ka , président du foirail de Dahra, ne le nie pas. Entouré d'une nuée d'éleveurs, il se dit très désolé. "Cette année, l'élevage est dans une situation inquiétante due au manque d'eau, dit-il. Cela est lié au déficit pluviométrique enregistré lors du dernier hivernage, à la sur-utilisation des forages et à l'inaccessibilité de l'aliment de bétail", soutient-il.
A l'arrivée, des conséquences désastreuses que le président du foirail de Dahra résume ainsi : "Les moutons sont bazardés à des prix accessibles à toutes les bourses au grand dam des éleveurs." D'où cet appel lancé aux autorités : "Nous lançons un véritable SOS à l'Etat du Sénégal. Il faut qu'il subventionne maintenant le prix du sac de 40 kg d'aliment de bétail", plaide-t-il. "Le sac de fanes d'arachide coûte présentement 4 000 francs. Dans ces conditions, comment peut-on nourrir des centaines de têtes sans parler du remboursement des prêts bancaires ?" s'interroge-t-il perplexe.
Quand le manque d'eau et de pâturages risque de décimer les troupeaux
Faute de nourriture et d'eau, les animaux domestiques meurent à un rythme soutenu. Pour remédier à cette situation, le gouvernement avait promis la construction de 44 forages dans le département de Linguère. Une promesse toujours non tenue, au grand dam des éleveurs qui ne savent plus à quel saint se vouer.
"Si vous faites un tour dans la zone de Kamb, l'odeur des cadavres d'animaux empeste le village, surtout les ânes qui sont moins pris en charge par leurs propriétaires. Aussi bien les moutons, les chèvres que les ânes meurent faute de nourriture et d'eau." Ces propos sont de Djibril Ousmane Ka. Ressortissant de Kamb, ce dernier tire ainsi la sonnette d'alarme pour alerter sur le risque de famine qui menace les ruminants et autres animaux domestiques dans la zone sylvo-pastorale. Une situation qui a amené certains éleveurs à transhumer vers le Mali. Et à l'en croire, il est fort probable qu'ils ne reviennent pas.
Lui emboîtant le pas, son compatriote Doula Kâ de renchérir : "Avant-hier, un ami m'a appelé depuis Thièl (sud de Linguère) pour me dire qu'il peine à trouver de l'eau car les forages n'en ont plus assez pour le bétail. Dans certaines localités, les villageois interdisent l'accès aux bêtes. La seule solution, c'est de disposer d'un véhicule qui fait la navette pour permettre aux troupeaux de se désaltérer. Si tu refuses de te plier à leur diktat, c'est la bataille rangée." Inquiétant !
L'arlésienne des vallées fossiles
Malgré la promesse de Lansana Gagny Sakho, directeur de l'Office national des forages ruraux (Ofor), de construire 44 forages dans le département de Linguère, les éleveurs semblent pessimistes. Isma Sarr, acteur renommé à la soixantaine bien sonnée, est un homme toujours souriant et affable. Entouré de ses pairs wolofs et peuls, il supervise les opérations. "La faible pluviométrie est à l'origine de la famine chez les animaux", souligne-t-il. DeWidouThingolyàTéssékéré, en allant vers Kaffrine ajoute-t-il, les grands éleveurs ont tous transhumé. Les animaux meurent de faim et de soif. Puis il fait part de ses propositions. "Seule la revitalisation des vallées fossiles peut mettre fin à notre souffrance. Et ce que vous ne savez pas, les vaches consomment plus d'aliment et boivent plus d'eau. Il faut que l'État aide les éleveurs à réduire le sac d'aliment de bétail qui vaut 8 500 francs".
Le natif de Gouloum ne veut surtout pas entendre parler de réduction du cheptel et de stabulation. Dans une langue imagée pleine de verve, il assène ses vérités. "Vous vous rendez compte ! Ce qu'ils (les gouvernants) ont réussi avec la planification familiale, ils veulent de même pour les bovins." Un gros pavé dans la mare. "Nous, grands éleveurs, disons niet. Mon élevage extensif ne m'empêche pas, grâce aux croisements de races, de produire 40 litres de lait par jour", clarifie-t-il.
Promesse gouvernementale
Du côté des autorités, on dégage en touche. Au moment où ces lignes étaient en train d'être écrites, une délégation gouvernementale composée du ministre de l'Élevage et des Productions animales Aminata Mbengue Ndiaye, de son collègue de l'Hydraulique et de l'Assainissement, et du Gouverneur de Louga, avait fini de sillonner presque toute la zone sud du département de Linguère. Mansour Faye, du bout des lèvres, est obligé de constater que "(...) les ouvrages hydrauliques réalisés depuis 1951 sont en sousdimension par rapport aux besoins réels des populations et du bétail".
Mais il s'est empressé de noter que "le lac de Guiers va alimenter les départements de Linguère, de Ranérou. Ce transfert de l'eau va constituer les corridors céréaliers". Aux dires du ministre de l'Elevage, "le président Macky Sall a dégagé une enveloppe d'un milliard pour les mutuelles d'éleveurs du Sénégal dont 100 millions pour la banque Aynaabé de Dahra (...) Et il a débloqué 3 milliards pour payer une assurance au niveau de l'Union africaine". En attendant, l'élevage, poumon économique du département de Linguère, se porte très mal. Les acteurs, eux, sont condamnés à espérer que le ciel de l'hivernage 2015 veuille bien ouvrir ses vannes, assez tôt et en abondance, pour des lendemains meilleurs.
Le stockage de l'herbe décrié par tous
La question du stockage en quantité industrielle de l'herbe de brousse, le fameux "mboop", est sur toutes les lèvres et les éleveurs sont unanimes dans le discours. Les gants laissés aux vestiaires, ils pointent un doigt accusateur contre les spéculateurs de tous bords. En premier lieu, les opérateurs économiques locaux.
Selon Doula Ka, habitant de Rotto, "les nouvelles communes doivent mordicus voter des arrêtés interdisant le stockage d'herbe à des fins mercantiles". Preuve à l'appui, il fulmine : "Moi, j'ai vu quelqu'un qui a vendu son stock d'herbe sèche à 500 mille francs Cfa. Vous avez vu que tout juste après l'hivernage dernier, des camions ont pris d'assaut la brousse pour faucher l'herbe. A perte de vue, les terres de pâture sont nues. Une telle pratique tue à petit feu le sous-secteur dans la zone sylvo-pastorale".
A la suite, le dénommé Mamadou Ka appelle les équipes municipales "à protéger la nature contre ces pilleurs des ressources naturelles comme le bois, l'herbe, etc.".