"LE PROCÈS HABRÉ POURRAIT DÉBUTER EN MAI 2015"
STEPHEN RAPP, DÉPARTEMENT D’ÉTAT DES USA
Pour le chef du Bureau de la justice pénale internationale au Département d’Etat des Etats-Unis, le fait qu’il y ait finalement deux procès dans le dossier Hissein Habré, à Dakar et N’Djamena, est plutôt une bonne chose.
Quel est le sens de votre visite au Sénégal ?
Le sens, comme toujours, c’est le progrès avec les Chambres Africaines Extraordinaires (CAE) concernant l’affaire des crimes commis au Tchad pendant l’administration du Président Habré.
Et il y a des progrès ?
Il y a des progrès. J’ai visité à N’Djamena, les 13 et 14 octobre, pour une réunion avec le ministre tchadien de la Justice, le nouveau procureur et aussi les victimes, la société civile et les autres autorités pour encourager la coopération entre les deux systèmes, et aussi pour éviter le blocage dans le processus en cours à Dakar qui serait dû à celui en cours à N’Djamena. Et je suis inquiet sur ces questions. Mais je pense qu’il y aura une solution. L’accusation est bouclée et maintenant on attend un procès devant la cour de justice de N’Djamena concernant les deux accusés dans un groupe de 21 personnes impliquées dans les crimes de torture et d’assassinat durant l’administration du Président Habré. Il est possible de juger au Tchad les personnes qui sont des résidents tchadiens, et faire en sorte que le procès de M. Habré se déroule ici à Dakar où il est un résident.
Le Tchad a commencé à juger des personnes qui devaient être transférées aux Chambres africaines extraordinaires (CAE). N’est-ce pas un facteur de blocage ?
La question, c’est l’absence d’une autre vision pour les extraditions des personnes tchadiennes à Dakar. Il y a un accord entre les autorités tchadiennes et l’Union Africaine et les CAE pour une collaboration dans l’enquête et certainement pour l’interrogation des témoins, leur présence devant le tribunal au cours du procès.
Donc ces personnes ne viendront plus à Dakar ?
Je pense que ce sera très difficile de transférer ces personnes du Tchad à Dakar. C’est pourquoi je pense que la solution préférable maintenant, c’est d’organiser un bon procès là-bas pour les deux Tchadiens, et un bon procès pour les personnes qui sont résidentes au Sénégal. Mais je pense que c’est M. Habré seulement.
Est-il juste de juger Hissein Habré sans ces personnes retenues au Tchad ?
Oui c’est possible. Dans le système du Droit international, c’est possible de juger à La Haye les personnes responsables de crimes en ex-Yougoslavie, avant l’arrestation de plusieurs autres impliquées dans ces crimes. Maintenant et peut-être aussi, il y a le processus dans d’autres pays si le procès respecte les droits de l’Homme, les droits internationaux (...) Ce n’est pas possible de juger tout le monde dans un système.
Mais pourquoi avoir laissé le Tchad ne pas respecter l’accord qu’il a signé avec l’Union Africaine pour le transfert de ces personnes-là ?
Le ministre (Me Sidiki Kaba, Ndlr) m’a dit qu’il faut lire le texte ! Et dans ce texte, il n’y a qu’un article pour l’extradition, pour la coopération avec l’enquête certainement pour obtenir les preuves, les témoins, etc., mais pas pour le transfert des personnes à poursuivre. C’est une question de texte. Dans tous les cas, je pense que les autorités des CAE ont les compétences pour enquêter et juger tout le monde, mais la question est éventuellement la disponibilité des personnes. C’est très important d’éviter le report du processus. Il faut continuer avec le processus de Habré et peut-être les autres seront disponibles dans l’avenir et dans cette situation, on pourrait les juger en temps voulu.
Il va y avoir deux procès alors...
Il y a un processus au Tchad car des plaintes y ont été déposées par une partie civile avec des preuves, sous l’observation de la communauté internationale. Il y a peut-être une raison pour éviter un procès au Tchad, c’est la possibilité d’exercer des pressions sur les CAE. Finalement, on se retrouve avec une complémentarité comme avec la Cour pénale internationale (CPI). Mais ici avec M. Habré qui est au Sénégal depuis 20 ans, il est important de le juger ici au Sénégal, avec des garanties spéciales, des normes internationales, une cour internationale, un juge président choisi par l’Union Africaine. A mon avis, il n’est pas nécessaire de juger toutes les personnes impliquées dans le dossier Habré ici au Sénégal.
La crédibilité du procès va en souffrir quand même.
(...) On peut présenter les preuves avec un très bon processus, c’est possible avec une personne devant le prétoire. Considérez la situation de Charles Taylor. Charles Taylor était devant le prétoire, Slobodan Milosevic aussi. Pour un Chef d’Etat, c’est l’expérience. Ce n’est pas possible de joindre les autres parce qu’il y a beaucoup de personnes. Mais certainement, il faut utiliser le règlement pour déterminer les questions ; peut-être qu’il faudra juger par contumace, mais il est préférable que les accusés soient devant le tribunal, personnellement.
Selon vos informations, à quelle période pourrait se tenir le procès ?
A quelle date ? En mai, je pense. (...) Peut-être qu’il y aura le report mais avec la situation maintenant et le besoin de temps pour la chambre d’accusation des CAE de considérer les faits, en plus des autres éléments nécessaires à la bonne tenue du procès, je pense qu’il est possible que le procès de Hissein Habré débute au mois de mai 2015.