LE SYNDROME DU COMPLEXE IMPORTÉ
Rien à faire ! Ce condisciple de lycée a un faible pour tout ce qui est acheté à l’étranger. Dès qu’il dépasse Kidira, en allant vers la frontière avec le Mali, il est prêt à se payer une paire de sandales pourvu qu’il puisse dire : « Je l’ai acheté au Mali ».
Croyez- moi, un jour, il a voulu acquérir, dans un des pays limitrophes du Sénégal, un fût pour servir de réserve d’eau dans un contexte où les pénuries tenaient les ménages à sec. Un autre jour, c’est une pacotille de la gamme électronique. Un autre ami s’y est opposé parce qu’ayant fini par déceler le symptôme de l’extraversion à tout va. Mon condisciple n’est pas le seul dans ce cas.
Il y a quelques années, le code des branchés tournait autour d’un mot : « Youzba », pour dire « USA ». Un jean venu du pays de l’Oncle Sam était comme un tapis de prière pour les convertis à la religion du capitalisme dans ses attraits culturels.
La belle époque de «501» (Five One) ou « Jean & Co » était celui d’une toile de couleur bleue ou noire pour « Boy Disco ». Le goût portait une signature ostentatoire : il fallait relever la chemise pour faire apparaître la marque. Avec des élans de vantardise sur les rayons du soleil produisant un éclat au contact du fer argenté.
Beaucoup de commerçants ont fait fortune à la faveur de ce complexe de l’article venu d’ailleurs. Un conteneur rempli de babioles, des prix gratifiants pour les importateurs et le compte est bon.
Le fait est si marquant que dans les magasins, nous entendrons les ouvriers et les commerçants se lancer dans des échanges entre initiés. Pour des carreaux ou pour des accessoires électriques, vous entendrez parler de « français-bi », « italien-bi », « allemand-bi », « espagnol-bi », « chinois-bi »...
Le lexique s’enrichit même d’un mot composé : « Tchin-Tchin », pour nommer les produits venus de la Chine, « fabrique » du monde.
D’ailleurs, l’irruption de ces marques chi- noises n’a pas été du goût de nombre d’importateurs sénégalais. Subitement, la « pacotille » se trouvait une identité... étrangère. Dans quelle gamme faudra-t-il classer les articles importés avant ? Quelle était leur valeur réelle ? Silence radio de Sandaga (fief des nationaux) à l’assaut de Centenaire (notre Little China Town).
Les bénéfices d’hier sont les pertes d’aujourd’hui. Le perdant d’hier se nomme « acheteur ». Il gagne, aujourd’hui, quelques pièces sur la marchandise. C’est le vendeur qui crie au péril jaune lorsque la couleur de la marchandise ne varie pas sous le soleil. Un voile noir sur les profits !
Le snobisme fait recette. Les voyageurs comprennent cette petite coquetterie bien sénégalaise. Un voyageur peut ramener tout ce qu’il pourra pourvu, simplement, que cela porte l’estampille « France », « Etats-Unis d’Amérique » ou « Italie ». Le cadeau est devenu une grosse pression pour les voyageurs. Revenir sans le précieux présent condamne l’amitié et la fraternité au sort d’un moteur sans lubrifiant.
Les éléments s’entrechoquent et finissent par s’éroder. Même le pèlerinage n’échappe pas à cette tontine de l’affection. La solution est trouvée. Un détour au Marché Tilène ou au Marché HLM et le «Hadj» ou la «Hadja» est servi à domicile : chapelets, eau bénite, écharpes, châles, nattes de prière...
L’antidote à la maladie de l’excès de poids est trouvé. Dieu, l’obésité de nos envies d’ailleurs étouffe la progression saine des relations sociales.
Peu importe votre pouvoir d’achat. Puisque vous voyagez, vous avez la baguette magique pour faire des enflures à votre porte-monnaie. Pas de limites au pays de l’abondance : plus vous achetez, plus la fée de Paris ou New York, qui a oublié de se pencher sur votre berceau à cause de la température économique peu clémente, pourvoira.
Comme vous avez la bénédiction des mannes sous les tropiques, achetez sans compter. Une montre bas de gamme de « Youzba » est plus cotée que les œuvres d’art de nos artisans. Même un stylo venu d’ailleurs aurait une plus grande valeur que les écrits de penseurs comme Serigne Moussa Kâ, chantre du repentir pour un siècle de tourments.
Si vous revenez avec une valise rachitique, vous aurez l’air d’un parfait mythomane qui n’a eu le bonheur de visiter la Tour Eiffel que... par sa langue. Comprenez pourquoi nombre de voyageurs tiennent à signer leurs pérégrinations par le plus simple des présents : une photo avec, en profondeur de champ, des Européens de race blanche pressés de quitter la rue.
Vous verrez que peu de badauds peuplent le décor de ces nations au travail dont nous admirons l’œuvre en flânant. Mais attention aux logiciels de montage !
Je fais tout un plat de ce complexé de l’ailleurs pour relever mon plat de midi de belles graines récoltées par mes cousins. Dans trois ans, aucun grain de riz ne franchira les frontières sénégalaises. Le riz, du Walo à la Casamance, sera la passerelle d’un nouveau départ pour le consommer local.
C’est un plat tentant pour un pays accroché à son « thiéboudieune » et fainéant au seuil des rizières (inutile de traduire par ‘’riz au poisson’’ à la réputation ayant fini de faire le tour du monde). Ne soyons pas des sceptiques incorrigibles !
C’est dans les cordes d’un pays qui n’a massivement rejeté qu’un colis importé par un (finalement) sympathique étudiant guinéen : Ebola ! La peur a forcé l’unanimité contre cette fièvre hémorragique... Sur ce point, contrairement à la balance commerciale, tout penche pour la survie.
Il n’y a qu’Ebola que les Sénégalais n’aiment pas importer !