L’ENFER AU PARADIS
Le pèlerinage est devenu un business pour l’Arabie Saoudite, qui ne s'occupe que d’extension de son territoire pour avoir le plus de monde possible, sans veiller aux conditions de séjour des pèlerins
4495 morts
On ne le dira jamais assez. L’Arabie Saoudite a montré son impéritie à organiser le hajj dans des conditions de sécurité acceptables. Depuis quatre décennies, le nombre de morts par défaut d’organisation a atteint des proportions alarmantes.
En décembre 1975, un gigantesque incendie dans un campement de pèlerins près de La Mecque fait 200 morts. Le feu s'est déclaré à la suite de l'explosion d'une bouteille de gaz et s'est rapidement propagé dans les tentes.
Le 20 novembre 1979, plusieurs centaines d'hommes armés, hostiles au régime saoudien, se barricadent pendant deux semaines dans la Grande Mosquée de La Mecque et prennent des dizaines de pèlerins en otages. L'assaut est donné le 4 décembre. Bilan officiel: 153 tués, 560 blessés.
Le 31 juillet 1987, les forces de l'ordre saoudiennes répriment une manifestation interdite de pèlerins iraniens : 402 morts, dont 275 Iraniens.
Le 10 juillet 1989, un double attentat aux abords immédiats de la Grande Mosquée de La Mecque fait un mort et 16 blessés. Seize chiites koweïtiens accusés d'être les auteurs de l'attentat sont exécutés le 21 septembre suivant.
Le 2 juillet 1990, une gigantesque bousculade se produit dans un tunnel de Mina, vraisemblablement à la suite d'une panne du système de ventilation. Le bilan est très lourd : 1426 pèlerins, asiatiques pour la plupart, meurent asphyxiés.
Le 24 mai 1994, 270 pèlerins meurent dans une bousculade pendant le rituel de la lapidation de Satan à Mina, en raison d'un "afflux record" de pèlerins selon les autorités saoudiennes.
Le 7 mai 1995, trois personnes sont tuées et 99 autres blessées dans un incendie qui s'est déclaré dans un campement de pèlerins près de Mina.
Le 15 avril 1997, un incendie provoqué par un réchaud à gaz ravage des campements de toile de pèlerins dans la vallée de Mina, faisant 343 morts et plus de 1.500 blessés.
Le 9 avril 1998, plus de 118 pèlerins sont tués et plus de 180 blessés dans une bousculade à Mina lors du rite de la lapidation des stèles.
Le 5 mars 2001, 35 pèlerins sont tués et plusieurs autres légèrement blessés lors du rite de la lapidation.
Le 11 février 2003, 14 fidèles périssent au premier jour de la lapidation des stèles à Mina.
Le 1er février 2004, 251 personnes sont tuées dans une bousculade à Mina, au premier jour de la lapidation des stèles.
Le 22 janvier 2005, trois pèlerins sont morts lors de bousculades pendant la «lapidation de Satan» à Mina.
Le 6 janvier 2006, 76 personnes périssent dans l'effondrement d'un hôtel vétuste dans le centre de La Mecque. Six jours plus tard, 364 pèlerins sont tués lors d'une bousculade pendant le rituel de la lapidation des stèles de Satan à Mina, près de la Mecque.
Ce dernier rituel du hajj consiste à jeter des cailloux en direction de trois stèles, symbolisant Satan selon la tradition musulmane.
Le 11 septembre 2015, 109 personnes sont tuées et 184 blessées lorsqu'une grue s'effondre sur la Grande mosquée et le 24 septembre 2015, une bousculade à Mina fait 717 morts et plus de 800 blessés (bila officiel). Mais visiblement les victimes ont dépassé le mille.
Incompétents et irresponsables
En quatre décennies, le pèlerinage à La Mecque aura fait 4495 victimes, toutes mortes dans des conditions tragiques. Les lieux saints de l’Islam, au lieu d’être une terre de rémission des péchés pour les pèlerins, semble devenir un calvaire, voire un véritable mouroir. Et chaque fois qu’un drame se produit, les autorités saoudiennes, Ponce-Pilate, dégagent en hâte leurs responsabilités pour accuser insolemment et irrespectueusement «l’indiscipline des pèlerins étrangers».
Concernant les 717 tués de Mina, le ministre saoudien de la Santé, Khaled al-Faleh, s’est empressé d’attribuer la bousculade meurtrière au manque de discipline des pèlerins en déclarant à la hâte que «si les pèlerins avaient suivi les instructions, on aurait pu éviter ce genre d'accident». C’est dire que les autorités saoudiennes n’ont aucun respect pour les morts venant des autres pays.
Ainsi certains hypocrites prêcheurs locaux, complices de ces meurtres (le mot n’est pas trop fort) et nimbés de leur pseudo érudition, se résignent devant la fatalité pour invoquer la volonté divine. Et pour pousser le bouchon de leur hypocrisie jusqu’à l’extrême, ils ouvrent aux victimes de la bousculade les portes du paradis. Pourtant ces malheureux n’ont jamais souhaité partir au paradis de cette façon. Et aucun de ces décervelés, qui sortent ces balourdises pour exonérer l’Arabie Saoudite de ces horreurs à répétition portant une seule empreinte, l’irresponsabilité et l’incompétence, ne souhaite entrer au paradis de façon aussi infernale.
Pourtant selon Saïd Ohadi, le chef de l'organisation iranienne du hajj 2015, «la fermeture d’un chemin près de l'endroit où les pèlerins effectuent le rituel de la lapidation symbolique de Satan, pour des raisons dissimulées, sont à l’origine de cette hécatombe».
Le trajet de Mina pour la lapidation de Satan est devenu un véritable chemin de croix pour les fidèles. Et arriver à destination est une véritable prouesse. La densité de la foule dans cet espace très réduit est sujet à des bousculades meurtrières. En sus il y a la température qui peut monter jusqu’à 55 degrés. Dans ces conditions, l’épuisement, la déshydratation et la nervosité sont des facteurs favorables à ces bousculades assortis de plusieurs morts par asphyxie ou piétinement.
Et puisque la volonté divine a fait que les lieux saints se trouvent en terres d’Arabie, il est de leur devoir d’assurer un pèlerinage sans mort par défaut de sécurité. Et ce n’est pas chose impossible avec tout l’argent qu’il thésaurise pendant le hajj. Rien que cette année les autorités saoudiennes ont empoché des 1 952 817 fidèles 37 milliards d’euros, soit 24 271 milliards de francs Cfa.
Cette manne financière est la deuxième ressource du pays après le pétrole. Et pourtant, on ne voit pas l’argent qui est investi pour assurer la sécurité et le confort des pèlerins. À la place, l’Arabie Saoudite préfère renforcer son arsenal militaire. Le royaume wahhabite est le premier acheteur d’armes au monde. En attestent ses importations en armes qui en 2015 ont atteint 9,8 milliards de dollars.
Il est inadmissible aujourd’hui avec tout ce qu’offre la technologie dans tous les domaines, avec toute la manne faramineuse que reçoit l’Etat saoudien à partir des pèlerins de voir que les conditions d’organisation du hajj s’empirent d’année en année alors que c’est l’inverse qui devait se produire. Le rite du pèlerinage est effectivement devenu un business touristique religieux pour les autorités saoudiennes, lesquelles ne s'occupent que de travaux d’extension de leur territoire pour avoir le plus de monde possible, sans veiller un tantinet aux conditions humaines minimales des pèlerins dans les lieux saints. Le seul but de la dynastie des Saoud est de protéger son trône et de perpétuer sa mainmise sur les immenses richesses du pays.
Casser le monopole saoudien
Aujourd’hui il est de plus en plus question de contester l’organisation exclusive du hajj par le royaume wahhabite qui a atteint le seuil de son incompétence. Les lieux saints se trouvent en terre d’Arabie mais ils appartiennent à toute la Ummah islamique.
Aujourd’hui toutes autorités en charge de l’organisation du hajj sont passibles de poursuites devant les tribunaux. Et puisque l’Arabie Saoudite applique encore la peine de mort, les responsables de ce drame qui a causé la mort de plus de 800 personnes devaient gouter à la lame fine du sabre.
Pourtant au même moment un jeune Saoudien chiite du nom d’Ali al-Nimr, attend d’être décapité pour avoir pris part en 2012 seulement à une manifestation anti-monarchie inspirée du Printemps arabe, alors qu'il était mineur au moment des faits. Mais la vie des Iraniens chiites et des pauvres nègres ne valent pas grand chose devant l’honneur de la dynastie des Saoud qui règne sans partage sur l’Arabie depuis 1744.