ONZE ANS APRES LE NAUFRAGE
LE JOOLA, ETERNELLE DOULEUR

Onze années après le naufrage du bateau Le Joola, le 26 septembre 2002 au large des côtes gambiennes, les souvenirs et les clichés restent toujours vivaces. La surdose d’horreur et de sordide de la plus grande tragédie de l’histoire du Sénégal a survécu aux années. Flashback sur la nuit fatidique qui a officiellement coûté la vie à 1 864 victimes.
Le ressac, qui balaie annuellement la plage des réminiscences, n’a toujours pas eu l’heur d’éclipser cette tragédie gravée dans les pages de l’histoire du pays. Il y a toujours ces flots de souvenirs ballottés par les vagues et qui ont survécu après 11 ans. Et pendant onze années, le spectre du bateau Le Joola ainsi que les fantômes des naufragés hantent toujours la liaison Dakar-Carabane-Ziguinchor. Les eaux du mouroir des côtes gambiennes bouillonnent toujours du récit surréel de cette nuit fatidique et le rétroprojecteur en dit toujours l’indicible souffrance.
Ce jeudi noir, Le Joola quittait le port de Ziguinchor sous une météo clémente : Ciel clair, vent nul. Pourtant sous ces bons auspices était tapie une ombre prête à pourrir. Le navire qui effectuait sa troisième rotation depuis sa réparation avait officiellement à son bord 809 passagers en possession d’un billet plus les 52 militaires membres de l’équipage. A la vérité, il y en avait bien plus. Combien ? Nul ne saurait le dire. Toujours est-il que le navire entreprit dans des conditions extrêmes la descente du fleuve Casamance. Au bout de trois heures, Le Joola fait escale à Carabane où sa surcharge est davantage ponctuée. A bord, l’insouciance gagne les voyageurs alors que le bateau s’inclinait fortement à tribord. Les passagers convergent vers le bastingage pour savourer le spectacle.
Pourtant la fiche technique du bateau renseignait sur ses réelles capacités. Conçu dans les usines allemandes, Le Joola était un transbordeur d’eaux côtières de 1 532 tonnes, de 79m50 de long, avec une largeur de 12m50 et un tirant d’eau de 3m10. Sa cale de chargement de 450 m3 pouvait emporter 550 tonnes de marchandises, dont une dizaine de véhicules. Mis en service en décembre 1990, il a soulagé les populations, surtout les commerçants qui trouvaient en lui, un palliatif avantageux face aux dangers de la route. Mais le rythme des navettes avaient fini d’éprouver sérieusement le moteur du navire. Le 13 septembre 2001, Le Joola est immobilisé pour la réparation d’avaries mécaniques et le remplacement de son moteur bâbord. Il reprend du service presque un an plus tard, soit le 10 septembre 2002.
A Carabane, les choses se précipitent : le ciel s’assombrit et une violente bourrasque commence à souffler. Quand le navire appareille, la visibilité est quasiment nulle et un brouillard happe l’embarcation qui glisse cahin-caha vers l’inconnu de l’océan. A 18h 45 l’équipage a envoyé un message au centre de coordination des opérations de la Marine à Dakar, pour indiquer que le navire était sorti du fleuve Casamance et qu’il poursuivait normalement sa traversée dans l’océan. Un peu avant 23h, le bateau naviguait à 40 km des côtes gambiennes à environ 170 km au sud de Dakar dans une mer houleuse avec des coups de vent à 50 Km/h et toujours sous une forte pluie. Malgré tout, rien ne sape l’ambiance à bord. Comme à chacun de ses périples, on festoie et on danse aux rythmes de l’orchestre. Alors que la mort rôdait aux alentours…
Ensuite, tout est parti très vite, les bourrasques de vent ont accentué l’inclinaison du navire. Pour s’abriter du vent et de la pluie, beaucoup de passagers se sont précipités en masse du côté bâbord ce qui a brusquement accentué le déséquilibre du navire. Ce désordre fait tanguer dangereusement le navire qui se renverse finalement sur un côté et commence à prendre l’eau. En cinq minutes, Le Joola a chaviré sur sa base. La panique s’empare des passagers qui se jettent à l’eau du haut du pont. Ceux qui étaient à l’intérieur, moins fortunés, sont pour la plupart surpris dans leur sommeil. Ils ne se réveilleront plus jamais. Les plus prompts ont réussi à s’en tirer en brisant les hublots. Il s’incline en engloutissant près de 1 864 personnes. Seul un radeau de sauvetage a servi de planche de salut à 25 rescapés. D’autres sont parvenus à se hisser sur la coque du navire. Ce n’est que vers 7 heures du matin qu’ils seront secourus par des pêcheurs. La mort venait par là, de remporter haut la main, son duel toujours répété avec la vie.