POURQUOI JAMMEH S'ENFERME
LA GAMBIE FERME SES FRONTIÈRES AVEC LE SÉNÉGAL
La Gambie a décidé depuis jeudi dernier de la fermeture de sa frontière terrestre avec le Sénégal. Une mesure prise par Yaya Jammeh qui effectue une tournée économique dans le Farafenni.
SENOBA - Le calvaire continue pour les voyageurs qui empruntent le bac de Farafenni en Gambie. Après le bras de fer entre le Syndicat national des transporteurs du Sénégal et les autorités gambiennes, occasionnant auparavant plus de cinq mois de grève des transporteurs sénégalais, c’est au tour du Président Yaya Jammeh d’ordonner à nouveau la fermeture de ses frontières avec le Sénégal. Et cela depuis jeudi 17 avril. Un fait qui s’explique par une tournée économique que l’homme fort de Banjul est en train d’effectuer dans la contrée du Bassin à hauteur de Farafenni.
Cette décision bloque ainsi des milliers de passagers et des centaines de véhicules sur les deux côtés de la rive du fleuve Gambie. Ces derniers ont été obligés de rebrousser chemin pour prendre la corniche. Ce qui a entraîné des grincements de dents entre transporteurs et clients.
Les premiers «Horaires» qui ont quitté Ziguinchor, Bignona, Oussouye, Sédhiou ou Kolda n’ont reçu l’information qu’à leur arrivée à Senoba, au niveau de la frontière. «Il paraît que le Président Yaya Jammeh effectue une visite dans la zone. Et comme il ne joue pas avec la sécurité, il a décidé tout simplement de fermer ses frontières», a déploré Cheikh Kandji, un chauffeur de bus en provenance de Ziguinchor.
Ahmadou Ndiaye, un autre chauffeur de bus en provenance de Sédhiou, dit ne pas être au courant de la mesure. Ce dernier, sous le choc, a déversé sa bile en prenant comme cible le gouvernement sénégalais : «Il faut que nos autorités prennent ce problème du bac à bras-le-corps. Toujours c’est les mêmes problèmes, les mêmes revendications qui reviennent. C’est une honte que des chauffeurs sénégalais avec leurs clients s’affrontent ici devant des gens qui ne sont même pas conscients».
Même son de cloche chez Ibrahima Badji. Enseignant de son état, la quarantaine et en compagnie de sa famille, en provenance d’un Gamou dans la région de Sédhiou, il n’y a que deux solutions qui s’offrent à eux. «Soit il faut aller par la corniche, c’est-à-dire contourner par Tamba, ou faire le reste du voyage par étape. Moi, j’ai choisi d’emprunter la corniche parce que certes c’est long, mais je n’ai pas assez d’argent pour continuer le trajet par étape. Vraiment l’Etat du Sénégal doit réagir et mettre fin à cette situation», a-t-il indiqué.
Du côté des autorités sénégalaises, on ignore jusqu’à présent les vraies raisons de la fermeture. «On n’a pas encore reçu une information fiable de la part des autorités gambiennes. Mais on a appris que le Président Yaya Jammeh est en train d’effectuer une tournée dans la zone. C’est à 15 heures qu’on les a vus fermer la frontière sans nous demander ni nous aviser», explique un agent de la police des frontières, face une foule débordante de colère à Senoba. Ce dernier d’appeler les voyageurs au calme et les incite à respecter la décision de l’autorité gambienne sans violence.
Quant aux autorités gambiennes, c’est toujours le silence. «C’est notre frontière pas la vôtre. Si le Président décide de la fermer alors vous voulez quoi ? La chose est simple. Comme vos compatriotes nous répondent vulgairement, disant qu’ils ont un autre chemin alors quittez. Nous ne sommes pas là pour vous écouter, mais appliquer les décisions de notre Président c’est tout», nous a lancé un policier gambien.
VERS UNE CRISE DIPLOMATIQUE ?
Les relations diplomatiques entre le Sénégal et la Gambie risquent de traverser une période très délicate avec cette fermeture soudaine des frontières reliant les deux pays. Pour rappel, cela fait près de cinq mois que les véhicules qui se rendaient ou qui venaient de la Casamance étaient contraints de faire un détour pour contourner la Gambie. Et après que les transporteurs des deux pays ont trouvé un accord pour lever le blocus de la traversée par le ferry de Farafenni de la Gambie par les transporteurs sénégalais, voilà que cet événement, comme un cheveu dans la soupe, est venu compliquer une situation qui était déjà bien «pourrie».
LA THÈSE DU COUP D'ÉTAT
Selon le Secrétaire général du Syndicat des travailleurs des transports routiers affilié à la Cnts/Fc, Gora Khouma, l’origine de cette fermeture reste encore méconnue même s’ils ont des échos un peu partout. «Un des membres du syndicat des transporteurs gambiens m’a dit au départ que Yaya Jammeh devait faire une tournée électorale à Farafenni, raison pour laquelle on avait fermé les frontières. Ce qui ne m’avait pas convaincu. Alors, mon représentant est allé voir les douaniers gambiens qui lui ont également affirmé qu’ils avaient reçu des instructions. Il s’est alors après rendu auprès des douaniers sénégalais qui d’ailleurs n’étaient même pas informés de la situation», informe-t-il.
Une information que M. Khouma dit avoir essayé de creuser en vain. Mais il a entendu une autre version différente de celle qu’on lui avait déjà donnée. «On a également eu échos que Yaya Jammeh aurait flairé un coup d’Etat et que c’est pour cela qu’il a donné ces directives par mesure de sécurité pour empêcher que les futurs malfrats n’entrent en Gambie. Aussi, d’autres ont dit qu’il aurait voulu donner une leçon aux Sénégalais qui ont boycotté la Gambie pendant 4 mois et qui se targuent à dire que c’est le Sénégal qui nourrit la Gambie».
Pour Gora Khouma, la Gambie cherche des histoires et essaie de trouver des prétextes pour justifier l’acte qu’il vient de poser. A l’en croire, la fermeture de cette frontière n’a pas ralenti et ne peut pas ralentir leurs activités. «Elle rentabilise d’ailleurs nos affaires, on ne la sent pas du tout», lance le syndicaliste. Seulement, regrette-t-il, «Ziguinchor va sentir les conséquences de cette fermeture. Puisque ces Sénégalais du sud mènent leurs plus grandes activités dans cette zone».
ALASSANE NDOYE : «LES AUTORITÉS SÉNÉGALAISES DOIVENT PRENDRE LEURS RESPONSABILITÉS»
Pour sa part, Alassane Ndoye, qui se trouve à la tête du Syndicat national des travailleurs des transports routiers du Sénégal (Snttrs/ Cnts), estime que les autorités sénégalaises doivent prendre leurs responsabilités. «On ne sait pas grandchose sur cette affaire et on a aucune information sur le pourquoi de cette fermeture des frontières. C’est pour cela que les autorités sénégalaises doivent prendre leurs responsabilités».
Très remonté contre le Président gambien, il martèle : «Si Yaya Jammeh se permet de nous traiter d’une certaine façon, c’est bien parce que nos gouvernants sont en partie responsables. Si j’étais le président de la République, j’aurais trouvé il y’a bien longtemps une voie pour contourner la Gambie ». Il regrette le fait que les chauffeurs sénégalais ont l’habitude de passer par la Gambie et qu’il leur sera donc difficile de s’adapter à une autre voie. «Mais, renchéritil, «cette fermeture ne peut pas nous affecter ».
Du côté des autorités sénégalaises, les responsables du service communication du ministère de Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, joints par nos soins, n’ont pas voulu réagir. Ils annoncent, cependant, que le ministre Mankeur Ndiaye va communiquer sur le sujet d’ici peu.