QUAND ALLUMERA-T-ON LES GRANDS ÉCRANS ?
SALLES DE CINEMA DANS LE NOIR

Après leur disparition en cascade intervenue au début des années 2000, la réouverture des salles de cinéma ne cessent d’être réclamée aussi bien par les exploitants et producteurs de films que les cinéastes. De 34 salles de cinéma d’exclusivité en 1974, Dakar n’en compte aujourd’hui que quatre. Avec la subvention d’un milliard de francs CFA octroyé en 2013 par l’État du Sénégal pour booster la production cinématographique, la question du manque de salles de cinéma revient à l’ordre du jour. D’autant que beaucoup de cinéphiles se demandent où va-t-on regarder les films financés avec l’argent du contribuable sénégalais?
En longeant l’avenue Bourguiba, précisément en face du stade Demba Diop, un bâtiment en construction semble être celui qui attire le plus les attentions. Contigu à la station d’essence Shell et clôturé avec des zincs, le chantier en question augure un bâtiment imposant.
Et les longs échafaudages qui le cintrent sur tous les cotés, prouvent de l’importance des travaux. Tout comme les volumineuses décharges de ciment et de fers.
Avec les vrombissements de moteurs des voitures qui passent et repassent comme un cortège de fourmis et les coups de marteaux donnés ça et là, impossible d’entendre les voix des passants qui n’hésitent pas à jeter un coup d’œil sur les travaux.
A l’image de l’infrastructure sportive qui lui fait face, ce lieu où est érigé le nouveau chantier était aussi un espace de divertissement. Il s’agit de la mythique salle de cinéma «Liberté», qui a fermé depuis belle lurette comme la majeure partie des salles du Sénégal.
En se rapprochant de la porte où les entrées sont filtrées pour se renseigner auprès des ouvriers à quoi va servir le futur bâtiment, Mor Ndiaye, le chef de chantiers, nous renseigne : «Nous construisons une salle des fêtes pour un promoteur français. Maintenant vous pouvez partir !». Pas plus.
ABECEDAIRE DES SALLES FERMEES.
Ainsi, on vient de se mettre à l’évidence que la descente aux enfers de l’industrie cinématographique sénégalaise n’est pas encore finie. Car à l’image de «Liberté» qui va être remplacée par une salle des fêtes, la quasi-totalité des salles de cinéma du Sénégal ont été transformées en d’autres structures commerciales.
C’est le cas des cinémas Al Akbar de Niary Tally et U3 des Parcelles assainies, toutes devenues des temples évangéliques. Parallèlement à ces deux, les salles comme El Malick de Sandaga, Roxy de Tiléne sont devenues des centres commerciales, là où Vox de Pikine et Le Paris du Plateau sont complètement rasées.
S’agissant du cinéma El Hadji de la Gueule Tapée, elle est devenue le dancing Penc Mi. Et il en est ainsi pour les autres, sauf quatre qui maintiennent le flambeau. Il s’agit des cinémas Le Médina, Christa de la cité millionnaire, Awa de Pikine et l’Institut Français.
LE FOPICA OU L’ESPOIR DE LA RENAISSANCE DU SEPTIEME ART.
Ce manque criard de salles de diffusion de films est le signe évident que le cinéma sénégalais va de mal en pis. C’est certainement ce dont s’est rendu compte le président Macky Sall qui a décidé de la mise sur pied du Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (FOPICA) enrichi d’un budget d’un milliard.
Cette subvention exclusivement dédiée au financement de tournages de films est bien appréciée par les promoteurs sénégalais du secteur.
Pour Khalilou Ndiaye, secrétaire général de l’Union des exploitants de cinéma et exploitant du cinéma Le Médina, cette subvention vient à son heure. «Le président a fait une bonne chose avec cette subvention», magnifie-t-il.
«Seulement, poursuit-il, il faut que l’État pense l’année prochaine à accorder une autre subvention pour la construction de nouvelles salles». Selon lui, le secteur est difficile et les promoteurs qui sont restés l’ont fait par passion. «On a de gros problème de trésorerie», a-t-il informé.
Dégageant d’autres pistes de relance de l’industrie cinématographique, l’exploitant est d’avis qu’il faut même encourager l’État à créer des structures d’appui au secteur.
Avec cela, il estime que «les promoteurs pourront prendre le risque de solliciter des crédits et d’être autonomes dans leur travail». Même son de cloche chez Ndiouga Makhtar Ba.
Pour ce producteur de films et directeur de Médiatik Communication, il est tout à fait normal de penser d’abord au contenu en subventionnant la production de films qui reflètent notre tradition. «Il est pertinent de commencer par le contenu car il ne servira à rien de construire des salles pour y faire passer des produits étrangers disponibles sur Internet et ailleurs», pense-t-il.
A l’en croire, c’est la production de films sénégalais et africains qui va permettre aux salles de cinéma de se réconcilier avec le public. Apres lui, le cinéaste Ousmane William Mbaye lui emboite le pas.
Comparant d’emblée la disparition des salles de cinéma à «un scandale négligé aussi bien par le public que l’État du Sénégal», l’auteur de «Président Dia» pense que cette subvention constitue un grand pas dans la renaissance du cinéma sénégalais. «Nous tous qui travaillons autour du cinéma, devons dépasser le stade de lamentation pour aller de l’avant», pense-t-il.
En ce qui concerne la construction de nouvelles salles de cinéma, Mbaye propose une nouvelle architecture de ces lieux afin qu’elles soient en phase avec les exigences d’un monde qui bouge.
Il donne les détails : «Si jamais de nouvelles salles devraient être construites, il faut qu’elles soient modernes car le modèle des salles classiques qu’ont connu les Sénégalais, est révolu. Maintenant, dans les cinémas du monde entier, on a des bibliothèques, des salles de fêtes, des restaurants et tout ce qui peut créer une ambiance pour le plus grand bonheur du public».
Toujours dans la perspective de doper le secteur cinématographique sénégalais et africain, l’auteur de «Xalima» (la plume) suggère la coproduction de films entre africains. «Un film coproduit par le Mali et le Sénégal aura plus de visibilité et de rentabilité car il sera suivi par un public sénégalais et malien», fait-il savoir.