QUAND LES ''JAKARLOS'' CONCURRENCENT LE ''NGOYANE''
SOIREES CULTURELLES A NIORO

Dans le département de Nioro, le « Ngoyane », cette sonorité du Saloum qui mobilise des calebasses, ne fait pas courir les jeunes. Ceux-ci optent, de plus en plus, pour les « Jakarlos » ces soirées culturelles qui rassemblent des jeunes et des batteurs de tam-tams. Les adultes s’en désolent et alertent contre une déperdition de l’identité culturelle du Rip.
Des filles bien habillées. De jeunes batteurs de tam-tams surexcités. Des enfants en uniforme pour faire de belles chorégraphies devant des jeunes et des femmes. A Nioro, les « Jakarlo», des face-à-face entre jeunes ponctués de danses, font fureur. Ils ne laissent plus les férus de culture indifférents.
Dans les quartiers, l’organisation de «Jakarlo » est presque devenue une fierté pour les filles. « C’est une occasion pour nous de nous épanouir. Nous voulons aussi montrer que nous pouvons nous adapter à ce qui se passe dans les grandes villes en matière de culture », lance Eva, une jeune habitante du quartier Médina.
Vêtue d’un grand boubou bleu, Eva et d’autres jeunes de ce quartier ne veulent pas être en reste dans l’organisation de «Jakarlos ». « Nous sommes là pour nous divertir. La nuit sera chaude. Nous allons sortir de très belles phases de danses», a lancé Ndèye Thiam, une des organisatrices de la soirée.
Pour la circonstance, les organisatrices n’ont pas lésiné sur les moyens. Des enfants vêtues d’uniformes ont ouvert le bal. Avec de belles chorégraphies, elles ont tenu en haleine le public pendant une dizaine de minutes. Elles entonnent, en même temps, des « Tassous » (chants). De jeunes danseurs sont également debout pour démontrer leurs talents. Comme des arbitres, les batteurs de tams-tams rivalisent d’ardeur pour déterminer le vainqueur des face-à-face.
Les autres quartiers de Nioro abritent souvent des « Jakarlos ». Ces soirées semblent concurrencer le « Ndoyane » qui symbolisait l’identité culturelle de cette partie du Saloum. «Le département de Nioro est le berceau du Ngoyane. Centrées sur l’utilisation des calebasses et les belles chansons qui revisitent l’histoire de notre terroir, ces sonorités mélodieuses sont de plus en plus reléguées au second plan.
Les jeunes préfèrent maintenant le ‘Bara Mbaye’, le ‘Thiébou dieune’ qui sont des danses venues d’ailleurs », déplore Fatou Mbaye, une femme de 55 ans, visiblement nostalgique des grandes nuits du Ngoyane. «Pendant notre jeunesse, nous organisions des nuits de Ngoyane. Les griots venaient de Médina Sabakh avec des calebasses et des tamas. Par la magie des chants, les griots arrivaient à galvaniser les organisateurs qui n’hésitaient pas à mettre la main à la poche. Les danses que nous pratiquions n’étaient pas obscènes. Aucune partie intime du corps n’était visible quand une danseuse entrait dans l’enceinte. Aujourd’hui, c’est n’importe quoi. Le Saloum est en train de perdre ses valeurs culturelles », se désole Mme Mbaye.
Mamadou Ndao, un homme âgé de 52 ans, dit se souvenir des grandes soirées culturelles du Saloum. «Ces soirées n’ont rien à avoir avec ce qui se passe actuellement. Les nuits du ‘Ngoyane’ poussaient les jeunes à bien persévérer pour se faire distinguer. Chacun voulait que les griots revisitent son arbre généalogique pour donner de l’argent en contrepartie. C’était merveilleux. Tout le monde avait sa place dans ces soirées. Actuellement, aucun homme assez âge n’ose partir dans les « Jakarlos» par crainte d’être la risée des enfants», explique M. Ndao.
Mais notre interlocuteur disculpe les jeunes. « Ils ne sont pas responsables. C’est à cause de la crise que les grandes nuits du Ngoyane sont devenues rares. Pis, les meilleurs chanteurs ont presque migré vers Dakar pour mieux gagner leur vie. Du coup, les jeunes n’ont pas souvent la chance de goûter à ces sonorités locales », souligne Mamadou Ndao.
«Le développement des médias, la télévision notamment, fait que les jeunes sont en contact avec d’autres facettes culturelles sénégalaises. Ils voient toujours les Ndèye Guèye, Mbathio Ndiaye et les autres danseurs à la télé», analyse-t-il. « A ce rythme, c’est toute la région de Kaolack qui risque d’être rayée de la carte artistique du Sénégal.
Pourtant, nous avons beaucoup de potentialités à vendre. Le ‘Ngoyane’ est un immense patrimoine culturel qui doit être valorisé. A Dakar, les soirées ‘Ngoyane’ mobilisent beaucoup de monde. Pourquoi cela n’est pas possible dans le Saloum ? Il faut que tout le monde se mobilise », ajoute-t-il.
En tout cas, les jeunes ne semblent pas être prêts à renoncer aux «Jakarlos ». « C’est la mode. Nous faisons comme les autres. La culture n’a pas de frontière. Les ‘Jakarlos’ permettent de raffermir les relations entre les jeunes. Ce sont des moments de communion et d’épanouissement. Les participants viennent, le sourire aux lèvres. Les mécontents n’ont pas de place chez nous », se défend Penda Seck, une fille de 25 ans.
« Nous laissons le ‘Ngoyane’ à nos mamans. Nous préférons juste écouter quelques sons de ‘Ngoyane’. Si nous voulons nous épanouir, nous préférons danser le ‘thiebou dieune’ et les autres styles », ajoute Penda Seck.
« Nous admettons que nous devons faire des efforts pour éviter que des danses obscènes ne soient notées lors des soirées. D’ailleurs, rares sont les filles qui font cela. Nous sommes conscientes que nous habitons dans une zone où il y a des conservateurs. Nous ferons des efforts », insiste notre interlocutrice.