"QU'ILS PARTENT D'ABORD !"
AVANT DE NÉGOCIER AVEC LE GOUVERNEMENT, LES ÉTUDIANTS DE L’UCAD RÉCLAMENT LE DÉPART DES MINISTRES DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE L'INTÉRIEUR

En assemblée générale hier à l’université Cheikh Anta Diop, les étudiants ont décrété une grève illimitée. Ils acceptent de discuter avec le président de la République, mais demandent au préalable le départ du ministre de l’Enseignement supérieur et son collègue de l’Intérieur.
Macky Sall s’est dit disposé à dialoguer avec tous les acteurs de l’université, notamment les étudiants pour trouver des solutions définitives à la crise qui mine l’université Cheikh Anta Diop et plus généralement l’enseignement
supérieur. Les étudiants sont certes disposés à donner une suite favorable à cet appel au dialogue, mais ils exigent au préalable le limogeage des ministres Mary Teuw Niane de l’Enseignement supérieur
et Abdoulaye Daouda Diallo son collègue de l’Intérieur. Ils l’ont dit hier au cours d’une assemblée générale. Tidiane Cissé dit Kabakourou, membre actif du mouvement étudiant, a martelé que le renvoi
de ces derniers du gouvernement est une condition sine qua non pour entamer des discussions avec le président de la République. L’étudiant a par ailleurs expliqué que des informations erronées sont distillées concernant le
nombre de blessés, de morts, ainsi que les dégâts matériels occasionnés par la répression policière. Sur ce, les étudiants sont en train de faire l’état des lieux et en même temps d’élaborer un plan d’actions.
Rassemblés devant le pavillon A, les étudiants ont décrété une grève illimitée. Et selon Kabakourou, le mot d’ordre est respecté par tout le monde. «Nous ne reviendrons pas sur notre décision tant que nos sollicitations
ne seront pas satisfaites.» Cette grève illimitée ne sera pas sans conséquences dans le déroulement de l’année universitaire. «Nous avons des solutions pour sauver l’année. Une fois que le président aura répondu à
nos attentes, nous lui proposerons des solutions, car nous en avons», a-t-il révélé. Pour Tidiane Cissé, le statut de l’étudiant doit être rehaussé. Il doit être mis au devant de toutes les concertations.
Les étudiants veulent que la gendarmerie se saisisse de l’affaire
Quant à la promesse du chef de l’Etat de faire la lumière sur cette affaire, les étudiants de dire que la police ne leur inspire pas confiance. «On lui demande de confier cette tâche à la gendarmerie. Pour nous, c’est plus sûr», a martelé Christian, lui aussi membre du mouvement. L’étudiant s’est dit heurté d’entendre Mary Teuw Niane expliquer que toutes les bourses sont payées. «Ce n’est pas vrai, je vous dis. Des milliers d’étudiants n’ont pas encore perçu leurs bourses», a-t-il fulminé.
Dimanche, de retour d’un périple aux Etats-Unis et en France, le président de la République a fustigé l’attitude de certaines personnes tapies dans l’ombre qui influencent les étudiants. Christian a répondu, en soutenant que leur mouvement n’est pas infiltré par des politiciens et que les étudiants qui sont allés rencontrer des autorités l’ont fait en leur propre nom et ne représentent pas le mouvement étudiant. Ainsi, aux autorités politiques qui souhaiteraient les aider, il a demandé de venir au terrain de basket du campus. ‘’On va les recevoir ici et discuter avec eux. Mais de notre côté, on ne se déplacera pas pour voir quiconque’’, a-t-il assuré.
APRES LES EVENEMENTS A L’UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP
L’UCAD se vide de ses occupants
4 jours après les violents affrontements qui ont endeuillé le campus de l’Ucad, les étudiants ont pris le parti de déserter les lieux. Hier, après qu’un mot d’ordre de grève illimitée a été décrété, ils ont continué à quitter les lieux.
Hier lundi, on se serait cru en week-end à l’Ucad. A la place du bouillonnement habituel, un calme plat régnait sur les lieux. Pour cause, depuis la mort de l’étudiant Bassirou Faye, les étudiants vident les lieux. Hier, le mot d’ordre de grève illimitée a accéléré ce mouvement de désertion du campus qui commence à sonner creux. Le constat était plus frappant dans les pavillons où les chambres sont presque vides. Le pavillon B, le plus touché par la répression policière, porte encore les stigmates des affrontements. Quelques étudiants étaient en train de ranger leurs affaires. Des femmes de ménage tentaient tant bien que mal de rendre les lieux habitables.
En effet, quatre jours après les faits, le spectacle est toujours aussi hallucinant. Il est 15h, derrière le pavillon B, des étudiants en rang retirent leurs cartes Ecobank et d’autres font des réclamations. Vêtu d’un teeshirt rouge et d’un jean bleu, assis à même le sol, Souleymane Diamanka dit sa détermination et celle de ses camarades à aller au bout de cette grève. «Nous luttons pour une cause noble. Nous sommes obligés d’aller jusqu’au bout de cette affaire, sinon nous risquons de gâcher tout ce que nous avons construit. Ce n’est plus le moment de reculer. Il faut que les choses se rétablissent de façon définitive au sein de l’espace universitaire », dit-il.
Son ami Tidiane Diallo interpelle l’Etat. «La question de la bourse est un point très sensible pour les étudiants. Cela a causé la mort d’un étudiant. Mary Teuw doit avoir la culture de la démission et partir. Car actuellement tout le monde réclame son limogeage ou sa démission. Il a échoué sur tous les plans.»
Eclairer la mort de Bassirou Faye
Dans l’après-midi, vers 16h, un flot incessant d’étudiants, bagages à la main, regagnent la grande porte du Campus. «Nous ne sommes plus en sécurité. En plus, la grève illimitée a été décrétée. Donc, il vaut mieux rentrer et attendre que la situation s’arrange. Et puis il faut que la mort de Bassirou Faye soit clarifiée», se désole Amadou Diallo.
Même constat chez Djibril Diop, sac sur le dos, quittant le campus. «Il faut qu’une solution idoine soit trouvée. Une grande concertation doit être organisée pour régler ce problème de façon définitive. Je ne souhaite pas une année invalide, car cela ne nous arrange pas. A la faculté des Sciences et Techniques, l’année a été normale, mais nous sommes dans l’obligation de nous unir avec ceux des autres facultés pour restaurer la paix au sein de l’espace universitaire. D’autant plus que l’étudiant tué est de notre faculté», dit-il.
Mary Teuw Niane, l’indésirable
Aujourd’hui, s’il y a une unanimité au sein de l’université, c’est à propos de la démission ou du limogeage de Mary Teuw Niane. Jamais un ministre de l’Enseignement supérieur n’a cristallisé autant de haine. Les étudiants interrogés s’étranglent presque lorsqu’ils parlent de lui. «Les mots me manquent pour qualifier cet homme qui est la cause principale de la mort de Bassirou Faye et de tous les blessés durant ces affrontements. Si Macky Sall veut rester au pouvoir, il n’a qu’à limoger ce ministre qui ne lui cause que des ennuis», conseille Djibril Diop.
Pour permettre des négociations rapides et un retour à la normale, ils sont unanimes pour demander la même chose. «Pas de Mary Teuw pour gérer nos Universités. On n’a plus besoin d’un gars pareil. Il a mis notre avenir en jeu. L’année est presque invalide. Vraiment on en souffre», regrette Diandian Ba, étudiant en géographie. Ces étudiantes, assises sur les bancs publics du campus, refusent de parler du ministre. A les en croire, c’est une personne qu’elles haïssent de toutes leurs forces.
CRISE A L’UCAD
Le Forum civil réclame la tête de Mary Teuw Niane
Le ministre de l’enseignement supérieur Mary Teuw Niane doit rendre le tablier, selon la section Ucad du Forum civil qui adopte une position radicale, suite aux événements survenus la semaine dernière et qui ont indigné le pays entier. ‘’L’attitude du ministre de l’Enseignement supérieur Mary Teuw Niane dans la conduite des réformes est aujourd’hui plus que déplorable. Il a toujours déclaré la guerre aux étudiants et défié les enseignants au lieu de prôner un dialogue sincère’’, souligne l’Ong dans un communiqué.
Afin que toute la lumière puisse être faite, le Forum civil demande d’imposer une ‘’interdiction de sortie du territoire à tous les policiers qui sont intervenus le 14 août 2014 pour maintenir l’ordre’’. Il exige, dans la même foulée, l’indemnisation de toutes les victimes des bavures policières. Si l’ouverture d’une enquête transparente est exigée en vue de ‘’situer les responsabilités afin que les auteurs de ce crime soient condamnés conformément aux lois en vigueur du pays, de même que la protection des témoins de l’événement’’, l’Etat doit pousser loin dans ses investigations, selon l’organisation.
Car en plus d’assainir le milieu universitaire, le Forum civil demande que la lumière soit faite sur le contrat qui lie l’Etat du Sénégal à la société Ecobank. Ensuite, il demande ‘’qu’un appel d’offres transparent pour la bancarisation des bourses des étudiants’’ soit lancé.
Si une série de recommandations est faite à l’Etat pour démêler l’écheveau, le Forum civil bannit toute démarche cavalière du gouvernement qui risquerait d’envenimer la situation. Selon l’organisation, ‘’seul un dialogue multipartite peut constituer la voie de salut pour une sortie de crise. La posture vat- en guerre du président de la République à son retour au Sénégal ne rassure guère, en tentant de chercher des boucs émissaires dans l’opposition politique’’.
D’autant que pour le Forum civil, ‘’ces bavures policières persistantes témoignent encore une fois de plus de l’irresponsabilité et de l’incapacité notoire des autorités du pays à faire face à cette perpétuelle crise qui secoue l’enseignement supérieur depuis un bon nombre d’années.’’
Pour que l’université ne soit plus le théâtre d’un spectacle aussi désolant, la section Forum civil Ucad exhorte les étudiants à ‘’refuser toutes formes de manipulation sous peine de décrédibiliser le combat de la cause estudiantine.‘’
CRISE DANS LE SYSTEME ÉDUCATIF
Le Sidees incrimine Amath Suzanne Camara et appelle à la sérénité
L’affaire des cas de fraudes du concours général des élèves-maîtres (CREM) session 2013 continue de déchaîner des passions. Hier, des syndicalistes ont tiré à bout portant sur leur camarade, le secrétaire général adjoint du réseau des enseignants de l’APR, Amath Suzanne Camara qui a manifesté récemment son soutien aux 690 élèves-maîtres impliqués dans ce dossier. Il leur avait demandé de porter plainte contre le ministre de l’Education nationale Serigne Mbaye Thiam.
En réaction, le secrétaire général du Syndicat d’Initiatives pour la Défense de l’Equilibre dans l’Enseignement au Sénégal (SIDEES), Oumar Seck, considère que ‘’Amath Suzanne Camara est mal placé pour porter le combat de ces élèves. Il est le plus grand fraudeur de tous les temps. Depuis qu’il a été démis de ses fonctions à l’Assemblée nationale comme conseiller, il perçoit son salaire d’enseignant, alors qu’il n’enseigne dans aucune école. Et il ne fait pas partie des quatre permanents syndicaux dont dispose son parti’’, renseigne M. Seck.
De l’avis d’Oumar Seck, au lieu de semer la confusion dans cette affaire, Amath Suzanne Camara devrait se terrer dans le silence. Par ailleurs, les syndicalistes suggèrent qu’un test soit organisé pour les 690 personnes incriminées.
Le syndicat s’est aussi prononcé sur les tensions qui ont été notées à l’UCAD. Le Sidees demande le respect des franchises universitaires pour un retour au calme. A propos des assises de l’éducation, les syndicalistes déplorent que le comité de suivi qui a été installé n’ait tenu aucune session, depuis la ratification du projet. .
MORT DE BASSIROU FAYE
La famille dénonce la politisation de l’affaire
La famille de feu Bassirou Faye a fait hier face à la presse à Diourbel. Elle s’est prononcée sur diverses questions, notamment la suite de l’enquête, la politisation de l’affaire et l’accueil qui a été réservé à la délégation gouvernementale.
La famille de feu Bassirou Birame Diakhère Faye, à la suite du président Macky Sall, est montée au créneau ce lundi pour dénoncer la politisation en cours de l’affaire de leur regretté fils. « Nous souhaitons que cette affaire
ne soit pas politisée. Les politicards n’ont qu’à faire leur politique et nous laisser avec notre chagrin et notre douleur. Il n’est pas question que chaque parti se positionne pour appeler le mouvement des étudiants par-ci, par-là pour politiser ce décès qui nous tient à coeur», a vigoureusement déclaré Mamadou Ngom, porteparole de la famille de Bassirou Faye devant la presse. Il a, à ce propos, demandé à la presse de ne pas servir de tremplin à des politiciens.
La famille du défunt étudiant a en outre exigé que justice se fasse. Elle veut que l’enquête aboutisse afin que les conditions de la mort de leur fils soient clairement déterminées et que le coupable soit châtié. «On a foi en notre justice, mais on ne ménagera aucun effort pour que la vérité éclate», a soutenu le porte-parole de la famille qui a signalé que la famille a déjà commis un avocat pour la défense de ses intérêts.
La famille a toutefois nié avoir éconduit la délégation gouvernementale venue présenter les condoléances du gouvernement. «Les membres de la famille de Bassirou Faye sont tellement bien éduqués que même si le Président Macky Sall leur avait envoyé le dernier des Mohicans, la famille l’aurait reçu», a précisé Mamadou Ngom, avant d’ajouter : «il n’est jamais question et il ne sera jamais question que de tels propos ou de tels comportements soient imputés à la famille de Bassirou Faye, parce que nous ne mangerons jamais de ce pain.»
Le porte-parole de la famille a vivement condamné et regretté ce qui s’était passé ce jour-là (vendredi). Il n’a cependant pas manqué d’accuser le collectif des étudiants, les amis et sympathisants de feu Bassirou Faye, présents ce jour-là devant le domicile mortuaire, d’être derrière ces actes qu’il juge impolis et pas du tout sociables..
SUDES, SATUC ET UNSAS SUR LA VIOLENCE UNIVERSITAIRE
L’indignation et les pistes de solutions des syndicats
La vague de condamnations des syndicats d’enseignants ne faiblit pas depuis la mort par balle de l’étudiant Bassirou Faye. Pour le syndicat unique des enseignants du Sénégal (SUDES), section enseignement supérieur et recherche, cela a été la goutte d’eau de trop. L’Union nationale des syndicats autonomes du Sénégal (UNSAS), regrette un meurtre ‘’gratuit’’ et ‘’injustifiable’’.
Tandis que le Syndicat autonome des travailleurs des universités et des centres universitaires (SATUC) estime qu’il est temps de mettre fin à la violence cyclique à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Par-delà l’émotion que cet évènement douloureux suscite, les syndicats d’enseignants font une analyse froide de la situation.
De l’avis du SATUC, le moment est venu d’évoquer avec courage les facteurs de violence au sein des universités, car cette ‘’spirale n’est pas près de s’arrêter’’. Le SATUC explique que ‘’les mêmes causes dans les mêmes conditions produiront les mêmes effets’’.
Listant les racines du mal, le syndicat considère que ‘’le sureffectif, le manque de confort des étudiants, la mauvaise gestion des bourses, la culture de l’échec, les contraintes budgétaires’’, sont, entre autres facteurs, en train de précipiter dangereusement le déclin de l’Université cheikh Anta DIOP. Ainsi, en condamnant la violence comme forme d’expression, le Satuc appelle le gouvernement à plus de retenue dans la gestion des manifestations des étudiants.
‘’Pacte de stabilité pour sauver l’Enseignement supérieur’’
Fort de ce constat, le syndicat invite le gouvernement et la communauté universitaire à réfléchir à l’élaboration d’un ‘’pacte de stabilité pour sauver l’Enseignement supérieur en général et l’UCAD en particulier’’.
Le SUDES lui, demande au gouvernement de faire la lumière sur les circonstances de cette mort qui ne devrait en aucun cas connaître le même sort que celui de l’étudiant Balla Gaye. En conséquence, le syndicat estime qu’il est ‘’impératif de situer les responsabilités et d’en tirer toutes les conséquences de droit’’.
Pour l’UNSAS, les retards répétés du paiement des bourses et salaires sont inacceptables dans un contexte de réforme accélérée. Mieux, le syndicat souligne que les ‘’réformes se négocient, mais ne s’imposent pas’’.
Dans sa note, l’UNSAS souligne ‘’qu’en plus de garantir la sécurité des étudiants et des personnels dans le respect des franchises universitaires, l’Etat doit créer les conditions d’une réforme réaliste et soutenable par le moyen d’un dialogue franc et sincère entre tous les acteurs’’.
Pour l’UNSAS, le SUDES et le SATUC, le retour de la paix à l’université constitue une priorité nationale autour de laquelle doivent se mobiliser toutes les forces vives de la nation.