SECONDE VICTOIRE DU LIDER MAXIMO
Il peut à présent, dormir tranquille. Il a renversé Batista, suppôt de l’Amérique, et vient même à partir de son lit de malade les États-Unis, pour l’emmener à faire une concession de taille

Depuis les années 90 avec la chute du mur de Berlin, la Guerre Froide a vécu ses derniers instants. Politiquement et économiquement, le libéralisme a triomphé du socialisme scientifique. Le Grand soir a sombré dans un infini crépuscule. C’est la fin de l’Histoire, comme l’a prédit l’historien américain Fukuyama, pour qui la prévalence des valeurs démocratiques allait enfin s’universaliser, avec la fin des idéologies.
Paradoxe, c’est au moment où la Russie (libérale) se rapproche davantage de Cuba, alors que son économie est mise à mal par la chute du rouble, que les Etats-Unis, ont choisi de lever les derniers embargos contre la Havane. Hasard du calendrier international ou calcul politique ? Le geste de Barack Obama a été salué par la communauté internationale. Les nations bolivariennes, en premier lieu.
Et toute la symbolique du discours du Président américain repose dans les premières phrases qu’il a prononcées en annonçant la bonne nouvelle au monde entier : «Somos todos americanos (nous sommes tous des Américains)», a déclaré Obama.
La solennité de cette entrée en matière rappelle à bien des égards celle d’un Président démocrate américain, John F. Kennedy à Berlin, qui dans des circonstances parallèles avait déclamé «inch bin ein berliner (je suis un Berlinois)».
Ainsi donc, les Etats-Unis et Cuba vont rétablir leurs relations diplomatiques, un peu plus de cinquante ans après la douloureuse période de la Baie des Cochons. Craignant, la propagation de la révolution guévarienne, les Américains avaient soutenu des mercenaires cubains et américains pour renverser le jeune régime castriste. Les révolutionnaires s’étaient faits un point d’honneur de matérialiser leur mission prométhéenne de gommer toutes les reliques de Batista et aspérités de la présence américaine dans l’Ile, en nationalisant l’économie et décolonisant les mentalités.
Cet échec de la tentative de renversement de Fidel Castro, avait donné raison à l’Union Soviétique au nom de l’internationalisme prolétarien de défendre, une jeune nation décidée à garder sa souveraineté. Même aux portes des Etats-Unis.
Pointer ses missiles vers la plus puissante nation du monde n’était pas le meilleur réflexe. Mais Guerre Froide oblige, nécessité faisant loi.
Le mal a été évité de justesse, mais le pire suivra, car cinquante-deux ans durant, les Etats-Unis imposeront à une petite nation de onze millions d’habitants, la plus longue période d’embargo. Un blocus militaire et économique sans précédent. Un boycott systématique de sa principale production, le sucre. Une délivrance parcimonieuse et à dose homéopathique des visas aux Cubains dont la plupart est convertie en opposants anticastristes, alimentant et entretenant des jacqueries internes, des grèves et des manifestations d’hostilité à Matanzas, Isla de la Juventud, Cien Fuegos, Havana, Pinal del Rio, Oriente, Camaguey.
Une fuite organisée des cerveaux à travers laquelle des artistes, ingénieurs, médecins, chercheurs cubains sont aguichés, choyés et «naturalisés» aux Etats-Unis et au Canada. Un tourisme sexuel développé à coups de dollars pour tuer la monnaie locale cubaine et asphyxier l’économie locale. Mais cette masse de devises servira au régime castriste pour les besoins de son commerce international, le peso rencontrant de nombreux obstacles de convertibilité, notamment.
Cette tentative d’extinction, de mise à mort à petits feux, a fait long feu, car Cuba a tenu. Au-delà de toute espérance, même quand le mur Berlin a chuté, le coupant de ses bases partenariales naturelles, les pays de l’Est européen, et certaines nations asiatiques engagés dans le Mouvement Communiste International (MCI) ou l’internationale Prolétarienne.
Il a tenu parce que si la superstructure idéologique a chancelé et s’est même effondrée, la structure sociale a résisté, dans des conditions économiques, fort difficiles, et souvent désespérées. Cuba a tenu, car il a su se replier de manière conséquente sur ce que l’on appelait jadis le Tiers Monde, pour suppléer la défaillance des colons français, anglais, espagnols ou portugais.
Du Vietnam en Afrique du Sud, en passant par l’Algérie, la Palestine, le Zimbabwe, l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, mais aussi le Venezuela, la Bolivie les innommables mouvements de libération, associations de défense des droits des peuples, etc.
Qui plus est, Cuba a tenu par ses remarquables résultats dans les politiques publiques, éducation, santé, sport, musique dont les effets ont essaimé partout dans le monde. Ses figures emblématiques, dans le combat politique comme Melba Fernandez, dans la musique, les mythiques orchestra Aragon, Compay Segundo, Ibrahim Ferer, le sportif Javier Sotomayor, toujours champion du monde et olympique de saut en hauteur, ont probablement contribué à donner de l’Ile une image des plus valorisantes. Celle d’une nation, qui en dépit de l’hostilité américaine a su braver toutes ces formes de violences pour vivre et exister.
Que Fidel Castro ait cédé le pouvoir à son frère Raoul, contraint par la maladie et le poids de l’âge, cela relève d’un inconcevable système de dévolution monarchique du pouvoir. Soit. Que ce mode de transmission anachronique et anti-démocratique du pouvoir à la fratrie soit inique. Soit. S’il garantit la pérennité de la résistance aux agressions externes, alors qu’à cela ne tienne.
Toujours est-il que Cuba aura tout de même démontré son extraordinaire sens de l’historicité, c’est-à-dire, sa capacité à maîtriser le cours de son histoire, dans les pires conditions de coexistence hostile avec la plus grande puissance militaire au monde. Sans doute faut-il garder une certaine réserve après cette annonce de rétablissement des relations entre La Havane et Washington.
Au sein de la chambre des Représentants et du Congrès, tous basculés dans l’opposition républicaine, subsiste une certaine résistance à cette ouverture vers Cuba. Nombreux dans ces institutions parlementaires ne cautionnant pas la réhabilitation cubaine par les Etats-Unis. Au début des années 80 Jimmy Carter, un autre président démocrate avait fait lever l’embargo sur quelques produits cubains alimentaires et pharmaceutiques.
Mais cette tendance audacieuse en est restée là. Aujourd’hui grâce à la médiation du pape François (d’origine argentine), au Canada, connu pour son ouverture d’esprit, Cuba retrouve grâce aux yeux du tout puissant voisin.
Mais cette reconnaissance tardive ne pourra être effective que si le Parlement américain vote les budgets qui donneront au Président Obama les moyens de construire une ambassade à La Havane et en même temps de financer tous les aspects liés à ce rabibochage historique.
Le vieux Lider Maximo peut à présent, dormir tranquille. Il a renversé le régime de Batista, suppôt de l’Amérique, instaurer la révolution à quelques encablures de la nation la plus anti-communiste au monde. Il vient même à partir de son lit de malade, sans doute grabataire, de faire plier la puissante Amérique, pour l’emmener à faire une concession de taille. Et comme l’a énoncé le Président, tout le monde, y gagne, Cuba, les Etats-Unis, le continent américain et le monde entier.
Acceptons-en l’augure, en espérant que les extrémistes américains, le Congrès et les Tea Party ne n’y feront pas obstacle. Le système américain est fait de telle sorte que le Président n’a pas les coudées très franches. Mais les Américains accepteront-il de rater l’occasion de démontrer leur sens des réalités, au-delà de l’enfermement idéologique passéiste de leurs groupes extrémistes ?