SEULS LES SOUVENIRS DE SA GLOIRE RYTHMENT SON PRÉSENT !
SALOUM DIENG, CHANTRE DU NDAGA

La vie est faite de hauts et de bas. L’artiste chanteur, virtuose du Ndaga, Saloum Dieng qui, du sommet de la gloire, se retrouve aujourd’hui au bas de l’échelle, ne soutiendra nullement le contraire. Les périodes fastes des années 70, années de gloire vécues avec le « Ndaga Ndiaye » dont il se réclame être le principal héritier, sont loin, très loin derrière lui. Aujourd’hui, au moment des comptes, il ne lui reste plus que de lointains souvenirs. Les souvenirs d’une vie heureuse qui lui reviennent pendant ses moments de solitude et de méditation.
C’est à la permanence du Parti socialiste à Kaolack que nous l’avons trouvé assis et pensif. Ce fidèle socialiste, qui ne respire que pour le Ps, y a installé ses quartiers. Depuis plus d’une dizaine d’années, le prince du Ndaga quitte, chaque matin, sa ville de Ndoffane pour Kaolack et ne retourne dans la capitale du « Laghème » qu’en début de soirée.
Il nous a reçus avec cette courtoisie légendaire que tout Kaolack lui connaît, nous entraînant dans de profonds souvenirs de ses moments de gloire ; des images du temps où le public sénégalais ne voyait pas en lui l’homme portant les stigmates d’une lèpre guérie, mais le prince charmant du Ndaga qui haranguait les foules, séduisait les jeunes filles et jeunes femmes qui ne juraient que par son nom.
Et, tout cela, grâce au « Ndaga Ndiaye », une expression musicale tirée du riche patrimoine folklorique du « Ngoyane », cette partie du Sénégal adossée à la Gambie connue pour son hospitalité légendaire.
« Je suis le maître et le vivificateur du Ndaga » qui appartient à la famille « Bèla », soutient-il, affirmant être l’hériter de son homonyme et grand-père, Saloum Anthia, père du virtuose du xalam, Sakou Dieng de Médina Sabakh.
Né à Médina Sabakh, la capitale du Ngoyane, Saloum soutient avoir grandi à Ndiaw Bambaly, dans l’actuelle commune de Nganda où résidait sa maman. Très vite, le jeune Saloum révéla à son entourage des qualités de virtuose du xalam, un instrument traditionnel à cordes, le pendant de la guitare occidentale.
Mais la maladie (lèpre) viendra ruiner les espoirs du jeune prodige, obligé à migrer vers Kaolack, puis à Ndoffane, pour se soigner. « C’est l’ancien président de l’Assemblée nationale, Amadou Cissé Dia, alors médecin au Service d’hygiène de Kaolack et un infirmier du nom de Sonko qui me soignaient. « Ayant presque perdu l’agilité et l’usage de mes mains pour jouer au xalam, je suis allé m’installer à Keur Baka, puis à Ndoffane, pour être plus proche de mes soignants », a-t-il souligné.
Entre 1945 et 1946, la grande cantatrice du Ngoyane, Seynabou Dieng, créa la troupe de Médina Sabakh que Saloum intégrera plus tard. Une seconde chance pour celui qui avait perdu tout espoir de s’affirmer avec le xalam. Il s’essaya à la chanson. Sa voix se révéla comme étant l’une des plus belles du Ngoyane avec une tonalité à nulle autre pareille.
Vers les années 70, comme le jeune chanteur à la voix d’or commençait à gêner les grandes cantatrices de la troupe créée par Seynabou Dieng, Saloum, qui se faisait un nom, choisit de faire une carrière solo, entraînant avec lui quelques choristes, un joueur de xalam, avant de faire appel au tambour major Pape Seck de Kaolack pour assurer la rythmique.
Le Ndaga version Saloum Dieng est ainsi lancé et, très vite, tous les mélomanes du Saloum et des autres régions y adhèrent, savourant ainsi toutes les sonorités et le rythme endiablé imposé par de jeunes et très belles danseuses.
Ses morceaux fétiches inondèrent le marché. Wéndélou, Bismilay, Na ko déf, Dindin kéba, etc. connurent le succès escompté.
Saloum suscita l’admiration des mélomanes et obtint la reconnaissance de ses pairs, de grands chanteurs de la trempe de Ndiaga Mbaye et Abdou Mbouloum qui lui dédièrent des chansons.
Malgré les séquelles laissées par sa maladie, Saloum conquit le cœur des Sénégalais et des autres populations de la sous-région. Si le président Senghor, homme de culture confirmé, lui a offert son premier million en lui intimant l’ordre de ne pas l’ébruiter, c’est le président de la Mauritanie d’alors, Moctar Ould Dada qui l’invita pour sa première sortie internationale.
« Quand Senghor m’a reçu à sa résidence secondaire de Popenguine et m’a offert 1 million de FCfa, j’ai, dans le véhicule qui me ramenait à Kaolack, inventé une chanson, « Ya ko déf té kén dou ko wakh, dét way dét ». « Une manière de transgresser l’ordre qu’il m’intima de ne rien dire à propos de cette donation », a souligné Saloum Dieng.
Le succès du maître du Ndaga dépassa les frontières sénégalaises. Saloum et sa troupe furent accueillis avec faste en Guinée, en Gambie, au Mali, etc.
Avec tout l’argent gagné, Saloum se paie des taxis et des véhicules 7 places. 5410 S6A, c’est le numéro fétiche du premier taxi de Saloum Dieng retenu par tous les Kaolackois de l’époque. Jeunes filles et jeunes femmes bataillèrent ferme pour tomber dans les bras du prince charmant qui ne laissait personne indifférent.
« J’ai des aventures avec une multitude de femmes, mes épouses n’étaient que 3, à savoir Fatou Faye, Awa Diagne et Fatou Seck, la fille du vieux Mat, grand griot connu à Kaolack », nous confia-t-il.
Ses rapports avec Babacar Bâ, alors puissant ministre de l’Economie et des Finances qui était en plus le gestionnaire du fameux compte K2 dont l’objectif était de créer une petite bourgeoisie sénégalaise, furent des rapports entre un griot et son maître. « Mor Khoulé Bâ, ancien chef de canton, était l’ami de mon père, ce qui s’est déteint sur mes rapports avec Babacar Bâ qui me donnait de l’argent le matin et l’après-midi avant de me promettre pour le soir ».
Saloum Dieng souligne qu’autrefois, les gens étaient très généreux et donnaient aux griots sans compter. « Mais depuis que la limonade a remplacé l’alcool dans la vie des nobles et que les guerriers cédèrent la place aux innocents, les gens sont devenus très pingres et insensibles aux propos des griots ».
Saloum raconte que lors d’une de ses prestations à Kaffrine, alors qu’il chantait le nom d’un guerrier, ce dernier s’exprima en ces termes. « Saloum, je vais t’offrir aujourd’hui ce qu’aucune personne ne t’a jamais donné depuis ta naissance ». Il lui remet un couteau et sort quelque chose de son pantalon bouffant. Imaginez ce qu’il lui demanda de couper.
L’art, la culture et même le folklore et la musique ont migré vers les cercles fermés de la capitale, laissant les virtuoses, les vrais gardiens de la tradition sur les carreaux dans les régions.
« Si vous ne pouvez pas remplir le Grand théâtre où Sorano, si vous ne gagnez pas l’estime des « driyankés » (grandes dames) de Dakar qui vous couvrent de billets de banque, de titres fonciers ou de voitures, vous ne pouvez rien obtenir aujourd’hui », nous confie Saloum qui semble regretter son passé.
A part son jeune frère qui a construit sa maison et entretient sa famille, Saloum Dieng ne reçoit rien de ses vieilles connaissances, celles-là qui, hier, chantaient ses louanges et profitaient de ses avoirs. « Quelques anciennes de ma troupe, des choristes, à Médina Sabakh et à Ndoffane, me viennent souvent en appui en partageant les produits de leurs soirées avec moi », ajoute, l’ex-roi du Ndaga.
Comme si c’était hier !
C’était un jour de Samedi de l’année 1972. A la place publique de Keur Socé, juste dans les alentours du marché. Aujourd’hui, encore, je m’en souviens comme si c’était hier. Les socialistes, je ne sais plus si c’était l’Ups (Union progressiste sénégalaise) ou le Ps (Parti socialiste), qui y organisaient un grand meeting, sous la présidence du tout puissant ministre de l’Economie et des Finances du président Senghor, Babacar Bâ, alors secrétaire général de l’union régionale socialiste de Kaolack.
Parallèlement au programme politique de l’événement, le grand maître du Ndaga, Saloum Dieng, au sommet de son art et de sa gloire, et sa troupe ont été pressentis pour assurer le côté animation.
Votre serviteur, alors jeune marié dans ce village et agent à l’institut des huiles et oléagineux de la station de recherches de Darou, a eu le privilège d’assister au meeting et de découvrir pour la première fois, Saloum Dieng sur scène.
Son entrée, vers les environs de 17 heures fut triomphal, encadré qu’il était par les membres de sa troupe, batteurs, joueurs de xalam et les charmantes choristes et danseuses, mais également par le groupe manuel, un fan’s clubs composé d’inconditionnels des gares routières Noirot de Kaolack, Ndoffane, Keur Madiabel, Nioro, etc. Constitué de solides gaillards qui, le plus souvent étaient dans les vignes du Seigneur, le groupe manuel assurait la sécurité du chanteur qui n’avait pas que des admirateurs.
Ce jour-là, Babacar Bâ a offert au chanteur 500.000 FCfa en billets de banque neufs de 5.000 FCfa, suivi en cela par un riche commerçant, cultivateur et transporteur, Abdoulaye Dia de Daga Sambou qui a, lui aussi, offert 500.000 FCfa au maître du Ndaga.
Comme si c’était encore hier, votre serviteur se souvient, aujourd’hui, encore de la démonstration de force des peseurs de l’Oncad qui ont couvert Saloum Dieng de billets de banque, si bien que l’artiste n’avait pas récolté moins de 2 millions de FCfa en une soirée.