SI L’ÎLE DE SANGOMAR M’ÉTAIT CONTÉE
Mythes et réalités

La simple évocation de Sangomar renvoie aux mythes et mysticisme qui entourent cette île inhabitée aux larges de Djifère. Cette demeure de l’esprit des îles du Saloum est un endroit exceptionnel. C’est sans doute l’une des dernières limites du raisonnable. Voyage au cœur d’une île qui inspire la peur et force le respect !
Mythique et mystique est sangomar ! L’île qui est coincée entre océan et mer s’étale sur tout son long au sud de djiffère, faisant nonchalamment face aux îles de Niodior et de dionewar. Toute une histoire se raconte à propos de cette île inhabitée qui donne son nom au deuxième avion de commandement de la république du Sénégal : la Pointe de sangomar. En effet, beaucoup de mythes sont entretenus autour de cette île qui serait, selon même les insulaires, le domicile de l’esprit des îles du saloum.
D’après le piroguier Fodé, habitant à Dionewar, l’esprit de sangomar serait un « djin » à trois têtes et six mains. Beaucoup d’insulaires comme lui estiment que ce ne serait pas un mauvais esprit. Ce serait plutôt un esprit protecteur, à l’image de Mindis à Fatick, coumba Bang à Saint-Louis ou encore Ndiaré à Yoff. D’ailleurs, explique-t-il, la tendance à la mode chez certains insulaires, c’est de mettre sa réplique comme fond d’écran des smartphones. En effet, les insulaires comparent cette île à celle de carabane, vu sa forme et sa position par rapport aux autres îles.
Le vieux Mamadou Bob, chef de village de Ndangane sambou, a son sangomar à lui. Lorsqu’il fut beaucoup plus jeune, les pêcheurs qui n’allaient pas en haute mer rabattaient leurs collègues à la plage de sangomar afin de leur acheter leurs prises pour ensuite aller revendre le poisson au niveau des quais de pêche comme diffère ou Joal. un après midi, à l’heure de la prière de « takussan » (celle de 17 heures), alors qu’ils attendaient sur la plage les collègues partis en haute mer, après avoir prié, il décida de faire quelques « wirds », le plus normalement possible.
Après le « wird », il posa le chapelet par terre, tend ses mains pour implorer la miséricorde d’allah. Mais grande a été sa surprise lorsqu’il termina. Comme par enchantement, le chapelet avait mystérieusement disparu. « C’est depuis lors que j’ai cru aux histoires qui se racontent sur sangomar », confie le vieux Bob qui, auparavant, n’y a jamais cru. Il précise : « c’est depuis lors que j’ai compris que sangomar est une cité des djins ». Une fois à Niodior, le vieux raconta sa mésaventure à un ami.
Une île qui s’agrandit en dépit du changement climatique !
Pris de compassion, l’ami lui conseilla de ne plus étrenner son chapelet une fois sur l’île parce que, dit-il, l’endroit serait infesté de « djins ». Il lui dit également de remercier le ciel, car il pouvait même lui arriver chose beaucoup plus grave, assimilant son geste à de la provocation. « La prochaine fois, si tu veux faire du « wird », tu peux attendre de retourner sur la terre ferme pour le faire », lui conseilla-t-il.
Le vieux Mamadou Bob a aussi remarqué une chose étrange à propos de l’île de sangomar qui était reliée à la pointe de djifère par une barrière de sable mouvant. « Lors de l’année de la grande houle, cette barrière et une bonne partie de djifère, mais aussi des autres îles, furent effacées de la carte », rappelle-t-il, remarquant en même temps que non seulement sangomar n’a pas été affectée mais mieux, cette barrière de sable mouvant est venue agrandir l’île. Ce déplacement du sable mouvant a même obstrué la voie de passage des navires en partance ou en provenance de certaines localités comme Foundiougne ou Kaolack.
L’île de sangomar est, selon le droit traditionnel local, une propriété de la lignée des « simala » de dionewar. Il se dit dans ces îles septentrionales du saloum que la terre est une propriété de cette lignée qui a défriché le site par incendie, comme cela se faisait jadis. ce sont donc les membres de cette lignée qui sont les maîtres des lieux. Ce sont eux qui ont naturellement le droit d’y faire des libations soit pour implorer le pardon, soit pour demander la grâce. Les libations se font à l’approche des pluies pour demander un bon hivernage.
Les populations de dionewar tirent aussi profit de l’île de sangomar. Leur île étant trop petite par rapport à Niodior, elles envoient leurs troupeaux à sangomar pendant l’hivernage. Selon le piroguier Fodé, quand la pluie commence à tomber, les populations transportent le troupeau dans l’île voisine. C’est là-bas que les bêtes vont passer toute l’hivernage avec un berger peul. Cette pratique permet aux gens de dionewar de cultiver leurs champs en toute tranquillité.
Montée d’adrénaline assurée aux environs de cette île pâturage !
Aux environs de l’île de sangomar, la mer peut parfois être trop agitée. C’est le cas souvent en fin d’après-midi lorsque l’alizé souffle. C’est le cas lorsque la marée monte. C’est aussi le cas pendant les orages. Là-bas, dans les îles et les parages, il n’est pas recommandé de s’aventurer dans les eaux pendant ces moments où les vagues sont à leur comble. et la conséquence immédiate, c’est que les embarcations, toutes en bois, sont imposantes et leurs passagers portent toujours des gilets de sauvetage.
Pour les adeptes d’adrénaline, c’est la sensation garantie pendant ces moments-là. Mais pour autant, la traversée n’est pas un long fleuve tranquille. C’est cette état agité de la mer qui a poussé la vendeuse d’antiquités Ndèye dioum à ne plus se rendre aux îles de Niodior et de dionewar. cette mbouroise qui fait le tour des îles en proposant ses souvenirs a eu la peur de sa vie alors qu’elle revenait de dionewar. « J’avais cru que j’allais laisser ma vie lors de cette traversée, tellement la mer était agitée et le voyage mouvementé », lâche-t-elle.
Mais dans les îles, l’eau est un voisin, un allié et parfois une menace. Heureusement, il y a toujours dans les embarcations des gens au sang froid qui prennent les bonnes décisions au bon moment. C’est le cas lors d’un orage pendant une traversée, confie el hadj, un insulaire rencontré lors d’une traversée. Selon lui, le jeune piroguier avait paniqué et commençait à prendre la mauvaise direction. C’est alors qu’un client a pris la direction de la pirogue et a conduit les gens sains et saufs jusqu’au village.
Un respect sans commune mesure
Ces gens sont plus chanceux que le défunt fils du chef de village de Ndangane sambou, Mamadou Bob. une après-midi, raconte le père, le jeune pêcheur voulait se rendre coûte que coûte à Niodior, en dépit de la houle. devant la persistance du jeune homme, le papa confisqua le moteur de la pirogue pour l’empêcher de partir. Mais c’était peine perdue puisque le jeune homme qui a trompé la vigilance de son père, a pu emprunter un moteur chez des voisins pour y aller. ce fut la décision qu’il ne fallait surtout pas prendre, car la pirogue n’avait pas résisté à la houle. elle avait chaviré et le jeune pêcheur qui était pourtant un très bon nageur a malheureusement perdu la vie. son corps sera plus tard retrouvé aux larges de djiffère.
certainement, ces genres d’incidents constituent une des raisons qui font que peu de gens s’aventurent autour de sangomar et qu’il ne soit surtout pas recommandé aux étrangers d’y aller. Pour les insulaires habitués, à l’image du piroguier Fodé, la pirogue est le plus sûr moyen de transport et que la mer, même en état agitée, ne constitue nullement une menace. et de mémoire d’insulaires, il y a exceptionnellement d’accident de pirogue dans les environs de sangomar.
Pour le pêcheur Babacar Bob, de Ndangane sambou, que cette activité a mené à sangomar et ses environs, « tout ce qui se dit sur sangomar est vrai ». a l’en croire, les insulaires y vont souvent pour implorer les esprits de l’île à propos de certaines difficultés. « ce qui, très souvent, se réalise », fait-t-il remarquer. selon ce dernier, il arrive très rarement des incidents aux larges de sangomar et celles-ci impliquent exceptionnellement les insulaires de la localité.
Les insulaires, à l’image de M. Bob, parlent avec une certaine mesure de l’île. dans les îles, tout le monde voue un respect sans commune mesure à sangomar. ce respect, qui est certainement consécutif à la sacralité des lieux, a aussi des aspects positifs. D’après Babacar Bob, les côtes aux larges de l’île font partie des plus poissonneuses qui soient. Chacun a donc son sangomar, sa version historique de sangomar.
Des histoires tout sauf cartésiennes
Pour Abdoulaye Fall, rencontré à Ndangane, son histoire relative à sangomar date depuis 1965. Le jeune piroguier de l’époque conduisait régulièrement et pendant longtemps un Blanc dans les environs de l’île pour la réalisation de sondages sismiques. Ainsi, à plusieurs reprises, il est passé à côté de l’île. « Parfois tu peux y voir d’étonnantes créatures qui n’existent nulle part ailleurs. Le plus important, c’est d’avoir le sang-froid puisque l’esprit de l’île n’est pas en soi méchant », souligne le sieur Fall, selon qui sangomar est absolument une île exceptionnelle.
En 1974, M. Fall accompagnait une équipe de hollandais dans la zone pour draguer la voie de passage des bateaux en partance ou en provenance des îles. a l’en croire, tout le matériel amené pour ce travail fut englouti complètement dès le lendemain. D’autres tentatives ont suivies, mais en vain. Et vint l’action de la nature qui créa la brèche. Naturellement !
L’autre histoire rencontrée par Abdoulaye Fall et liée à Sangomar est relative à son frère. Il s’y était rendu avec ce dernier, mais malheureusement celui-ci avait, au retour, un étonnant malaise. Ils allèrent alors à dionewar pour voir la famille simala, propriétaire des lieux, pour une intervention. Ce qui fut fait. La famille simala fit des libations pour implorer le pardon des esprits, et le frère Fall recouvra sa santé. Ce qui lui fait dire que tout ce qui se dit sur Sangomar est tout à fait vrai.