TEMPLE DES LAMENTATIONS !
PALAIS DE JUSTICE DE DAKAR

Le Palais de justice de Dakar est un joli désordre. Chaque matin, les justiciables sont contraints de trimballer dans les couloirs à la recherche de leurs salles d’audiences. L’info ne circule pas, le Bureau d’accueil et d’informations ne répond pas, le tableau signalétique est en panne sèche. Et il arrive que des gens soient jugés et condamnés en leur absence alors qu’ils sont dans l’enceinte du Tribunal. Les avocats alertent, les justiciables font la moue.
Le Palais de justice de Dakar est une pétaudière qui donne des frissons à tous ses habitués. Les justiciables sont préoccupés par moult soucis qui s’arbitrent dans ce temple.
Les préoccupations oscillent : certains viennent assister aux audiences de leurs parents en rupture avec la société, d’autres pour des papiers administratifs, ou pour des auditions dans les chambres d’instruction, ou encore pour voir leurs parents en transit à la cave du Tribunal de Dakar. On mesure les émotions des citoyens contraints de supporter autant d’usure psychologique.
Le grand bâtiment, qui surplombe la prison de Rebeuss, l’ambassade du Japon et le garage Lat-Dior, est un joyau planté au cœur de ces quartiers fangeux. Son imposante architecture avec l’insigne de la balance qui symbolise l’impartialité de la justice à l’entrée de la porte centrale le fixe dans la modernité. Avec ses nombreux services qui sont quotidiennement sollicités, le Palais de justice Lat Dior souffre d’un manque criard d’information.
En vérité, il cache beaucoup de souffrances surtout au niveau de l’orientation qui se révèle être un vrai casse tête pour les justiciables. Les populations souffrent le martyr pour assouvir leurs besoins dans ce grand palais qui regorge plusieurs juridictions à savoir le Tribunal des flagrants, le Tribunal départemental, le Tribunal du travail, la Cour d’appel, les référés et la correctionnelle.
Paradoxalement, toutes ces juridictions disposent juste de 8 salles d’audiences pour vider autant de contentieux. Il existe, en outre, dix bureaux d’instruction et de nombreux bureaux de greffiers qui aident les juges dans leurs tâches, des bureaux de magistrats, des autres autorités judiciaires.
L’accès à ces différents services relève d’un parcours du combattant pour la plupart des Sénégalais. On se perd facilement dans les labyrinthes du Temple de Thémis : tout le monde est logé à la même enseigne.
Le Bureau d’accueil et d’orientation ne permet pas... d’orienter les justiciables qui sont obligés de se démerder seuls. Ce matin, ces deux jeunes filles ont suspendu très tôt leur sommeil à la recherche d’un casier judiciaire.
Ne connaissant pas le chemin, elles ont pris le couloir emprunté chaque matin par les avocats, les clercs et les journalistes pour rejoindre la salle d’audiences N°1. «Où on fait les casiers judiciaires», demandent-elles. «Vous ressortez en prenant votre gauche, après la salle d’audiences N°2, il y a des escaliers. Vous descendez ces escaliers, c’est à votre gauche», indique un habitué du Tribunal.
Agé d’une vingtaine d’années, un garçon rejoint directement la salle technique qu’il a confondue au service des casiers judiciaires. «Ressortez et allez jusqu’au fond, il y a une grande porte entrouverte, descendez les escaliers, c’est là-bas», guide un autre.
Le Service d’état civil, qui fait face au Bureau d’accueil et d’orientation, se fond banalement dans le décor du Palais de justice. Les «chercheurs» de certificat de nationalité ne se retrouvent pas pour la majeure partie.
Hélène Sarr, élève, a tourné en rond dans les entrailles du Tribunal pendant plus d’une heure avant de retrouver le service qu’elle recherche. «Excusez-moi, où se trouve le service de nationalité ?», demande-telle. Alors qu’il fait face aux escaliers qu’elle arpente depuis plusieurs minutes.
Au Tribunal, les salles d’audiences ne comportent aucune indication. En général, les audiences des Flagrants délits se tiennent dans les salles 1 et 5. Il arrive que la deuxième composition se tienne à la salle 6. Mais cela n’est possible que si la Cour d’appel finit tôt ses audiences. Seuls les habitués des lieux savent où se tiennent les procès.
Pour les justiciables, il faut jouer à la loterie pour retrouver la salle qui abrite l’audience. Surtout les audiences civiles qui valsent entre la salle 2 et la salle 3 si les procès sont en correctionnelle. Alors que la salle 2 abrite parfois les audiences des mineurs ou des militaires.
Le bureau d’accueil inutile
L’info donnée au Tribunal se limite juste à l’affichage accrochée au-dessus des salles d’audiences sans précisions toutefois sur le lieu du procès. Les analphabètes, laissés pour compte, se rabattent sur les bonnes volontés pour trouver la salle qui abrite le procès de leur parent.
En dehors du Bureau d’accueil et d’information qui se trouve tout juste à droite de l’entrée du Palais de justice, il n’y a rien qui puisse informer sur les différents services. Le tableau magnétique a cessé de fonctionner depuis belle lurette. Les huit salles d’audience ne portent que des numéros. Rien n’indique où se tiennent les audiences des flagrants délits, de la Cour d’appel ou celles du civil.
Un homme, la quarantaine révolue, avait toutes les peines du monde pour trouver un jour la salle qui abritait l’audience correctionnelle. «Je cherche la salle où se tiennent les audiences du Tribunal correctionnel», demande-t-il. Alors qu’il se trouvait à moins de 5 mètres de cette salle.
Cette carence d’information ne rend pas service aux Sénégalais. «C’est un problème d’orientation. Il n’y a pas de tableaux qui puissent orienter les gens», reconnaît Angèle Gaye, responsable du Service d’accueil. Chargée aussi de communication du Palais de Justice, elle avoue que les problèmes d’accueil sont réels.
«Quand on change de salle, nous ne sommes pas informés. Il y a un problème de dysfonctionnements. On ne reçoit aucune information pour dire que telle audience doit se tenir dans telle salle», regrette-telle.
D’après elle, les salles d’audiences sont reparties selon les juridictions. «C’est un grand problème pour les référés», reconnaît-elle en outre. Et Angèle Gaye de poursuivre : «un justiciable peut venir avec une convocation, vous l’indiquez la salle de d’audience, il va s’asseoir là-bas jusqu’au soir alors que son audience se tient dans une autre salle. Il faut une signalisation», conseille-t-elle.
Pour la responsable du Service d’accueil, il ne sert à rien «de créer un Bureau d’accueil et d’information si celui-ci n’est pas en mesure d’édifier les populations». Pour Me Samba Bitèye, l’accès à la justice commence par une information claire, limpide et répétitive.
Et dans ce Palais de justice, les audiences sont «nomades». «Une dame qui tenait une feuille est venue me voir pour me demander où se tenaient les référés départementaux», informe Me Bitèye qui reconnaît aussi «qu’il y a des gens qui arrivent et qui ne savent pas nécessairement dans quelle audience ils doivent être jugés, qui ne savent pas si l’audience qui est prévue est renvoyée ou pas, parce que quand on reçoit une assignation, on est convoqué à 9 heures ou 8 h 30».
«Ces gens restent pour la plupart jusqu’à midi et s’en vont, alors que l’audience commence à 13 h 30 mn. Il y a un véritable problème de la maîtrise de cet environnement», dit-il.
A son avis, il faudrait doter les salles d’audiences d’«un tableau comme devant un restaurant où on met le menu du jour en précisant par exemple Tribunal départemental référé».
Cela permettrait aux justiciables de se retrouver et aux avocats d’aider facilement ceux qui ne se retrouvent pas «afin d’éviter le cas catastrophique où quelqu’un pourrait se faire juger, condamner en son absence alors qu’il est dans l’enceinte du Palais ou assis dans une autre salle parce que mal renseigné».
«C’est dommage, pense l’avocat, qu’on mette beaucoup de moyens sur l’accès à la justice, les grandes valeurs, les grande orientations, alors que du point de vue matériel, accéder au bâtiment est impossible pour une frange de justiciables».
La justice exclut les handicapés
Le Palais de justice de Dakar exclut les handicapés de son fonctionnement. Ce joyau construit, à coût de milliards de F Cfa, n’est pas prêt à accueillir les justiciables handicapés ou des magistrats qui traînent un handicap. Concernant cette catégorie de personnes, c’est la croix et la bannière pour se rendre dans les bureaux des magistrats qui se trouvent au premier, deuxième ou troisième étage.
«Le Palais de justice n’est pas conforme parce qu’il oublie le lot de justiciables qui ont des difficultés moteurs de déplacement, les justiciables qui ont des insuffisances cardiaque ou qui sont malades», se désole Me Bitèye.
En tout cas, ces gens sont complètement oubliés par l’architecte. Les personnes vivant avec un handicap et qui se déplacent sur un fauteuil roulant peuvent rebrousser chemin si leur besoin se trouve au premier niveau. «Ce bâtiment n’est pas dans les dispositions d’accueillir ces justiciables handicapés», regrette Me Bitèye.
D’après lui, rien n’est prévu pour accéder aux salles d’audiences, aux bureaux des magistrats lorsqu’on se déplace en fauteuil roulant. «Il y a des escaliers peut-être un ou deux ascenseurs, mais même accéder aux ascenseurs vu leur dimension qui sont très étroites pour quelqu’un qui est sur chaise roulante, c’est véritablement un problème», dit la robe noire.
Il arrive, ajoute l’avocat, «de voir de grandes personnes ou des personnes handicapées se tromper de marches et faire de très grandes chutes». Cette révélation est confirmée par la dame Fanta Keïta.
«On devait juger mon frère. J’avais engagé un avocat. Après avoir payé ses honoraires, je voulais descendre pour acheter du café. C’est ainsi que j’ai glissé et je suis tombée. Les sapeurs m’ont conduite à l’hôpital. Il s’est révélé que mon pied est cassé. J’étais à l’hôpital, mais je n’ai pas été prise en charge. Et c’est mon mari qui m’a amenée par la suite à l’hôpital Youssou Mbargane par ses propres moyens pour me traiter. C’est comme ça que j’ai perdu l’argent avec lequel j’ai payé l’avocat. Mon frère était même condamné», a narré cette victime.
Me Samba Bitèye plaide ainsi pour que les bâtiments de l’Administration sénégalaise soient aux normes. Car, il estime qu’il faut un Palais de justice qui «a vocation d’accueillir un président peut-être handicapé moteur».
«En tout cas, l’accès à la justice est une question fondamentale, mais malheureusement reste une préoccupation majeure, particulièrement à Dakar.»
Cette difficulté d’accéder au Palais de justice Lat-Dior a trait au bâtiment. «Quand on parle de l’accès à la justice, on va tout de suite convoquer les grands principes en pensant à la langue, à la crème de la justice», dit l’avocat qui trouve qu’il y a «un niveau beaucoup plus trivial qui est physique et matériel».