UNE COMMISSION D’ENQUÊTE POUR L’AFFAIRE DE LA GENDARMERIE
EXCLUSIF SENEPLUS : MOUSTAPHA DIAKHATÉ SE PRONONCE SUR LE LIVRE DU COLONEL ABDOULAYE AZIZ NDAW, "POUR L'HONNEUR DE LA GENDARMERIE SÉNÉGALAISE"
Moustapha Diakhaté, le président du groupe Benno bokk yaakaar à l’Assemblée nationale, ne veut pas s’aventurer sur un terrain savonneux sans s’entourer des précautions d’usage. Dans la première partie de l’entretien exclusif accordé à www.seneplus.com, ce dimanche 20 juillet au siège de Benno, sis aux Sicap, il indique qu’avant de se faire une opinion sur le livre du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise, truffé de graves révélations de magouilles au sein de ce corps d’élite de l’armée sénégalaise, il compte d’abord le lire "intégralement". Ce qui ne devrait pas tarder puisqu’un de ses amis, qui rentre de Paris "ce soir ou demain", le lui rapporte.
Mais malgré cette précaution compréhensible, la tête de file des députés de la Majorité promet de tout faire pour que jaillisse la lumière sur cette affaire ténébreuse. Dans ce sens, il envisage de mettre en place une commission d’enquête parlementaire pour tirer l’affaire au clair. Cette initiative, Diakhaté la prendra également pour l’affaire de la drogue dans la police, survenue des mois en arrière, et pour laquelle il confie n’avoir pas encore obtenu de "réponses satisfaisantes" des autorités policières.
Dans son livre Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, ex-haut commandant en second de la gendarmerie, révèle notamment des pratiques de corruption, de chantage et de détournements de fonds au sein de la gendarmerie. Il désigne l’ex-haut commandant de la gendarmerie, le général Abdoulaye Fall, actuel ambassadeur du Sénégal au Portugal, comme le cerveau des opérations en question. Quelle est votre réaction ?
J’ai lu les bonnes feuilles dans le journal L’Enquête et j’ai demandé à un ami qui rentre de Paris ce soir ou demain de m’acheter le livre pour que je puisse le lire intégralement. Puisqu’un livre est une œuvre continue, je ne m’autorise pas à faire des commentaires sur son contenu tant que moi-même je ne l’ai pas lu. Le meilleur savoir, c’est le savoir au premier degré. Je préfère lire le livre sans aucun intermédiaire et à partir des éléments que j’aurai réunis, en tant que parlementaire, si je dois prendre des initiatives je les prendrai. Je suis un homme libre, qui croie à la liberté. Liberté d’écrire, pour le colonel, mais aussi, en tant que parlementaire, liberté de prendre des initiatives pour que des éclairages puissent être apportés par qui de droit sur les éléments contenus dans le livre, qui semble assez compromettant aussi bien pour l’image de la gendarmerie mais aussi pour notre pays.
Quelles sont les initiatives parlementaires pertinentes dans des situations pareilles ?
On a des outils comme la commission d’enquête parlementaire, l’audition, des questions écrites ou des questions orales, des missions d’information… Je verrai, après lecture du livre, quel est l’outil le plus adapté. En tant que parlementaire nous avons le devoir, vis-à-vis de notre peuple, de savoir ce qui s’est réellement passé. Mais pour le moment je me garde de tout commentaire dans un sens ou dans un autre.
Dans sa réaction le porte-parole du gouvernement, Oumar Youm, estime que le colonel Ndaw n’aurait pas dû faire de telles révélations sur la place publique. Partagez-vous son point de vue qui frise un appel à la censure ?
Je ne pense pas que le porte-parole du gouvernement puisse suggérer de censurer le livre parce que dans un espace démocratique comme le Sénégal la pratique de la censure ne peut pas être utilisée pour quelque raison que ce soit. Mais, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, étant entendu que je n’ai pas lu le livre, je ne peux pas me prononcer dans un sens comme dans un autre. Toute façon le livre est publié, je le lirai et, à partir de la lecture que je ferai, je prendrai des initiatives. C’est mon devoir de parlementaire, de représentant du peuple sénégalais. Si dans une institution aussi prestigieuse, pour la sécurité des citoyens et pour la stabilité du pays, que la gendarmerie des révélations aussi graves sortent, c’est mon rôle de m’y pencher. J’ai eu à le faire lorsque l’armée a utilisé des balles réelles contre des élèves qui manifestaient en Casamance. J’avais demandé à la commission de défense d’auditionner le ministre des Forces armées, le chef d’État major et le commandant de zone.
Avez-vous été suivi ?
Pour le moment ça n’a pas été fait, mais j’ai déjà pris une telle initiative. C’est ma conception de notre responsabilité de parlementaire. Nous sommes outillés, aussi bien par la Constitution que par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, pour contrôler l’action du gouvernement. À partir de là tout ce qui se fait au niveau de l’exécutif entre dans notre domaine de compétences.
Irez-vous jusqu’au bout de votre initiative pour l’utilisation de balles réelles lors d’une manifestation d’élèves à Ziguinchor ?
Absolument. J’ai demandé à la commission défense d’auditionner les autorités militaires, du ministre jusqu’au commandant de zone, pour qu’on sache les circonstances dans lesquelles cela a eu lieu parce que les populations civiles ne doivent pas faire l’objet de tirs de la part de l’armée. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire la lumière sur ce qui est réellement passé.
Les révélations sur la gendarmerie surviennent alors que l’affaire de la drogue dans la police n’a visiblement pas révélé tous ses secrets. Pensez-vous qu’un jour cette nouvelle affaire sera tirée au clair ?
Au Sénégal par tradition on appelle l’armée "la grande muette". Notre parcours politique ne nous autorise plus à recourir à ce type de concept. Pour moi, il ne peut plus y avoir de forêt sacrée en matière d’information pour le public sénégalais. Que ça soit l’armée, la police ou la gendarmerie, ce sont des institutions au service des populations. Ce sont des institutions entretenues par l’argent du contribuable sénégalais. Tout ce qui s’y fait et qui ne relève pas de la stratégie militaire doit être porté à la connaissance des populations sénégalaises.
Les lignes ne semblent pas bouger vraiment dans le sens que vous souhaitez parce que l’affaire de la drogue dans la police, par exemple, n’est pas encore totalement élucidée.
À mon niveau propre, je n’ai pas reçu de réponses satisfaisantes pour l’affaire de la police. Pour la gendarmerie, un livre vient de paraître, tout doit être fait pour que les Sénégalais sachent si ce que le colonel a écrit est vrai ou faux. Si c’est vrai, les conséquences doivent en être tirées ; si c’est faux, la même chose. Notre parcours ne nous autorise plus à recourir à des méthodes qui, de mon point de vue, sont révolues à savoir le secret absolu sur toutes les questions. Nous devons rompre avec ça et permettre à nos populations d’être informées de tout ce que nous faisons en leurs noms. C’est un devoir pour nous gouvernants. C’est également un droit pour les populations de savoir ce que nous faisons en leurs noms. Ce double impératif, nous devons le respecter et nous devons y tenir.
Pour l’affaire de la drogue dans la police, vous dites que vous n’êtes pas encore satisfait des réponses apportées. Qu’allez-vous faire pour obtenir les informations souhaitées ?
En effet pour le moment les informations que j’ai eues des autorités policières ne me donnent pas satisfaction. J’envisagerai de mettre en place une commission d’enquête parlementaire pour que cette question soit vidée, pour que les Sénégalais sachent, par d’autres sources que la source policière, ce qui s’est réellement passé.
Et pour l’affaire de la gendarmerie ?
La même attitude, je l’observerai avec la publication du livre du colonel Ndaw. Interrogez les Sénégalais, ils ne croient plus à la parole publique. Dans leur écrasante majorité les Sénégalais pensent que quand un homme public parle, c’est pour ne pas dire la vérité. Ce soupçon de mensonge, nous devons le rompre. Il y va de notre intérêt, il y va de l’intérêt des populations et de notre pays. Aussi longtemps que le lien de confiance entre les populations et leurs représentants est ténu, il nous sera impossible, nous acteurs politiques, de mobiliser les populations pour faire face aux défis auxquels le pays est confronté. Nous devons avoir cette relation de confiance et celle-ci ne peut être bâtie que sur un discours de vérité sur toutes les questions. Aussi longtemps que les Sénégalais croiront que nous leur cachons des choses, nous provoquons une rupture psychologique entre eux et nous. Cela remet fondamentalement en cause le leadership de l’acteur politique.
Fortement éclaboussé par les révélations du colonel Ndaw, le général Fall ne devrait-il pas être déchargé de ses fonctions d’ambassadeur du Sénégal au Portugal en attendant que l’affaire soit tirée au clair, comme ça a été le cas pour l’ancien directeur général de la police nationale accusé dans l’affaire de la drogue dans la police ?
Le livre vient de sortir. Je ne doute pas un seul instant que les autorités étatiques, particulièrement, militaires et diplomatiques, prendront les mesures nécessaires pour que ces révélations ne portent pas atteinte à l’image de la gendarmerie sénégalaise et de l’armée sénégalaise. Parce que quoi qu’on dise, la gendarmerie reste l’une des institutions les plus respectées du Sénégal. Cette respectabilité doit être sécurisée. Y participe de la sécurisation de cette respectabilité les actions que nous prendrons, dans l’immédiat, pour qu’on ne donne pas l’impression qu’au nom des intérêts de l’État on est en train de camoufler une vérité qui peut être extrêmement dangereuse pour notre pays.
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