COUP DE PINCEAU SOLITAIRE, APRES UN VRAI-FAUX MUTISME
DAOUDA NDIAYE OU «L’ECLOSION SILENCIEUSE» DU PLASTICIEN
Après 17 années d’un silence «relatif», puisqu’il exposera entre-temps avec d’autres artistes, le plasticien Daouda Ndiaye a renoué avec le plaisir d’une sortie solitaire, s’appropriant, et à lui tout seul, l’espace de la galerie Senghor du Village des Arts. Ouverte le 4 novembre dernier, l’expo, assortie d’un intitulé aussi poétique que «L’Eclosion silencieuse», est à voir jusqu’à ce mercredi 25 novembre. Courez !
La dernière fois qu’il a vraiment fait cavalier seul, c’était il y a…un peu plus de 15 longues années. Nous sommes en 1998, Daouda Ndiaye expose alors dans la cour de l’inclassable Joe Ouakam, mais n’allez pas croire que l’artiste s’est tu pendant tout ce temps, ou que ses pinceaux et crayons avaient comme qui dirait pris le large. Non, il trouve encore le chemin de son atelier, on lui doit d’ailleurs toute une série d’expositions jusque-là collectives, mais c’est un peu comme si on lui avait forcé la main, l’obligeant plus ou moins à quitter son nid. A sa décharge, voilà quelqu’un qui dit qu’il ne peint ou ne crée absolument «pas sur commande», qui ne cherche certainement «pas à plaire» à qui que ce soit, et encore moins à flatter un «ego» capricieux. Aujourd’hui, revoilà l’artiste qui expose jusqu’à ce mercredi 25 novembre au Village des Arts, une discrète sortie solitaire qui porte plutôt bien son nom : L’Eclosion silencieuse.
Dans des aventures comme celles-là, mettre le nez dehors, c’est un peu comme jouer les funambules, et Daouda Ndiaye explique dans le détail son astuce à lui pour se donner du courage, s’imposant de ne dévoiler que des toiles très récentes, puisqu’elles datent toutes de 4 mois à peu près, période pendant laquelle il trouvera même le temps pour une résidence artistique à Tel Aviv.
Techniquement, l’exposition résume à elle seule quelques-unes des «expériences picturales» de l’artiste, au cours de ces dernières années : avec entre autres le «classique» acrylique sur toile, le goudron, et la fameuse trouvaille du papier photo à gratter, sortie d’on ne sait où, et qu’il avoue ne devoir qu’à la malice du hasard. Car il y a quelques années, le voilà qui s’amuse à nettoyer, à l’aide d’un chiffon mouillé, la petite tache qu’il trouve sur une photo en couleur, et c’est là que son ongle écorche un peu de la surface : cachée sous le noir, une insoupçonnée lumière jaunâtre qu’il apprendra à apprivoiser, au point d’en faire une affaire personnelle, et qui revient en fait à «révéler la lumière en captivité, au-delà de la surface noire», de façon à dévoiler les quelques «incandescences» plus ou moins tapies dans l’ombre.
Laborantin jusqu’au bout du pinceau
Autant dire aussi que les photos floues qui finissent à la poubelle, images incertaines condamnées à la solitude sinon au silence, ce serait un peu le graal pour quelqu’un comme lui, laborantin dans l’âme.
Daouda Ndiaye n’a pourtant pas grand-chose de ces chercheurs prisonniers de leurs quatre mètres carrés, quand on sait que son œuvre exprime à elle seule quelques-unes de nos contradictions sociales : le jeu trouble, pour ne pas parler du piège des apparences, et le pinceau de l’artiste s’amuse à gratouiller sous la couche de vernis, questionnant la très contemporaine notion de buzz, empruntée à la Toile, comme au très codé répertoire des réseaux sociaux. Dans la galerie du Village, sur un pan de mur, vous vous sentirez peut-être attiré, épié, surveillé, transpercé, mal à l’aise ou embarrassé par toutes ces paires d’yeux qui vous donneront parfois l’impression de n’être qu’un morceau d’étoffe transparent.
Pour Daouda Ndiaye, nous sommes dans une société où tout (ou presque) nous expose au regard de l’Autre, que celui-ci soit moralisateur, accablant, ou tout simplement curieux…Parfois avec notre propre complicité, lorsque nous nous complaisons dans la posture de celui que l’on observe, fasciné par ces autres qui nous donnent parfois l’impression d’exister. Pour donner une touche de vrai au décor, l’artiste s’est même permis une fantaisie, installant un banc (public ?), acheté par hasard à un menuisier qui le lui cèdera à moitié prix, et où le visiteur peut même jouer à se faire peur, croisant le fer avec de nombreux globes oculaires.
Promenez-vous dans la galerie, et vous tomberez aussi sur les formes longilignes des fragiles visages féminins de l’artiste, qui vous feront presque songer aux fameux personnages de Modigliani. Ou alors vous perdrez-vous dans quelques formes serpentines, un peu comme des tourbillons, et qui remontent en fait à une période très «graphique» de l’artiste. Sous le pinceau de Daouda Ndiaye, vous aurez encore droit à quelques jeux d’ombre et de lumière, ou à quelque chose d’esquissé, de délicatement suggéré, un peu comme s’il ne suffisait que d’un subtil jeu de poignet, sans forcer le trait, mais sans que ce ne soit léger ou banal ; dans une sorte d’ambiance brumeuse, poudreuse, faussement incertaine, qui vous obligera à chercher le moindre détail, même caché sous la poussière.
Daouda Ndiaye s’amuse encore à jouer sur le mouvement, d’un très subtil tour de main là encore, un peu comme si le vent lui-même prenait plaisir à souffler sur les toiles de l’artiste.
DAOUDA NDIAYE, ARTISTE PLASTICIEN : L’histoire d’un gamin qui voulait «voir» Picasso
Imaginez un gamin de CM2, dans les années 70, qui n’hésite pas à faire le trajet à pied, entre le Front de terre et la Corniche de Dakar, pour voir ne serait-ce qu’un peu de l’exposition Picasso au Musée dynamique. Il a même assez de toupet pour embarquer quelques copains à lui. Hors de question lui fait comprendre le gendarme à la porte, qui n’hésite pas à l’éconduire. Cette histoire, Daouda Ndiaye en rit encore…Surtout qu’à l’époque, il arrive si tard à la maison, qu’il se fait bastonner, en plus d’avoir manqué Picasso.
Plus tard, ce sera les études normales, en passant par la fac de droit où il ne restera pas suffisamment longtemps, puisqu’il se retrouvera ensuite à enseigner les arts plastiques. Mais entre ses «préoccupations d’artiste libre et celles d’un pédagogue inscrit dans un système», autrement dit entre la «liberté» et les «contraintes», il avoue qu’il s’est toujours senti plus ou moins «tiraillé» et un peu-beaucoup «frustré».
Aujourd’hui, c’est un peu comme s’il se réconciliait avec lui-même, entre sa «frustration», ses «envies de création» et son statut social de pédagogue…Car avec le temps, Daouda Ndiaye est aussi devenu «art-thérapeute», et dans ce qu’il en dit, ce n’est pas très loin de son métier d’enseignant. Daouda Ndiaye rappelle d’ailleurs que dans nos établissements scolaires, les arts plastiques, c’est un peu la discipline ouverte et sans prise de tête, avec quelque chose comme un tour d’horloge pour se recréer ou se régénérer. Et lorsqu’un élève «bascule», ce n’est pas toujours très perceptible pour un «enseignant froid, scientifique», dit Daouda Ndiaye, qui reste convaincu que lorsque ses élèves à lui s’introduisent dans sa salle de classe, le «côté ludique» rend les choses plus simples : plus facile dans ces cas-là, de venir en classe avec son «vrai visage».