LA GESTION DU FOPICA SOUS LE FEU DES CRITIQUES
Entre opacité administrative, soupçons de favoritisme et financements controversés de productions étrangères, c'est tout un système que les acteurs du secteur remettent en question, réclamant un audit des 3 milliards censés soutenir le 7e art sénégalais

Le secteur du cinéma est en pleine ébullition. Les résultats de l'appel à projets lancé en 2023 par le secrétariat permanent du Fonds de promotion de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica) de la Direction de la Cinématographie constituent la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. L'occasion est saisie par certains acteurs pour sortir de leur réserve. Ces derniers dénoncent une mauvaise gestion du Fonds.
"Le secteur du cinéma, qui naguère a connu un grand succès sous la houlette de son prédécesseur Hugues Diaz, s'est englué aujourd'hui dans des difficultés d'ordre structurel", a fustigé une source d'EnQuête, dénonçant, entre autres, une mauvaise gestion de l'actuel directeur, Germain Coly. Ce dernier, selon lui, "n'a jamais pu imprimer sa marque" en faisant preuve d'un management adéquat avec ses collaborateurs.
Ainsi, des acteurs critiquent sa gestion de la Direction de la Cinématographie et, par ricochet, du Fonds de promotion du cinéma et de l'audiovisuel. D'ailleurs, d'après nos sources, c'est à la suite d'interpellations d'acteurs que la Direction de la Cinématographie a publié les résultats de l'appel à projets lancé par le secrétariat permanent en 2023. Dans un communiqué rendu public le 18 avril 2025, ce dernier note : "Après une procédure rigoureuse d'évaluation, menée par des collèges de lecteurs indépendants composés de professionnels du secteur, 49 projets ont été retenus…"
Or, des voix s'élèvent pour dénoncer vivement un manque de rigueur par rapport à cet appel à projets destiné à soutenir la création, la production et la diffusion d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles sénégalaises. "Ses rapports avec une partie des cinéastes restent compliqués du fait du pilotage à vue dont il fait montre, notamment avec le Fonds, dont l'audit est devenu une exigence eu égard aux milliards qui ont été alloués au secteur cinématographique", a confié un fonctionnaire au ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture qui a requis l'anonymat.
Selon lui, aucune réunion de coordination interne n'a jamais eu lieu depuis que Germain Coly est à la tête de la direction. "Le comité de gestion n'a jamais pu faire son travail comme il se doit. Pis, les conventions signées avec les bénéficiaires, dont certains sont de connivence avec lui, échappent à la validation de la cellule juridique du ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture", selon notre source.
"Une véritable opacité entoure la gestion du Fopica dont M. Coly est l'administrateur des crédits", a-t-il poursuivi.
Un seul appel à projets entre 2020 et 2025
Aujourd'hui, eu égard aux derniers résultats publiés, des acteurs dénoncent le fait que certaines structures puissent être financées deux fois. Gorée Island Cinéma reçoit deux financements. Aucune explication n'a été donnée à ce sujet. Pis, regrette-t-on, "les longs métrages financés sont, pour la plupart, gérés par des producteurs étrangers pour prêter un nom sénégalais".
Un audit est réclamé pour clarifier l'utilisation des subventions publiques allouées au secteur. Le Fopica a une dotation annuelle de 1 milliard FCFA (2020-2024). Or, fait constater notre source, de 2020 à 2025, il n'y a eu qu'un seul appel à projets (celui de 2023, sorti le 18 avril 2025). "Seul un milliard est distribué aux professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, ce sont les résultats du 18 avril 2025", a-t-on expliqué à EnQuête.
Les professionnels du cinéma et de l'audiovisuel demandent des explications sur le reste de l'argent versé par l'État chaque année (3 milliards FCFA).
Mansour Sora Wade : "Le Fopica n'est pas organisé…"
"Je suis en colère. Ce n'est pas contre quelqu'un. La manière dont les choses sont organisées, à mon avis, ne devrait pas se passer comme ça", déclare le cinéaste Mansour Sora Wade joint par EnQuête. Pour ce réalisateur qui dit n'avoir pas vu d'appel à projets, il faut d'abord revoir, avant même de parler d'appel à projets, l'organisation du Fopica. "Il faut que ce système soit réorganisé et qu'on sache qui va être dans le comité de gestion", dit-il, soulignant que les acteurs du cinéma doivent être associés directement à cette organisation.
"Le Fopica n'est pas organisé. Il faut qu'il y ait de la transparence. Il y a des choses à clarifier d'abord. Il ne peut pas se décider tout simplement à un haut niveau. Il faut qu'il y ait un Conseil d'administration", ajoute Mansour Sora Wade. Pour lui, les acteurs doivent choisir les membres du comité de lecture.
Concernant le financement, il note que chaque année, les acteurs doivent connaître à l'avance le nombre de films à financer. Mansour Sora Wade se dit offusqué par les financements accordés à des films qui ne sont pas réalisés par des Sénégalais. Il souligne que l'argent est destiné à la production locale.
À l'en croire, le Fopica doit recentrer ses priorités. En lieu et place du soutien aux productions étrangères, Mansour Sora Wade considère qu'il serait plus judicieux d'orienter cette manne financière vers le développement du cinéma sénégalais. "Ces ressources sont avant tout destinées à notre industrie locale et ne devraient pas servir uniquement à des opérations de prestige", assène-t-il, soutenant qu'"aller au festival de Cannes ne sert à rien".
À son avis, la participation à des événements comme le festival de Cannes (coûteuse) doit être reléguée au second plan. L'argent public doit d'abord servir à construire une base solide pour notre cinéma avant d'envisager ce type d'investissements.
Il invite donc à s'inspirer du Maroc. Les Marocains ont fait le choix stratégique de consacrer leurs budgets principalement à leur propre cinéma, ce qui explique la production régulière de plusieurs longs métrages de qualité chaque année, souligne-t-il, estimant que cette "réussite" est due à une politique culturelle qui privilégie le financement de productions nationales.
"Je pense que si ce financement est mis en place, on peut se permettre d'avoir trois longs métrages par an, si on se concentre sur notre cinéma. Mais on se permet de donner à des films, qui sont considérés comme étrangers, 100 millions de FCFA. Ce n'est pas possible", dénonce le cinéaste. Qui ajoute : "Il y a des films français qui ont été financés. Et ces films français-là, ce n'est pas pour autant que le Sénégal a mis 100 millions FCFA (exemple), que ce film est sénégalais. Ce sont des films qui sont 100 % français".
Mansour Wade note que ces films sont sortis en salles en France. "Est-ce que ces films ont commencé à rembourser l'avance sur recettes ? Ce sont des films qui sont financés à trois, quatre milliards ; concentrons-nous sur le cinéma national d'abord. Développons notre cinéma pour nous permettre d'être mieux vus à l'étranger", termine-t-il.
Moussa Sène Absa réclame un centre national du cinéma
Pour sa part, Moussa Sène Absa est revenu sur ce qui est considéré comme un double financement. Pour lui, cela est possible. "Je pense que si quelqu'un a un bon projet, par exemple, un documentaire et un autre en formation ou en post-production, on peut lui donner de l'argent pour qu'il termine son film en post-production. Pour moi, ce n'est pas une question d'une fois ou deux fois, c'est une question de qualité de travail", défend-il.
En ce qui concerne les résultats du Fopica qui sont arrivés deux ans plus tard (2023-2025), Moussa Sène Absa note que cela pose un vrai problème au niveau du calendrier d'exécution du programme. Car, ce dernier, dit-il, devait être annuel, quoiqu'il arrive. Cependant, il relativise. Il estime que les changements au niveau ministériel, avec les dernières élections, peuvent en être la cause. "Il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées depuis 2023. Donc, je pense que la mise en place de l'équipe a posé des problèmes par rapport à la réactualisation des dossiers qu'il fallait évaluer, mettre en oeuvre et puis attendre une décision ministérielle qui devait valider les décisions du comité de gestion".
Néanmoins, Moussa Sène Absa estime qu'il serait plus intéressant de mettre en place un centre national du cinéma. "Je pense que le Fopica est un outil extrêmement important pour le cinéma, même si je reste toujours convaincu qu'un centre national du cinéma ferait beaucoup mieux l'affaire", dit-il partagé.
Pour lui, il faut le détacher complètement des structures publiques, que ce soit presque un service parapublic, avec des éléments du ministère de la Culture, mais qu'il ne soit pas régi par les mêmes règles de comptabilité et de gestion. "S'il faut attendre trois mois pour obtenir une tranche pendant qu'on est en tournage, ça bloque le film. Donc, je pense qu'il faut que ça soit beaucoup plus souple, pour permettre aux jeunes, aux talents, de s'exprimer davantage".
Le Fopica et ses films "fantômes"
Sur sa page Facebook, le réalisateur et producteur Mass Seck a fait un post pour parler du "Fopica et ses films fantômes". "Vous serez surpris de ce que des recoupements sur des données rendues publiques depuis 2014 peuvent dire. Des dizaines de millions encaissés sans diffuser une seule minute de film", dénonce-t-il, soutenant que les mêmes boîtes de production ou les mêmes personnes bénéficient de chaque session de financement.
D'après lui, il y a "des films déclarés financés deux fois à des années différentes". Non sans évoquer les boîtes qui bénéficient de financements deux fois dans la même catégorie la même année. À l'en croire, le projet de long métrage de Mati Diop "La prochaine fois, le feu" bénéficie, en 2027, d'un financement de 50 millions FCFA. "Nulle part dans la filmographie de Mati Diop il n'apparaît depuis lors. Mati Diop aurait-elle pris le titre d'un court métrage de Bayer qui la connaît puisque dans la description, il la cite ?", se demande Mass Seck.
Poursuivant, il indique qu'en 2015, la société de Youssou Ndour, Head Office, a perçu 65 millions FCFA au profit du réalisateur Moussa Seydi. Or, "depuis 10 ans, le film… nulle part". En outre, il rappelle que pour le projet de film "Le rêve de Latrica", Ben Diogaye Beye a reçu 100 millions. Mais pour ce projet de film aussi, jusqu'à présent "pas de bande annonce". Il y a aussi "Boulevard des passions", une série de Moussa Sène Absa, financée à hauteur de 30 millions FCFA. Cette série n'est toujours pas disponible.
De plus, Mass Seck a parlé du projet de film "Ceebu jën Penda Mbaye", une série de Moussa Diop qui n'est pas également diffusée. Poursuivant, Mass estime que d'autres Sénégalais produisent des films que tout le monde voit, sans bénéficier de soutien.
Par ailleurs, selon une source qui nous a présenté la preuve, l'actuel directeur de la Cinématographie doit aller à la retraite depuis la fin du mois de mars dernier. "Il doit absolument laisser la place aux agents de l'Administration du fait de son incompétence notoire qui a fini d'installer un malaise inextricable non seulement à la Direction de la Cinématographie, mais également à l'extérieur avec parfois des relations heurtées avec les professionnels du septième art. Son départ à la tête de la direction est devenu une urgence", peste la source d'EnQuête.
EnQuête a tenté à plusieurs reprises d'entrer en contact avec le Directeur de la Cinématographie, Germain Coly, en vain. Les appels téléphoniques sont restés sans succès. Un message écrit détaillé avec l'objet des appels lui a été envoyé mais est resté sans réponse. Nos colonnes lui restent ouvertes.