UN RICHE PATRIMOINE EN MAL DE RECONNAISSANCE
POLITIQUE CULTURELLE, ETAT DES LIEUX
La culture occupe une grande part dans la conscience du peuple sénégalais. Pour les différents acteurs du secteur, l’art au Sénégal est en quête de reconnaissance dans un monde où la culture est devenue un instrument économique. C’est pourquoi, les écrivains, plasticiens et autres artistes demandent la mise en place d’une véritable politique de redynamisation de la culture. Car la culture, disent-ils, est le ciment de la nation.
La civilisation de l’universel du donner et du recevoir si chère au Président-poète Léopold Sedar Senghor avait comme point d’ancrage la culture. Plus de trois décennies depuis la fin du régime senghorien, la politique culturelle dans notre pays bat de l’aile. Entre les difficultés de positionnement dans le milieu particulièrement concurrentiel de l’art, l’absence de stratégies de développement du potentiel artistique, le problème de vulgarisation et de visibilité des oeuvres artistiques, le monde artistique sénégalais dresse un tableau très sombre de sa situation.
11 heures, les voitures entonnent leur sérénade mécanique sur l’autoroute, sur la route de l’aéroport. Non loin de là, derrière les grands murs blanchâtres du village artisanal, sont nichés les ateliers des plasticiens et autres sculpteurs. Les tableaux et oeuvres artistiques font le décor. Graphistes, sculpteurs et photographes cohabitent dans cet espace dédié à l’art. Au fond du village, une petite porte en blanc nous sépare du royaume du fer forgé du secrétaire général du village des arts et non moins sculpteur Djibril André Diop. Notre hôte qui reçoit courtoisement invite les acteurs du monde de la culture à réfléchir sur un plan de développement du secteur. «On ne peut pas réellement parler d’une vraie politique des arts au Sénégal. Nous n’avons pas de financement pour développer notre secteur. Nous sommes obligés de nous autofinancer par la vente de nos oeuvres. Le village qui dépend du ministre de la Culture organise des expositions dans sa galerie. Nous comptons sur la bonne volonté de nos clients en Afrique et dans le monde pour vivre de notre art», souligne notre interlocuteur. Il estime que l’absence de lieu d’expression culturelle comme les galeries, les centres culturels et autres musées participe aussi à l’inhibition de l’art au Sénégal. «Le problème majeur de l’art au Sénégal est l’insuffisance de galeries et de musées pour vulgariser la production artistique. Il faut que dans chaque commune, on ait au moins une galerie ou un centre d’expositions artistiques. Il faut mettre en place des politiques d’incitation pour permettre aux entreprises privées de soutenir le monde artistique en dehors des festivals de musique», affirme-t-il.
Par ailleurs, il n’hésite pas à interpeller ses collègues artistes pour une meilleure vulgarisation de l’art dans le pays. «Je pense qu’il serait très simpliste de tout mettre sur le dos de l’Etat. Les artistes sénégalais
doivent faire une introspection personnelle pour dégager une vraie stratégie de promotion de l’art. il appartient à nous membres du secteur de nous approprier des leviers de décision pour faire connaitre notre art», soutient-il.
Une approche que partage le Pr Hamidou Dia qui demande aux artistes de se prendre en main pour mieux exploiter leur talent. «On ne peut pas tout attendre de l’Etat. Il est du ressort des artistes de définir le plan de développement de leur production artistique qui à un caractère privé et qui a aujourd’hui un fort potentiel économique. Ensuite, l’Etat viendra appuyer derrière pour en assurer la pérennité», souffle le philosophe.
STRATEGIES ET VISIONS POUR UNE CULTURE POPULAIRE
En ce début de matinée, la galerie principale du musée d’Art africain Theodore Monod de l’Ifan résonne des discussions de jeunes touristes qui découvrent les richesses traditionnelles sénégalais et africaines.
Les masques, les sculptures et autres oeuvres artistiques n’attirent pas la foule des grands jours. Non loin de là, le bureau du conservateur El hadj Malick Ndiaye qui reçoit la visite des quelques chercheurs de passage. «Nous sommes en train d’innover par rapport aux missions dévolues au musée. Suivant une échéance de 2 ans, on cherche une meilleure vulgarisation du patrimoine culturel en consacrant une série d’expositions sur le textile, sur l’architecture et les cultures urbaines. Nous prévoyons aussi des expositions à caractère scientifique et culturel pour mieux vulgariser notre patrimoine », dit-il avant de décliner son nouveau programme d’animations pédagogiques pour inciter les écoliers à visiter le jardin botanique et le musée. «Notre ambition est de faire en sorte que le Musée soit une appropriation des communautés de base. Pour cela, les centres culturels doivent disposer de moyens pour qu’ils puissent jouer leur rôle dans ce processus de vulgarisation. Il faut aussi insister sur la formation des artistes et des personnels de l’administration culturelle pour les faire adapter aux nouvelles exigences en matière de management et de gestion de patrimoine culturelle », indique El Hadji Malick Ndiaye.
Pour l’enseignant-chercheur en histoire de l’art, le musée manque de budget, mais cette situation ne saurait constituer un handicap. «Aucun musée ne peut vivre des seules subventions. Des stratégies nouvelles doivent être développées pour aller chercher des ressources. Nous sommes en train de nouer des partenariats pour ouvrir le musée au maximum. Les entreprises nationales soutiennent peu les acteurs culturels. Ce projet de loi sur le mécénat culturel doit aboutir pour faire développer notre culture», dit-il. Chez les écrivains, il existe une politique culturelle dans la mesure où il y a toujours eu un bouillonnement intellectuel au Sénégal, même bien avant les indépendances. Pour Alioune Badara Bèye, président de l’Association des Ecrivains du Sénégal (Aes), cette politique varie au gré des régimes en place.
Selon le romancier, l’artiste peut bien vivre de son art. «Le livre, hormis sa vocation didactique et civique, est aussi un outil économique dans une industrie du livre. J’ai toujours dit que mon option est de vivre de mon produit artistique. J’ai créé une maison d’édition et de production. Un écrivain peut vivre de sa production grâce à une bonne organisation. Des auteurs comme Aminata Sow Fall réussissent à bien vivre de leur oeuvre littéraire», déclare Alioune Badara Bèye. Toutefois, il interpelle l’Etat pour une meilleure prise en charge des besoins du monde de l’art. «Je pense qu’il faut augmenter le budget du ministère de la Culture qui est près de 12 milliards Fcfa. Il faut aussi revoir à la hausse le fonds d’aide à l’Edition qui est de 600 millions Fcfa et qui connaît une baisse ces derniers temps. Je pense que le président de la République y est très sensible, il a promis de l’augmenter. Il faut une loi sur le mécénat. Senghor incitait beaucoup les gens à aider la culture. L’art est anti destin, il faut former les artistes en marketing et leur permettre d’avoir un manager. Les artistes doivent aussi s’impliquer dans les programmes structurants pour le développement de leur pays», explique le président de l’Association des écrivains du Sénégal (Aes).
ABDEL AZIZ BOYE, REALISATEUR ET FORMATEUR EN CINEMA RESPONSABLE DE CINE BANLIEUE ET CINE UCAD
Le Septième art au Sénégal rencontre beaucoup de problèmes comme l’absence de formation et de financements. Pour Abdel Aziz Boye, réalisateur et formateur en Cinéma, notre cinéma est en pleine renaissance sous la houlette d’une nouvelle génération de réalisateurs
«Malgré les difficultés, le cinéma sénégalais est en plein renouveau»
«On a tendance à croire que nos politiques négligent la culture. Rarement, on les entend parler de culture. Négliger le cinéma, c’est méconnaître la puissance de l’art. Les Américains l’ont bien compris, l’industrie cinématographique génère des milliards de dollars. Le cinéma est une chaîne lucrative de la production à la distribution. Le cinéma fait partie du développement. Toutefois, il faut aussi reconnaître que l’Etat sénégalais a toujours soutenu le cinéma. Des efforts sont faits. Le Président Macky Sall a décidé en 2013 d’accorder 1 milliard Fcfa pour booster la production cinématographique avec le Fonds de Promotion de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (Fopica). Ce fonds a permis de financer pour l’année 2015 et 2014 des films comme Cheikh Anta Diop d’Ousmane William Mbaye. On a ouvert le Fopica à la formation, à l’exploitation et à la distribution cinématographique », explique-t-il. A l’en croire, le cinéma sénégalais est en plein renouveau, même si l’absence de salles de cinéma est problématique pour son épanouissement.
«Le cinéma a été sacrifié à travers la fermeture des salles. Nous n’avons pas d’école de cinéma digne de ce nom. A l’université de Dakar, le cinéma est quasi inexistant dans les filières d’études. Par contre, Il y a un vrai engouement des jeunes très talentueux pour le septième art. Nous sommes revenus du Fespaco de 2013 avec une dizaine de prix. Le film «Tay» (Aujourd’hui) d’Alain Gomis a remporté l’étalon du Yenenga.
Toutefois, nous rencontrons de nombreuses difficultés dans le financement et la distribution de ces films. Le Sénégal prévoit de soutenir la construction de salle de cinéma en compagnie de privés», ajoute le responsable du cadre d’initiation des jeunes de la Banlieue au Cinéma. Pour lui, il faut insister sur la formation à la base pour que notre cinéma retrouve sa place d’antan. «Notre cinéma a beaucoup de problèmes. Il faut travailler à la base avec des jeunes pour accompagner ce mouvement. Des pays africains comme le Maroc nous devancent, avec de grandes écoles de cinéma. La création d’une école de cinéma va de soi dans le pays de Sembene Ousmane et de Senghor», dit-il. Selon Vieux Djiba, plasticien et artiste d’art visuel, la politique culturelle au Sénégal est encadrée par des dispositifs qui datent de l’époque senghorienne. «Il faut réorganiser le secteur de la culture. Par ailleurs, il faut mettre en application les instruments qui datent de Senghor comme le patrimoine artistique privé de l’Etat qui permet à l’Etat d’acheter les oeuvres artistiques pour décorer les salons et les ambassades. La loi des 1% de 1968 qui réservait 1% du budget de construction à la décoration dans les grandes constructions et le Fonds d’aide au développement de la culture pour financer le projet artistique. Toutes ces mesures qui ne sont plus mises en oeuvre constituaient des bouffées d’oxygène pour notre art», indique Djiba. Il pense que «la subvention risque de pousser les artistes dans une situation d’assisté. La plateforme d’art visuel travaille beaucoup depuis une année pour élaborer une stratégie de formation pour les artistes. Il faut redynamiser le secteur de la culture afin d’inciter les citoyens à créer et à innover pour le bien de la communauté», dit-il.