UNE LEÇON DE COURAGE
«DAANI DOOLE», COURT METRAGE DOCUMENTAIRE DE PAPE BOLE THIAW
Le réalisateur Pape Bolé Thiaw a présenté, dans la soirée de ce samedi 19 août son court métrage documentaire : «Daani doolé», conçu pendant son stage à l’université d’été de la FEMIS en France (l’Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son), du 23 mai au 21 juillet dernier. Une leçon de courage devant (et derrière) la caméra, qui dure 13 minutes. On entendra le réalisateur, qui a encouragé les autres jeunes pensionnaires de Ciné Banlieue à «postuler à la FEMIS», raconter comment il avait fini par convaincre les personnages de son film, lui qui tenait aussi à ce que son court métrage s’exprime en langue nationale.
On soupirerait presque d’ennui...Un énième film sur l’immigration ? Certainement pas. Ni un portrait d’ailleurs, malgré le côté souvent très «personnel» de ce court métrage documentaire du réalisateur Pape Bolé Thiaw. Avec ses 13 minutes d’aventure humaine, «Daani Doolé» brouillerait presque les pistes... Cette petite chambrette très épurée pour ne pas dire spartiate, qui a l’air de donner au film, dès la toute première image d’ailleurs, quelque chose d’intimiste ; ce cocon désargenté, mais un cocon tout de même...
Peut-être parce que dehors, c’est la jungle, ou presque : Château-Rouge et ses marchands ambulants plus ou moins accoutumés à jouer à cache-cache avec la police, à vendre du faux pour du vrai, habitués qu’ils sont à serrer les dents, ou à se serrer les coudes, contre l’infortune, contre les coups du sort, etc.
Et puis y a ce personnage-là, Ahmada Wade, ce presque trentenaire qui a l’air de s’agripper à l’histoire, à laquelle il sert de prétexte finalement, mais sans que le trait ne soit ni forcé, ni manipulé…Dans son baluchon sans «griffe», ni fantaisie : il y a surtout le «fardeau de l’exil», et sans doute aussi l’histoire d’une vie. Celle d’un orphelin de père devenu «soutien de famille», jusqu’au don de soi, lui l’ancien bachelier (il n’ira pas plus loin), reconverti dans le commerce informel. Des copies de sacs à main dont le côté emprunté n’a pas grand-chose à voir avec Ahmada avec lui-même, personnage authentique qui foule aux pieds tous les diktats de la mode : entre ses chaussures «Tik-Tik» blanches, d’un autre âge, ce bonnet à la Cabral (Amilcar) qui incarnerait sa résistance à lui, son t-shirt à l’effigie de Serigne Touba, et ce treillis sur le dos qui lui donnerait quasiment la posture d’un soldat au front…Juste assez sans doute pour pouvoir mériter ce surnom : «Ahmada le guerrier».
L’autre paradoxe, pour emprunter la formule au réalisateur lui-même, c’est peut-être la «dignité» de ce monsieur, «même dans l’informel», même lorsqu’il flirte avec «l’illégalité». Un mot (dignité), ou un argument, que l’on a d’ailleurs énormément entendu pendant le dernier Festival panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (Fespaco), et même après, incarné à l’époque par la «Félicité» d’Alain Gomis.
Ahmada, lui, est aussi un peu philosophe, à sa façon, sans oublier de rire, ou de pleurer parfois, de certaines de ses déconvenues : le cache-cache avec la police, certains engrenages sociaux, la douleur d’être loin, le «retour au pays natal», etc.
Un autre regard sur un des classiques de notre cinéma, l’émigration, que la réalisatrice Khadidiatou Sow («Une place dans l’avion»), de la jeune génération elle aussi, a trouvé le moyen de revisiter, avec la prouesse d’en parler avec légèreté, scènes cocasses, tranches d’absurde et de de jeu.
13 minutes d’aventure humaine
«Daani Doolé», faut-il préciser, n’est absolument pas le premier court métrage de Pape Bolé Thiaw, mais on lui trouvera forcément quelque chose de spécial, avec en fin de film cette dédicace-épitaphe à un ami du réalisateur, «mort noyé» dans la Méditerranée, alors qu’il tentait de rejoindre l’Espagne.
Au-delà, ces 13 minutes d’aventure humaine sont aussi le fruit de son stage à l’université d’été de la FEMIS en France. Un film tourné en deux jours, pour respecter les règles du jeu, dont le réalisateur a ensuite réservé la toute première projection aux autres pensionnaires de Ciné Banlieue, ce «cadre sans prétention», et au très discret Abdel Aziz Boye qui a formé, entre Ciné-Ucad et Ciné-Banlieue, les jeunes qui font aujourd’hui le cinéma sénégalais ; avec de nombreuses distinctions et autres citations, au Sénégal comme à l’étranger.
Ce samedi 19 août, le jeune réalisateur a comme qui dirait dû affronter les paires d’yeux et les nombreux points d’interrogation, entre les curieux, les rêveurs, les critiques, les enthousiastes et les autres, qui l’entendront parler, avec cette étincelle dans le regard, des «27 stations de montage de la FEMIS». «Il faut postuler» dira-t-il aux plus jeunes, en avouant tout de même que sa première candidature, celle de l’an dernier, n’avait pas été retenue.
On l’entendra aussi raconter comment ce sujet-là lui était plus ou moins tombé dessus par hasard, lui qui rêvait déjà d’en faire un film en 2014, après sa «rencontre avec de jeunes Sénégalais» en pleine «galère», dans «la banlieue de Madrid».
A la FEMIS, on lui avait aussi que ce ne serait pas très évident, mais avec patience, et endurance, Pape Bolé Thiaw avait pourtant fini par «gagner la confiance» des vendeurs africains de Château-Rouge.
Ou alors évoquera-t-il certaines de ses contraintes de tournage : les images «volées», les policiers, filmés de dos finalement, qu’il voulait impérativement sur son lieu de tournage, et ce film, «Daani Doolé», qu’il tenait absolument à faire en langue nationale.
Avec la bénédiction de Sembene Ousmane et de Djbril Diop Mambéty, qui ont donné leur nom à deux des salles de Ciné-Banlieue, en plus de la toute nouvelle, baptisée Alain Gomis après le dernier Fespaco, et déjà pleine de vie, entre coupures de journaux et photos-souvenirs de tournage.