LA MÉTHODE BOHN
Les rapports de l'ancien patron d'Air Sénégal avec ses collaborateurs n'étaient pas des plus cordiaux - Plusieurs confessions tendent à montrer que l'État avait fais un mauvais choix, en recrutant au prix fort l'ancien photographe à bord de la compagnie
Ce vendredi 19 avril, lorsque nous avons appris « le départ » de Philippe Bohn, désormais ancien DG de la compagnie Air Sénégal SA, tous nos projets d’enquête ont été mis au frigo. Bohn, quel os ! Mais notre élan a été très vite mis à rude épreuve. La team com. de l’ancien photo-reporter n’a voulu rien comprendre. Toutes nos tentatives pour interviewer le français ont été vaines. SenEnquête n’a pas pour autant lâché le morceau. Nous avons retrouvé « les boites noires » après le ‘’crash Bohn’’. Les détails.
Lors de son premier vol commercial, un aller-retour Dakar-Ziguinchor, le 14 mai 2018, les espoirs pour Air Sénégal SA étaient grands. grands comme une compagnie aérienne nationale. Et, lorsqu’en janvier dernier la compagnie a acquis son premier A330-900 issu de la chaîne de production d’Airbus à Toulouse (France) qui assure la desserte Dakar-Paris, les espoirs étaient encore plus grands. Il faut dire que dire Philipe Bohn, un français nommé directeur général de notre tout nouveau transporteur se tordait d’impatience pour écrire « une success-story du ciel africain ».Oui, c’est cet espoir qu’on avait du successeur de Mamadou Lamine Sow promu à la présidence du conseil d’administration. Alors imaginez notre « déception » lorsqu’on a appris que le sieur Bohn ne voulait plus piloter notre compagnie nationale.
Mais alors surprise, le départ du français est en réalité une bonne nouvelle ! C’est du moins l’avis de certains des plus brillants pilotes de notre pays, les commandants Ahmed Seck et Malick Tall. Quand on sait que Philipe Bohn a été désigné récemment membre du conseil d’administration de la compagnie Air Sénégal SA ? Oui, l’ancien photo-reporter est toujours à bord. Seulement le commandant est tenace, semble-t-il. Senenquête a fouillé le dossier de la compagnie avec ses anciens collaborateurs. Des confessions qui viennent montrer le mauvais choix des autorités en recrutant au prix fort un ancien…..photographe.
Pas de décollage à cause d’un casting hasardeux
À la nomination du français Philippe Bohn, ce fut une surprise pour les professionnels sénégalais de l’aviation civile. Bien entendu, après avoir écarquillé les yeux. C’est le cas du Commandant Malick Tall, ancien directeur des opérations aériennes à Air Sénégal, responsable des certifications de la compagnie. Celui qui occupait le système de bord embarqué a piloté une bonne partie du projet avant l’arrivée de Bohn. Cet ancien chef pilote d’Air Afrique n’est pas surpris de la tournure de cette situation car il avait senti cette impasse.
La méthode Bohn étant solitaire mais axée sur du pilotage à vue. « Le mode de gestion de Bohn est incompréhensible. Quand il est arrivé. Il a trouvé un business plan qui avait été élaboré par l’équipe projet cabinet londonien Sibérie. Ce business plan avait été validé par les hautes autorités de la République du Sénégal. Il a mis ce business plan à la poubelle. Mais il n’a jamais sorti un véritable autre business plan en guise de remplacement. Sa feuille de route n’était pas claire. ». Dès le début, le rapport de confiance s’est rompu avec ses collaborateurs. Ses options hasardeuses ont causé un atterrissage forcé pour certains. Commandant Tall et d’autres ont quitté le pavillon. Il ajoute qu’« Il avait un style de management qui ne correspondait pas à ce qu’on attendait. Il a voulu m’orienter dans une direction que je ne voulais pas et je suis parti ». Ces terribles frustrations ont commencé à plomber la compagnie. La compagnie connait en interne des moments de fortes turbulences. Le commandant Ahmed Seck confirme et parle d’un très mauvais casting : « Notre pays regorge de ressources humaines très qualifiées dans tous les secteurs du transport aérien, largement capables de faire beaucoup mieux que ce français prétentieux et vaniteux, traité de « combinard » par Sarkozy, plus connu comme aventurier de la françafrique, photographe ou amateur de yoga que comme spécialiste du transport aérien. Le fait d’être vendeur d’avion à Airbus (et donc fin connaisseur du système lié aux commissions) n’en fera jamais un spécialiste du transport aérien. Ce sont deux métiers complètement différents ! ». Ainsi, les axes stratégiques développés pour mettre en place la compagnie ont été abandonnés dès le départ.
Quid de l’expertise sénégalaise ?
Les ressources humaines nationales, qui devraient être le fer de lance de la compagnie, sont presque ignorées. L’on se demande alors comment nos autorités ont pu se tromper ou ont été abusées pour mettre un tel pilote pour diriger notre compagnie nationale. « Ce qui fait mal aux experts sénégalais, c’est l’arrogance du DG français d’Air Sénégal, parachuté sous nos cieux par un incroyable concours de circonstances et une regrettable erreur de casting… Ce n’est pas l’homme qu’il nous faut à la tête d’Air Sénégal. Nous n’avons besoin ni de lui, ni de son bras droit français encore pire que lui à tous points de vue ! Nous sommes formés et diplômés des plus grandes écoles d’aviation, ils le savent, et nous ne pouvons pas laisser cette situation perdurer sans réagir et sans alerter nos autorités que ces étrangers trompent et induisent erreur en permanence en engageant notre pays et notre compagnie nationale sur des choix douteux », s’éructe de rage M. Seck que nous avons contacté pour les besoins de ce dossier.
L’expertise nationale ferait- elle défaut ? Réponse du commandant Seck. « Il n’y a pas d’appel à candidatures. Les nominations tombent du ciel, ce qui explique toutes les éternelles erreurs de casting que nous subissons dans le choix des dirigeants de nos compagnies nationales successives ». Pour le recrutement de Bohn, nos pilotes pensent que c’est un concours de circonstances selon Ahmd Seck crédité d’une grande expérience dans le monde l’aviation. C’est pour cela qu’il suggère la création d’un Conseil Consultatif, regroupant des experts sénégalais de l’aviation civile, chargé de conseiller au préalable les autorités sur tous les projets relatifs au transport aérien et sur les meilleures options, tant dans les modèles économiques à mettre en place que dans les profils et choix des dirigeants. M. Seck le pilote au long cours avec 16000 heures de vol sur différents types d’avions commerciaux de type Boeing, Airbus, Douglas, Fokker, dresse un portrait peu avantageux. « Il ne correspond à aucune de nos valeurs ».
Optimisme pour la flotte d’Air Sénégal
Abdou Diouf a lancé sa compagnie qui n’a pas décollé. Même destin pour celle lancée par Abdoulaye Wade. Cette nouvelle tentative du Président Macky Sall suscite beaucoup d’espoir. Raison pour laquelle le Commandant Tall demande à ce qu’on soit derrière le nouveau boss, Ibrahima Kane. Pour lui, le Sénégal n’a plus droit à l’erreur. Il estime que : « On n’a pas le choix. Ce serait catastrophique que le Sénégal rate cette troisième création d’une compagnie aérienne, parce que le Sénégal aura perdu beaucoup de milliards.
Le Sénégal aura perdu beaucoup de crédibilité dans l’industrie du transport aérien. On sera la risée de la sous-région. La Mauritanie a sa compagnie aérienne. Le Burkina a sa compagnie aérienne. De même que le Togo ». Pour qu’Air Sénégal SA décolle une bonne fois, il est nécessaire, selon les experts de l’aviation, de faire un audit de gestion.