EXIGENCE DE VIE, CHOIX PAR DEFAUT !
SCOLARISATION DES ENFANTS A SABAR, REGION DE FATICK

Quoique le droit à l’éducation jusqu’à l’âge de seize ans demeure un droit imprescriptible garanti par la Loi fondamentale, la réalité de terrain est aux antipodes des exigences d’Epu (Education primaire universelle) consacrées par le Forum de Dakar. En témoigne à titre d’exemple la scolarisation des enfants à Sabar, localité située à 18 kilomètres de la commune de Diabel (région de Fatick). Les contraintes qui y bloquent l’accès et le maintien des potaches dans les classes font florès. Non inscription des enfants à l’état civil, mariages précoces, difficiles conditions de vie et manque d’intérêt à l’école considérée par la plupart des parents comme une garderie d’enfants en attendant une autre point de chute. Reportage dans un village où l’instruction des enfants est en totale souffrance, à l’image de bien d’autres parties du pays.
Situé dans le département de Fatick, commune de Ndiop, arrondissement de Diaolé, le village de Sabar, une bourgade nichée à 18 kilomètres de Sibassor, n’est pas facile d’accès. C’est une piste en latérite de 18 km que les voitures 405 ou les taxis surchargés se tapent quotidiennement pour arriver à la commune de Diabel avant de prendre le cap sur le village éponyme. Déjà, se rendre à Diabel se révèle un véritable casse-tête surtout si le passager arrive à Sibassor, au crépuscule alors que la voiture de transport n’a pas atteint le nombre prévu pour le départ. Ni les récriminations des clients encore moins la nuit tombante ne font fléchir le conducteur qui campe sur son refus en attendant les derniers et hypothétiques clients nocturnes. Le nombre de passagers atteint, le départ peut être enfin effectué. Les passagers serrés les uns contre les autres, la vieille carcasse qui fait office de voiture de transport emprunte la piste latéritique. Sa lumière pâle éclaire à peine la route. Son moteur et son fer rouillé « crient » au moindre mouvement. Elle avance tant bien que mal sur la piste.
C’est dans cette ambiance marquée par les nombreuses secousses qui font frémir le ventre des clients qu’elle arrive à Diabel. Et de cette commune, le passager désireux de rallier Sabar est obligé de faire le reste du trajet en charrettes ou en motos. C’est le quotidien des enseignants qui servent dans ce village et qui quittent chaque jour Diabel pour rejoindre leur lieu de travail. Trois kilomètres séparent en effet le village de la commune de Diabel. Sabar, malgré les centaines d’âmes qui s’y réveillent, n’est pas encore à l’ère de la modernité. Le village n’a pas d’électricité. Les cases au toit de chaume qui servent de domicile sont éloignés les unes des autres.
Ici, la scolarisation des enfants n’est guère une priorité. Parlant d’ailleurs de son établissement, le directeur de l’école élémentaire Babacar Samb ironise et parle d’une garderie d’enfants. En effet, la scolarisation des enfants, l’assiduité aux cours et la poursuite des apprentissages inquiètent peu les parents. Les élèves désertent dès lors les bancs et restent au foyer, sous le silence approbateur de leurs parents. Pis, aucun des enfants n’est inscrit en classe de C1 avec une pièce d’état civil. Les mariages précoces, quant à eux, viennent le plus souvent retirer la gent féminine de la « garderie »pour la confiner dans la vie au foyer beaucoup plus appréciée dans la zone. Depuis sa création en 1997, l’école primaire n’a produit que 10 étudiants.
TOUT PASSE AVANT L’ECOLE
Dans la localité, nombreuses sont les contraintes qui bloquent la scolarisation des enfants. Les potaches viennent à l’école sans prendre le petit-déjeuner. Ils ne sont pas non plus mis dans les conditions minimums de performance. Un enseignant se désole du fait que de petits enfants de la classe de C1 marchent chaque jour de très longues distances pour aller à l’école. Les travaux domestiques accablent par ailleurs les filles. « Elles n’ont pas le temps d’étudier à la maison », constate avec amertume le directeur de l’école. Les travaux champêtres, l’élevage et le commerce étant les principales activités lucratives, l’élève est privé sur décision parentale de ses cours pour suppléer un membre de sa famille en exercice dans ces domaines. Les cours ne valent pas mieux que les autres activités. Les élèves sont contraints à la garde de la maison en cas d’absence de la mère. Pis, ils voyagent pour de très longues durées sans l’aval de l’instituteur ou du directeur d’école, seule l’autorisation parentale suffit pour décréter des vacances censées être beaucoup plus utiles que les bancs.
LA DECLARATION A LA NAISSANCE NEGLIGEE
« Qui connait son âge ? ». A cette question de Monsieur Mbaye, responsable de la classe de Cm1, la vingtaine de mains qui se disputait la parole plus tôt dans la matinée cède la place à un silence glacial. A la place des « Monsieur…Monsieur » qui accompagnent chaque mouvement de bras, l’on assiste à des sourires ou des réponses hésitantes. La cause est simple. Aucun n’enfant n’a une pièce d’état civil. Négligence des parents, pauvreté, manque d’instruction des parents ? Le directeur de l’école élémentaire, Babacar Samb, cherche les raisons pour expliquer la situation. Dans son école qui compte 200 élèves, seuls 22 potaches ont une pièce d’état civil dont les 15 candidats aux examens de fin d’études de cycle élémentaire. Et cela, grâce à l’appui du personnel enseignant qui, pour éviter que les élèves soient exclus des examens de l’entrée en sixième, les a inscrits aux audiences foraines du tribunal régional de Fatick. « La négligence des parents y est pour quelque chose », en attestent les deux chefs de village de la localité, Mamadou Diop et Waly Ndiaye. Les maternités se faisant pour la plupart du temps à domicile, les deux chefs de villages disposent chacun d’un carnet pour enregistrer les naissances, sur l’aval de l’arrondissement Diaolé dont dépend le village.
Dans la localité dirigée par Mamadou Diop, il est demandé aux parents de débourser 500 F Cfa pour l’enregistrement de leur enfant. Malgré tout, le chef de village regrette le fait que les parents ne s’acquittent jamais de ce devoir. Chez Waly Ndiaye par contre, le prix de l’inscription est de 300 F Cfa, mais aucun des habitants vivant sous sa tutelle n’a voulu se soumettre à ce devoir, préférant laisser l’enfant sans papier et sans identité. Ceux qui fréquentent l’école peuvent espérer avoir un extrait de naissance, les autres qui sont pourtant beaucoup plus nombreux, de l’avis du directeur de l’école, peuvent même ne pas en avoir toute leur vie.
Un autre problème majeur que rencontre l’établissement scolaire désireux de trouver une pièce d’état civil à son élève est que les mamans n’ont pas très souvent une pièce d’identité. Les femmes sont sous la tutelle de l’époux et même pour la carte d’identité, elles restent soumises à leurs maris. Et en pareil cas, explique Monsieur Mbaye, même si c’est risqué, l’enfant est inscrit avec la carte d’identité d’une tierce personne de sexe féminin détentrice du sésame. Il passe donc son examen de fin de cycle élémentaire avec un futur peut-être déjà hypothéqué par l’identité d’une « mère occasionnelle ». A dire vrai, les parents ne mesurent pas l’importance de la pièce d’état civil. Le directeur de l’école élémentaire, Babacar Samb, relève d’ailleurs que très souvent, les parents d’élèves convoqués pour la question préfèrent boycotter le rendez-vous. Cette situation préoccupante risque de s’aggraver avec l’instauration de la carte d’identité biométrique de la Cedeao. Dans tous les villages, seuls les deux chefs de village ont pu s’inscrire dans les commissions. Et un des habitants, Diek Diome, justifie le fait par la forte affluence dans le lieu d’inscription qui est très tôt pris d’assaut par les autres villages de la circonscription. Fatigués par les nombreux déplacements et la perte des heures de travail, les quelques candidats à l’obtention du sésame se sont résignés.
LES MARIAGES PRECOCES, UN FREIN A LA SCOLARISATION DES FILLES
Vêtue d’un tee-shirt, d’un pagne et de sandales, A.D n’a rien de particulier qui la distingue de ses petites camarades. Elle est habillée modestement comme toutes les autres filles de sa classe d’ailleurs. La seule différence, c’est son statut de… femme mariée. A peine son mariage évoqué, elle devient l’objet de tous les regards. Les rires infantiles de ses camarades de classe et le regard avide d’une vingtaine de paires d’yeux braquées sur elle l’installent dans une sorte de malaise qui l’oblige à baisser la tête. Elle n’a pas été déclarée par conséquent, elle ne connait pas sa date de naissance. Mais « elle aurait à peine 12 ans », dit son instituteur. Elle a été donnée en mariage à un parent et, même le jour J, elle ne savait pas que c’était le jour où l’on célébrait son union. « Le jour de son mariage, elle est venue à l’école. Je lui ai posé la question de savoir si elle se marie aujourd’hui, elle m’a répondu par la négative », raconte son instituteur. « Toutes les filles mariées finissent par quitter l’école », se désole le directeur de l’école élémentaire, Babacar Samb. Pratique culturelle ancrée, les mariages d’enfant reste un phénomène dont la population est très attachée. Le président de l’Association des parents d’élèves, Aliou Ngom, explique que le mariage est sacré dans la zone, même s’il s’agit de celui d’une mineure. Dans le village, les habitants sont cependant pour la plupart réticents pour parler de la question, mais la pratique est perceptible à travers la jeunesse des mères qui, bébés sur le dos, vaquent tranquillement à leurs tâches domestiques. Le mariage des enfants s’explique, selon le directeur de l’école, par le fait que les parents qui refusent de donner leur fille en mariage, deviennent la cible de toute leur famille. A signaler qu’il n’avait pas d’organisation pour la promotion des droits de l’enfant dans le village. « Seul, le Comité national de scolarisation des filles (Scofi) est venue récemment installer ses quartiers », renseigne le directeur de l’école élémentaire. Sabar, village de tous les contrastes, lieu de déni de la scolarisation des enfants.