«IL EST POSSIBLE DE CONCILIER LES IMPERATIFS LIES A LA GESTION DE LA PANDEMIE ET CEUX DE LA GESTION DU SYSTEME EDUCATIF »
El Cantara Sarr est aussi revenu sur l’impact de la fermeture des écoles sur les enseignements et les élèves revenus juste de plus de 8 mois de vacances forcées

Avec le rebond de la Covid-19, l’inquiétude ne faiblit pas à tel point que certaines personnes plaident pour la fermeture des écoles face au constat du non-respect du protocole sanitaire dans les établissements scolaires. Selon le secrétaire général du Syndicat des inspectrices et inspecteurs de l’Education et de la Formation du Sénégal (SIENS), El Cantara Sarr, concilier les impératifs liés à la gestion de la pandémie et ceux de la gestion du système éducatif est possible, au vu des stratégies adoptées lors de la reprise des cours en juin dernier même si des difficultés « évidentes » ont été enregistrées. Il est aussi revenu sur l’impact de la fermeture des écoles sur les enseignements et les élèves revenus juste de plus de 08 mois de vacances forcées.
Aujourd’hui avec la hausse des contaminations de Covid-19, certains acteurs parlent de fermeture des écoles pour limiter la propagation de la maladie. Faudrait-il fermer les écoles ?
En effet, les récentes statistiques relatives à la pandémie sont inquiétantes avec un taux de positivité de plus de 11%, une mortalité en hausse, une majorité de cas issus de la transmission communautaire principalement enregistrée dans les régions de Dakar, Thiès, Diourbel, Kaolack et Saint-Louis. Cette situation nous interpelle tous car s’inscrivant dans une conjoncture générale marquée par l’apparition de nouvelles variantes du virus et un relâchement du point de vue du respect strict des gestes barrières et du protocole sanitaire (port du masque, utilisation du gel hydro alcoolique, lavage des mains, distanciation sociale…) dans quasiment tous les espaces de vie, poussant les autorités à instaurer un couvre-feu nocturne dans les régions de Dakar et Thiès.
Avec la reprise des enseignements-apprentissages suite à la longue période de suspension des activités scolaires et universitaires (de mars à novembre 2020), les écoles et établissements demeurent un important point de préoccupation c o m p t e tenu de leur nombre (plus de 16000 structures) et leur fonction qui induit une nécessaire concentration de plus de 96000 agents (personnels craie en main et administratif), près de 4.000.000 de pensionnaires (élèves et étudiants), de même que l’intensité des flux et interactions en jeu et impliquant toutes les composantes de la société, à travers les familles et parents d’élèves. Ce caractère complexe et sensible de l’Ecole avait motivé au début de la première vague (dès mars 2020) la mesure de suspension des apprentissages qui, pensait-on, devrait aider sur une période courte, concomitamment à d’autres mesures, à endiguer la propagation du virus. Force est de reconnaître que cette mesure a nécessité la mise en place d’une logistique complexe comme stratégie de mitigation des contrecoups prévisibles en termes de risques de décrochage des apprenants les plus vulnérables, de neutralisation des efforts consentis depuis quelques années du point de vue de l’accès et du maintien dans le réseau des enfants en âge de scolarisation, de baisse du niveau de rendement du système et surtout, d’accentuation des nombreuses iniquités et disparités recensées par de nombreux rapports. De même, des difficultés évidentes ont été enregistrées avec la reprise des enseignements pour les classes d’examen, la mise en place des intrants du protocole sanitaire, la coordination de l’effort de riposte au niveau local avec les collectivités territoriales, la conception et la mise en œuvre d’un protocole pédagogique pour environ plus de 550.000 apprenants des classes d’examen parallèlement à l’organisation des évaluations certificatives et la réorganisation du calendrier scolaire pour une prise en charge efficace du traumatisme généré pour les apprentissages et particulièrement pour les classes intermédiaires privées d’écoles à partir de mars.
Dans cette conjoncture, la capacité de résilience du système éducatif a été testée notamment dans son aptitude à accompagner les élèves des classes d’examen concernés par la reprise des enseignements à partir de juin et ceux des classes intermédiaires restés à la maison. Pour les élèves des classes d’examen, l’expérimentation du modèle de gestion des petits groupes en réponse aux exigences du protocole sanitaire et la mise en œuvre d’une pédagogie de la réussite, de même que la réorganisation du calendrier scolaire, le réajustement des curricula, ainsi que la mobilisation de toutes les ressources (y compris numériques) autour desdites classes, pourraient en partie expliquer les taux de réussite appréciables enregistrés pour cette année scolaire. Ainsi, il est désormais admis qu’il est possible sous certaines conditions de concilier les impératifs liés à la gestion de la pandémie et ceux de la gestion du système éducatif et que nous faisons désormais face à un algorithme complexe qui se révèle au fur et à mesure que nous progressons dans « l’inédit ». Partant, il va falloir dorénavant Rep e n s e r l’Ecole, c’est-à-dire capitaliser les leçons tirées des nombreuses stratégies de résilience (groupes restreints, alternance, travail à distance, téléformation, adaptation des curricula…), mais aussi et surtout, envisager la question de l’Ecole dans ce contexte de pandémie en dehors du corset binaire (ouvrir/fermer) et investir davantage le champ des différents scénarios de contournement et d’apprentissage déjà expérimentés. Et dans ce paradigme, la fermeture des écoles et établissements ne serait envisageable que lorsque toutes les options seront évacuées.
Pédagogiquement, quel est l’impact de la fermeture des écoles sur les enseignements et les élèves revenus juste de plus de 08 mois de vacances forcées ?
Pour l’année scolaire écoulée, du fait de différents facteurs dont la pandémie, le quantum horaire fixé à 1296 heures (contre 1265 heures pour l’année scolaire en cours) a été agressé, avec environ 05 mois de classe effectifs pour tous les niveaux d’apprentissage Dans ce contexte, des stratégies innovantes expérimentées ont permis à partir d’une dynamique d’ensemble, une reprise des enseignements apprentissages en juin et l’organisation des évaluations certificatives sanctionnées par des performances assez appréciables eu égard aux variables de contexte (suspension des apprentissages, mise en place du protocole sanitaire, implication des collectivités territoriales, génération d’une masse critique de consensus autour de la reprise, organisation des évaluations et définition du protocole pédagogique, développement de l’enseignement à distance, intégration accélérée des TIC… ) et aux résultats enregistrés depuis quelques années, avec des écarts positifs de respectivement 10.56 points (BAC), 22.8 points (BFEM) et 14.74 points (CFEE) .
Ces performances ont eu comme corollaires de fortes tensions générées sur les flux inter-cycles et la nécessité de mettre en place un dispositif pertinent de prise en main et de « remise à flot » de tous les apprenants dès le début de la nouvelle année scolaire 2020-2021 pour fonder de manière scientifique et systématique l’indispensable travail de remédiation et de rattrapage. Ces tensions s’appréhendent aussi particulièrement cette année par le biais des nombreux manquements enregistrés dans la mise en place du protocole sanitaire, le lourd déficit en personnel enseignant, les classes pléthoriques, la profusion de classes spéciales et l’insuffisance notoire de tables-bancs avec un déficit estimé à environ 330.000 tables-bancs, obligeant les élèves à s’asseoir à trois ou même quatre par table-banc, au mépris des exigences du protocole sanitaire et pédagogique, avec des effets inéluctables sur les risques de contamination à partir de cette population spécifique, mais aussi des incidences négatives sur la mise en place des conditions optimales pour l’apprentissage. Partant, le traumatisme enregistré par les cohortes d’élèves dans le réseau aura des répliques négatives sur les risques de décrochage d’une certaine catégorie d’élèves, les niveaux d’acquisition, les parcours d’apprentissage, les conditions de promotion ainsi que l’efficacité interne. Et dans ces conditions, il est prévisible que les effets négatifs seront plus accentués pour les élèves vulnérables et défavorisés et ceux à besoins éducatifs spéciaux. Ainsi, ces inégalités seront plus marquées selon les types de structures et les variables individuelles, d’où l’urgence de travailler à bâtir un véritable plan de soutien scolaire à destination des apprenants les plus vulnérables quant à leurs possibilités de résilience.
C’est donc ce qui justifie les différentes mesures prises par les autorités cette année ?
C’est certainement pourquoi cette année scolaire, outre l’apaisement du climat social, la priorité du MEN est l’amélioration des performances scolaires qu’il compte réaliser par une série de mesures telles que le découpage de l’année scolaire avec la réduction de la durée des vacances pour relever le quantum horaire, le réajustement des programmes par l’IGEF, le renforcement du contrôle et de l’encadrement pédagogique par les membres des corps de contrôle, la formation continue des enseignants, l’intensification des stratégies d’auto apprentissage, la systématisation des progressions harmonisées et des évaluations standardisées, la détection précoce des apprenants en difficulté, la systématisation de l’encadrement des classes d’examen par les équipes pédagogiques …En clair, il s’agit dans le cadre d’une « mobilisation patriotique » de centrer toutes les interventions sur l’élève pour « répondre, autant que possible à ses besoins spécifiques ». A notre sens, cette stratégie pourrait être gagnante si ladite « mobilisation patriotique » s’opérait à partir d’une réelle volonté politique de rupture qui ferait de l’Ecole le véritable « moteur » du développement, par notamment, une politique hardie de reconstruction d’un écosystème d’Ecole publique vertueux, car adossé à des valeurs partagées et doté de moyens conséquents.