«LE DISCOURS DU PRESIDENT SALL EST MAUVAIS»
Connu pour son franc-parler, le président de la Coalition nationale de l’éducation pour tous (Cnept), Seydi Ababacar Ndiaye analyse avec froideur la situation de l’école publique sénégalaise.
Connu pour son franc-parler, le président de la Coalition nationale de l’éducation pour tous (Cnept), Seydi Ababacar Ndiaye analyse avec froideur la situation de l’école publique sénégalaise. De l’élémentaire au supérieur, il constate, une sorte d’abandon de l’Etat du secteur de l’éducation. Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, M. Ndiaye estime que le «discours du Président de la République», consistant à comparer les enseignants aux paysans est «mauvais». Par ailleurs, il prend le contre pied du ministre de l’Enseignement supérieur en déclarant que «l’orientation des bacheliers dans le privé n’est pas viable», parce que la «décision a été brutale».
Le G7 a tenu une marche nationale avant-hier, jeudi, pour le respect des accords. Quelle image de l’école publique sénégalaise renvoie-t-elle au moment où les enseignants investissent la rue ?
La réponse se trouve dans la question. Ce n’est pas malheureusement avec ce régime que la grogne des enseignants a commencé. Des retards ont été accumulés depuis des décennies sur le respect des accords. Ça veut dire qu’il y a une sorte de non politique de l’éducation dans notre pays dans le sens à décourager les Sénégalais à amener leurs enfants dans les écoles publiques, sous les charges de l’Etat. Si vous regardez bien le taux des écoles privées notamment catholiques, est exorbitant. Avant d’ouvrir une école privée au niveau de l’élémentaire et du moyen secondaire dans les grands pays comme la France et les Etats-Unis, il te faut courir longtemps parce qu’ils savent que c’est dès le départ que l’Etat doit avoir la mainmise sur l’éducation et la formation du citoyen. Ils ne laissent pas l’éducation entre les mains de n’importe qui. Au niveau du supérieur, il n’y a pas de problème, mais avant ce stade-là, il ne devait même pas y avoir d’écoles privées. Je suis radical. Comme on le dit, l’éducation est du domaine régalien de l’Etat mais comment voulez-vous qu’il y ait un héritage, une passation de relais, de témoin de génération en génération si la génération qui précède n’a pas été bien formée. Je préfère avoir une sorte de méta analyse au lieu de parler de revendications qui ne sont que les conséquences. C’est une façon pour l’Etat de se débarrasser de la demande de l’emploi. Le capital humain, axe du PSE, commence par la formation des citoyens depuis le préscolaire jusqu’à l’université. Il y a une sorte d’abandon de l’Etat du service public notamment l’éducation. C’est extrêmement grave. Je suis choqué par ça.
En analysant votre argumentaire sur l’importance de miser sur le capital humain, pensez-vous que les enseignants engagent des grèves ?
Les enseignants sont des travailleurs, donc pères et mères de famille. C’est donc tout à fait normal qu’ils réclament de meilleures conditions de vie, d’autant plus que ces revendications sont liées aux lenteurs administratives, des avancements des actes de validation qui ne sont pas effectifs parce que l’Etat n’a pas d’argent apparemment. Il préfère imputer tout sur les enseignants en pointant du doigt les grèves. L’Etat doit arrêter de jouer à ce jeu-là. En tout cas, nous nous savons écouter, décortiquer, analyser et comprendre un discours. Le discours du Président Sall est mauvais. On ne peut pas comparer les enseignants avec des paysans ; Il faut être sérieux. Si le président de la République croyait à son capital humain, il aurait injecté sur l’éducation. La vérité est qu’il n’y croit pas. C’est le discours le prouve. Aucun enseignant n’est fier de voir la moitié de ses élèves échouer. On aime tous voir nos élèves réussir à 100%. Les non enseignants ne peuvent pas parler à notre place. Un enseignant sérieux et responsable ne peut pas être fier de l’échec de ses élèves.
Les mauvais résultats enregistrés dans les évaluations nationales constituent la résultante, entre autres, de la baisse de niveau des enseignants. Ils ne sont pas exempts de reproche ?
On ne peut pas se lever du jour au lendemain pour dire que le niveau a baissé. Il faut des statistiques et des chiffres pour comparer par rapport au niveau des enseignants des années 1980 ou 90. Ce n’est pas en écoutant un étudiant parler en faisant des fautes. Le président de la République fait des fautes graves. C’est un faux débat. Si on veut bien mesurer la baisse de niveau, il faut le faire sur la base de statistiques, dans le but de redresser mais pas pour rien. Dire que les enseignants n’ont pas le niveau ou n’enseignent pas, c’est faux ! Nos étudiants, vous les amenez partout dans le monde, ils feront parti parmi les meilleurs.
L’Etat a décidé d’orienter tous les nouveaux bacheliers dans les universités publiques . Qu’en dites - vous ?
C’est une décision brutale. Nous, à quelques jours de la tenue des Cnaes, du 06 au 09 avril 2013, avions dit aux autorités que l’orientation des bacheliers dans le privé n’est pas viable. Il fallait accélérer les chantiers en cours depuis la défaite du Président Wade que de construire de nouvelles universités. J’avais même fait une sortie pour dire est-ce-que nous avons besoin de laisser mourir les universités existantes pour laisser émerger de nouvelles. Macky Sall insiste pour construire de nouvelles universités. Il est plus facile de construire des amphithéâtres que des universités. Maintenant, ils se sont rendus compte qu’avec la croissance du nombre de bacheliers que cette démarche-là ne tenait pas. Il y a une mauvaise gestion qui part du sommet de l’Etat avec des gens incompétents. On a tous les éléments nécessaires. Il faut savoir les mettre en concordance pour en tirer des choses positives. Le gouvernement cherche à orienter tous les bacheliers et le reste, il ne s’en occupe plus. C’est à nous de nous débrouiller dans des conditions exécrables
Que faire dans ce cas de figure ? La demande de nouveaux bacheliers prend la courbe ascendante
L’Etat doit reculer et constater. Un Etat responsable doit avoir l’humilité et la grandeur de rectifier. Il faut qu’on s’inscrive dans une certaine durée, se projeter progressivement pour résoudre les problèmes. L’Etat doit revenir sur sa décision d’orienter tous les bacheliers dans le public. Je me demande même si le ministre de l’Enseignement supérieur avait pris le soin de bien vérifier certains dossiers. Quand s’il avait pris le temps de considérer tous ces paramètres, je suis sûr qu’il n’allait pas prendre cette décision. L’Etat doit apprendre à respecter ses engagements.