LE PROTOCOLE PÉDAGOGIQUE LAISSÉ EN RADE
Les acteurs de l’Education dénoncent le fait que, depuis l’annonce de cette reprise des cours, les autorités aient mis l’accent sur le « protocole sanitaire » au détriment de ce que les enseignants appellent le « protocole pédagogique »

Dans le cadre de la reprise des cours, demain jeudi, le gouvernement a élaboré un protocole sanitaire dont il exige le respect. Il comporte la distribution de produits sanitaires composés de gels hydro alcooliques, de savon, le port de masques… par contre, les autorités du ministère de l’Education nationale sont muettes concernant le volet pédagogique à part les dates retenues pour la tenue des examens et des cours. Le protocole pédagogique ayant ainsi été laissé en rade, des enseignants disent nourrir des craintes quant à la situation de l’école dans les années à venir.
Demain, tous les élèves en fin de cycles vont reprendre les enseignements-apprentissages pour une durée d’à peu près deux mois, voire un mois et demi pour certains. Le ministère de l’Education nationale a déjà fixé les dates des examens qui doivent, en principe, démarrer à partir du 21 août prochain. Ce, après avoir procédé à la distribution de matériels sanitaire. Les enseignants, les élèves et les parents d’élèves savent que l’école va rouvrir ses portes pour les classes d’examen ce jeudi. Ils connaissent aussi les dates retenues pour la tenue des examens. Ce même si la dotation en produits sanitaires laisse à désirer.
Toutefois, des acteurs de l’Education dénoncent le fait que, depuis l’annonce de cette reprise des cours, les autorités aient mis l’accent sur le « protocole sanitaire » au détriment de ce que les enseignants appellent le « protocole pédagogique ». Or ce retour retardé par la propagation du virus de la Covid-19 devrait impérativement être couplé à des orientations pédagogiques, selon le censeur du lycée Mbacké 2, dans la ville éponyme, Cheikh Doucouré.
Selon ce professeur de lettres, il ne faut pas négliger l’aspect pédagogique. En effet, dit-il, « nous pensons que cette reprise devra être accompagnée d’orientations ou de directives pédagogiques élaborées par la tutelle. Nous le disons pour plusieurs raisons. D’abord, le quantum horaire, sous les effets des grèves, des débrayages et de la pandémie, est drastiquement amputé. D’où un faible niveau d’exécution des programmes. Ensuite, le temps de suspension des cours étant trop long (situation oblige), logiquement, les premiers jours de la reprise devront être consacrés à des séances systématiques de révisions pour accrocher les élèves. Deux mois de travail encore pour ces classes de fin de cycle (Cm2, Troisième et Terminales) nous semblent trop insuffisants, surtout s’il faut planifier, intervenir, évaluer et remédier. L’éclatement des classes en groupes pédagogiques confiés à d’autres enseignants crée un dépaysement chez certains élèves. La pandémie n’a pas encore fini d’installer la psychose ou de saper la psychologie des enseignants et élèves. Compte tenu de tout cela, les autorités, pour soutenir cette reprise, devraient lister un ensemble d’orientations ou de recommandations pédagogiques par rapport aux programmes, aux modalités d’évaluation formative et certificative ».
Partant de son argumentation, M. Doucouré pense que des explications devraient être apportées par rapport à ces interrogations : « jusqu’à quel niveau il faut exécuter le programme pour chaque classe ? Sur quel point du programme l’enseignant devra-t-il insister durant ces deux mois ? Comment les élèves seront-ils évalués à l’examen ? »..
Le Gouvernement accusé de s’empresser de rouvrir les écoles
El Hadj Malick Youm du Syndicat des enseignants du moyen et secondaire du Sénégal (Saemss) et Dame Mbodj du Cadre unitaire des syndicats du moyen et secondaire/ Authentique (Cusems A) estiment que le gouvernement s’est empressé d’aller vers une reprise sans pour autant s’accorder avec les syndicalistes sur la base d’un « protocole pédagogique » bien défini. Pour cette année, le premier nommé déclare que l’école, sur les 1296 heures du quantum horaire, n’en a consommé que 700 heures. Et qu’il reste encore 500 heures qui ne peuvent pas être rattrapés en deux mois. Soit 60 jours. « Il faut plutôt dire un mois et demi de cours », a tenu à préciser Dame Mbodj non sans souligner que l’école a déjà perdu 6 mois de cours que l’on ne peut rattraper en 45 jours. « Ils savent pertinemment que l’année scolaire est compromise au Sénégal qui a perdu 5 mois plus le mois d’octobre. On a fait deux mois de grèves plus les 3 mois de la fermeture des écoles, et si on y ajoute le mois d’octobre, cela fait 6 mois de perte qu’ils veulent rattraper en un mois et demi. Sans compter les compositions qui vont durer deux semaines pour toutes les disciplines », s’indigne M. Mbodj qui partage l’avis du secrétaire général national adjoint du Saemss.
Au moment où la crise sanitaire est arrivée, dit-il, « on avait exécuté les cours selon un certain niveau. Dans le primaire où on fait des trimestres, on avait fait les deux et il restait le dernier. Et même le deuxième trimestre n’était pas totalement épuisé. Si vous prenez le moyen secondaire, c’est des semestres. On n’avait fait que le premier » soutient-il. Avec cette reprise des cours pour les classes de Cm2, de troisième et des terminale, et suite à l’impact du covid-19, « il faut forcément un nouvel découpage du calendrier scolaire d’autant que l’ancienne programmation n’est plus valable, et un allègement du programme », estime M. Youm qui considère que les objectifs pédagogiques d’avant et d’après ne peuvent pas être les mêmes.
Par conséquent, «il fallait rassembler les différentes parties pour s’entendre sur le contenu des programmes, sur ce découpage et surtout sur les modalités de passage des élèves en classes supérieures. Donc, deux piliers essentiels sur lesquels on devrait échanger. Malheureusement, le ministre de l’Education nationale a fait dans la légèreté en adoptant une démarche cavalière sans consulter les vrais techniciens de l’école, et surtout les syndicalistes ».
Une seule volonté, celle d’organiser les examens
Le patron du Cusems/A soutient mordicus que le gouvernement ne s’intéresse pas aux préoccupations liées aux orientations pédagogiques de l’école. Son objectif, ditil, c’est d’organiser les examens. Il ne serait guère préoccupé par ce qui va se passer pour cette réouverture de l’école qui va péricliter. « Déjà, la date retenue pour l’organisation du baccalauréat parait très limite », a laissé entendre son collègue du Saemss qui affirme sans ambages que certains élèves vont être lésés. Par exemple, M. Youm informe que les responsables du privé ont eu la possibilité de mettre en place des plateformes efficaces pour contourner certaines difficultés. Eu égard à tous ces manquements, et comme les autorités veulent coûte que coûte rouvrir les écoles, « pourquoi ne pas préconiser deux sessions, comme celle qui est calée pour le mois d’août, et comme c’était le cas en 2012 ?». D’après toujours le responsable du Saemss, la classe d’examen étant une classe de consolidation de « background » serait la moins importante du cycle scolaire. Malheureusement, les classes intermédiaires, qui sont d’une importance capitale, risquent de constituer une bombe dans les prochaines années. « Parce que les autorités ont tout simplement voulu réduire l’école sénégalaise à l’examen. Et pour ce qui est des classes médianes, elles vont mettre en place des comités pédagogiques qui vont faire passer les élèves avec une moyenne au-dessus de 10. Mais ce sera comme la Goana. Ce qui fait que, des années plus tard, cela va nous amener à des résultats catastrophiques. Et c’est le système qui va y perdre », se scandalise-t-il. Sur ce, Dame Mbodj pense que « l’Etat, en violant les lois qui consacrent l’équité pour avoir réfléchi en faveur d’une minorité, se fiche carrément de ce qui se passe dans l’école publique ». Or « tous les élèves, doivent avoir les mêmes chances de réussite » estime le patron du Cusems/A. Pourtant, l’école c’est le seul ascenseur national sur lequel comptent l’ensemble des fils pour développer le pays…