FEMMES ET DEMOCRATIE : Fabriquer autre chose que des béni-oui-oui
JOURNEE INTERNATIONALE DE LA FEMME

Ce spécial 8 mars, que vous propose la rédaction de Sud Quotidien, il aurait suffi de trois fois rien pour lui trouver un titre : «Portraits de femmes», signés pour ne pas dire assumés par des femmes, ou presque… Les héroïnes de ces récits, appelons-les comme cela, ont oublié d’être classiques, conventionnelles ou prévisibles. Si vous êtes du genre à douter, sans doute parce que ce n’est ni acquis ni banal, elles vous montreront que c’est possible : de dompter un taxi quand on est une femme, de s’amuser derrière la caméra quand on est une dame, de faire du hip hop, même avec une robe… Au-delà d’y trouver de quoi secouer vos préjugés et autres réticences, Sud Quotidien vous propose aussi, dans ce spécial 8 mars, d’accorder quelques minutes de votre temps à ces braves dames, lavandières ou teinturières, qui nous semblent parfois si transparentes, dans le train-train de nos vies. Et près de six ans après la loi sur la parité, qu’en est-il vraiment et n’en a-t-on pas fait quelque chose de mécanique ou d’arithmétique ? Qui sont nos élues et à quoi ressemblent-elles ?
S’il faut se réjouir de cette loi sur la parité, votée en 2010, c’est sans doute pour son côté progressiste. Mais encore faudrait-il que celle-ci ne se limite pas à nos institutions, ou que les femmes n’aient pas à se contenter de quelque rôle accessoire, faute d’avoir été formées. Autrement dit pas de femmes béni-oui-oui ou suiveuses, à l’Hémicycle ou ailleurs.
En mai 2010, autrement dit sous le régime du président Abdoulaye Wade, le Sénégal passait par le Sénat, qui existait encore à l’époque, et par l’Assemblée nationale, pour adopter ce qui n’était encore que le projet de loi sur la parité absolue homme-femme, qui devait s’appliquer, disait le texte, à «toutes les institutions totalement ou partiellement électives», sur la base de «listes de candidatures (…) alternativement composées de personnes des deux sexes».
Une loi pas banale, et même une très bonne chose, disent à la fois la sociologue et féministe Marie-Angélique Savané et la députée socialiste Aminata Diallo Thior, ne serait-ce que parce qu’elle permet aux femmes d’accéder à des «instances de décision», même dominées par des hommes. Mais il y a un «mais»…sinon plusieurs. Marie-Angélique Savané vous dira par exemple que cette loi est «restreinte», plus ou moins cantonnée à des «institutions où il faut passer par des élections», ce qui explique sans doute qu’elle ne touche pas vraiment «la majorité du pays». Ensuite, il y a la façon dont Wade l’a plus ou moins «imposée» comme elle dit, entre la mesure «cosmétique» et «l’instrument électoraliste», et sans avoir vraiment pris le temps ou le soin de préparer les gens ou le terrain…jusqu’au «consensus».
Dans la configuration des partis politiques, dit aussi Aminata Diallo Thior, on se retrouve avec très peu de femmes, pour ne pas dire qu’elles sont «minoritaires», et le hic c’est qu’elles ne sont pas toujours très bien formées, en plus d’un «niveau politique pas très élevé», se contentant souvent de «suivre le mot d’ordre du secrétaire général», quand elles n’ont tout simplement rien à dire à l’Assemblée nationale. Marie-Angélique Savané dit d’ailleurs qu’on ne les entend pas vraiment, ou à peine, que ce soit pour parler politique ou économie, cantonnées qu’elles sont à des tâches qui consisteraient par exemple à mobiliser d’autres femmes, ou à des questions «féminines», et peut-être pas préparées à assumer quelque fonction «d’élue locale ou d’élue au niveau national». De quoi expliquer la frilosité de certains hommes, sceptiques à l’idée de ramener des femmes dans leurs rangs, parce que la loi aurait dit que…
Et dans ce qu’en dit Aminata Diallo Thior, la plupart d’entre eux sont plutôt contre cette loi, parce que les femmes seraient le maillon faible de l’Hémicycle. «Les hommes nous critiquent tous les jours, et ça m’écœure» dit-elle.
Qu’on choisisse les femmes, disent nos deux interlocutrices, mais pas au hasard, autrement dit pas n’importe lesquelles, pas de façon mécanique ou arithmétique, ou pour respecter quelque quota. Il fallait déjà les former du temps de Wade, fait remarquer Marie-Angélique Savané, dans le contexte de l’époque où l’on a un peu fait les choses à la va-vite, et c’est encore le cas avec l’actuel régime, qui ne fait pas grand-chose à ce sujet.
Pour Aminata Diallo Thior, les partis politiques doivent aussi jouer le jeu, en insistant notamment sur la «formation à la base», histoire de ne pas fabriquer des «béni oui-oui», qui auraient peur de «bousculer les hommes».