FRANCE, RACISME AU SEIN DE L'ÉCOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE
Dans des documents internes à la promo 2019 de l’ENM consultés par Mediapart, des inscriptions racistes telles que « la france aux français » ou « dehors les arabes » ont été rédigées par des étudiants de la dernière promo, qui deviendront magistrats

Dans des documents internes à la promo 2019 de l’ENM consultés par Mediapart, des inscriptions racistes telles que « la france aux français » ou « dehors les arabes » ont été rédigées par des étudiants de la dernière promo, qui deviendront magistrats dans quelques semaines. Saisi par la direction de l’école, le parquet de Bordeaux ouvre une enquête.
Cette semaine est cruciale pour les étudiants de l’École nationale de la magistrature, qu’on appelle aussi les « auditeurs » de l’ENM. La fin des études est en effet très proche pour la promo 2019, qui vient de passer son examen final. Les 309 élèves, dont l’établissement est situé à Bordeaux, attendent les résultats censés tomber le 26 avril prochain. Chacun des futurs magistrats saura alors, selon l’addition de ses notes, où il pourra être affecté et dans quelle juridiction. Mais depuis une semaine, cette même promo traverse aussi une crise inédite.
Le 13 avril dernier, les étudiants reçoivent leur note de manière individuelle. Ils savent qu’ils doivent attendre le 26 avril prochain et la délibération finale du jury pour avoir un aperçu du fameux classement qui permettra à chacun de savoir ce qu’il peut espérer comme affectation, la juridiction parisienne n’ayant pas la même valeur que la toulousaine par exemple.
Un étudiant de l’ENM décide alors de créer un classement informel dans un document partagé. Le principe est simple : les étudiants volontaires inscrivent leur note anonymement dans un tableur et peuvent espérer avoir un aperçu approximatif du classement final. La plupart jouent le jeu puisque près de 230 élèves sur les 309 que compte la promo le remplissent. Sauf que quelques heures après sa création, certains auditeurs dérapent.
Les étudiants qui accèdent au document découvrent plusieurs inscriptions problématiques. Des propos potaches, des propos grossiers à caractère sexuel et des propos parfois racistes. « Non mais dehors les arabes », « la france aux français », « votez Le Pen », ou « oh lala encore une racaille », peut-on ainsi lire parmi les multiples inscriptions. Rapidement, certains élèves font des captures d’écran, se préviennent entre eux et s’interrogent sur la nécessité de prévenir ou non la direction.
« Quand j’ai voulu aller voir le tableau le lendemain, tout avait été effacé mais un avertissement avait été ajouté par le créateur du document », témoigne une auditrice auprès de Mediapart. « Rappel : les insultes à caractère raciste sont non seulement un manquement déontologique à vos futures fonctions mais également une infraction pénale », pouvait-on lire dans le nouveau document expurgé de tout propos raciste le 14 avril. Des délégués décident toutefois de remonter l’incident à la direction, photo à l’appui. Jeudi 15 avril, Samuel Lainé, directeur adjoint chargé des recrutements, de la formation initiale et de la recherche de l’ENM, envoie un courriel à l’ensemble de la promo. Il rappelle le serment qui engage tous ses étudiants qui ont juré de se « conduire en tout comme un digne et loyal auditeur de justice ».
« L’appréhension de la période de publication du classement de fin de scolarité et de choix des postes ne saurait en effet autoriser et encore moins excuser des pratiques non seulement contraires au serment que vous avez prêté, à la déontologie qui fonde votre légitimité et la confiance susceptible d’être placée en vous pour l’exercice des missions auxquelles vous aspirez, mais encore réprimées par le code pénal, écrit ainsi Samuel Lainé. J’en appelle donc à votre responsabilité, à votre éthique, pour que ces errements cessent et ne se reproduisent pas. » Et d’ajouter : « J’invite solennellement celles ou ceux qui ont cru pertinent de procéder ainsi à s’interroger sur la vision qui découlerait de l’école et, au-delà, de la magistrature, si les éléments joints à ce message étaient diffusés hors les murs de l’école. »