QUE FAIRE DES CHINOIS D'ARAFAT ?
Ces milliers d'indésirables, parfois de tout petits, sont apparus ces dernières années comme une bourrasque longtemps ignorée, mais qui menace d'emporter toute la société ivoirienne

Ils sont si nombreux et si vifs, avec leur taille si menue qu'on les appelle les "Chinois". Enfants de rue, hères qui n'avaient d'yeux que pour celui à qui ils s'identifiaient - Arafat - ils ont fait de certains quartiers d'Abidjan leurs terrains de chasse quand le Yorobo lui-même manquait de les gratifier de sacs de riz et de vivres. Souvent comparés aux "chégues" de Kinshasa, aux gamins des favelas de Sao Paulo, ils sont les fruits, que dis-je, les conséquences d'une société qui a passé dix ans à s'entredéchirer, à s'escrimer, à s'autodétruire pour une hypothétique course au pouvoir. Car, pendant que les hommes politiques se donnaient le change à travers les intrigues et les armes à feu, pendant que les femmes, leurs enfants accrochés aux flancs, avaient pris la route de l'exil, de milliers de gamins laissés sur place avaient survécu dans une Côte d'Ivoire à la dérive où le sang humain était régulièrement répandu, mêlé aux pratiques magico-religieuses absurdes. Sans éducation formelle, sans famille pour leur transmettre le sens civique, ces enfants sont devenus, après la crise, cette plaie puante que l'on houspille aujourd'hui à coups d'invectives, que l'on combat à coups de raffles et de tirs à balles réelles.
Mais ils sont désormais insensibles à tout, ces "microbes" et "Chinois". Ils ne peuvent plus et ne veulent plus reculer devant la haine déferlante qu'ils inspirent aux biens pensants. Ils ont profané la tombe de leur idole? Que non, ils voulaient simplement s'assurer que c'était lui, oui, seulement lui que cette cruelle mort a réduit...Ils ont défié l'autorité ? Mais quelle autorité ? Et qui leur a dit que ces gens-là incarnaient une quelconque valeur à leurs yeux? D'ailleurs, c'est quoi une valeur ?
Ces milliers d'indésirables, parfois de tout petits, sont apparus ces dernières années comme une bourrasque longtemps ignorée, mais qui menace d'emporter toute la société ivoirienne. Les autorités qui ont toujours joué à l'autruche, considèrent ce phénomène comme dérisoire et secondaire, préférant s'occuper d'illusoires indices de développement, ces éléments édictés par la Banque Mondiale avec les fameux taux de croissance qui n'ont jamais fait le bonheur d'aucun peuple. Elles ont oublié, ces autorités, que tant qu'une partie de la population croupit dans la crasse et le noir, les statistiques les plus flatteuses ne serviront à rien. Les "Chinois" viennent le leur rappeler brutalement. Ils leur rappellent mieux que leur existence: leur droit de vivre à travers la mort de l'un des leurs, leur champion et le plus illustre d'entre eux. Pour beaucoup, cette situation constitue une chance inouïe à saisir. Pour les autorités, c'est l'occasion de faire d'eux de véritables citoyens.