«C’EST A CAUSE DE LA PAUVRETE QUE JE SUIS ENTRE DANS L’ARENE»
Dans la suite de l’entretien qu’il a accordé à «L’As», l’ancien Tigre de Fass, Mbaye Guèye, revient largement sur sa carrière de lutteur

Dans la suite de l’entretien qu’il a accordé à «L’As», l’ancien Tigre de Fass, Mbaye Guèye, revient largement sur sa carrière de lutteur. Ancien militaire, il avait rejoint l’arène pour pouvoir joindre les deux bouts. Il se livre sur ses débuts, l’origine du surnom «Tigre de Fass», son plus gros cachet. Celui qui a également taquiné le ballon à un moment donné de sa jeunesse raconte ses souvenirs.
Pouvez-vous nous parler de vos débuts dans la lutte ?
Je me nomme Babacar Mbaye Guèye, mais on m’appelle Mbaye Guèye. J’habite à Fass, mais je suis né à Diokoul en 1946. Quatre ans plus tard, je suis venu avec mon père à Dakar. Mes premiers jours dans cette ville, j’habitais chez ma tante Seynabou Sène. Comme tous les jeunes musulmans de mon âge, j’ai fait l’école coranique où j’ai appris beaucoup de choses. Ousseynou Ciss et Ngagne Demba Sène étaient mes maîtres. C’est par la suite que nous sommes venus à Fass. Avant d’entrer dans la lutte, j’étais joueur de football. J’évoluais à Concorde en junior. C’est par la suite que Feugueleu a voulu que je pratique la lutte. Au début, j’ai refusé car ce sport ne m’intéressait pas. En 1965, lorsque mon père est décédé, j’ai décidé de rejoindre l’armée. Après ma libération, Feugueleu est venu à nouveau me parler de la lutte. J’avais refusé pour une deuxième fois. Par la suite, ils ont décidé de cacher mes chaussures pour que je ne parvienne plus à aller à l’entraînement de football. Mais je peux dire que c’est en 1967 que j’ai vraiment décidé de faire de la lutte mon sport favori. J’ai sillonné tous les quartiers de Dakar pour faire la lutte simple. Et je peux dire que peu de lutteurs m’ont terrassé.
Que peut-on retenir de vos premiers combats dans l’arène ?
Pour mes premiers combats, j’ai battu Samba Thiaré, Adama Mané ou encore Jean. Après ces victoires, je suis entré dans le cercle des mi-lourds et j’ai terrassé Birame Samba de Bargny, Sa Walo, Baye Demba War. Par la suite, j’ai lutté avec Pape Kane de Thiaroye, Yako Sarr et j’avais remporté tous ces combats. Après, j’ai accédé au cercle des Vip de l’arène. Je me suis mesuré à Sa Ndiambour. C’est lors de cette confrontation que le nom de «Tigre de Fass» est né. Par la suite, j’ai fait match nul avec Ibou Senghor. Il avait tout fait pour me terrasser, mais il n’avait pas réussi. Lors de notre deuxième confrontation au stade Iba Mar Diop, je l’ai battu. Par la suite, j’ai eu à battre Ousmane Ngom et Samba Dia. Après ces combats, on m’a proposé Robert Diouf. J’avais longtemps voulu en découdre avec lui et je l’avais terrassé à son tour par un coup de poing. A cette époque, je ne savais pas comment donner des coups fatals. Mais je me suis amélioré grâce à mon premier entraîneur de boxe, François Faye. Il m’avait donné cette technique de frappe. En 1974, j’ai battu à nouveau Robert Diouf. C’est après que j’ai intégré Asfa avec Issa Faye. J’ai battu également Double Less, mais on ne me reconnaît pas cette victoire jusqu’à présent. J’ai à nouveau fait le tour en battant mes adversaires, certains à trois reprises, d’autres quatre fois. C’est Pape Kane qui m’a infligé ma première défaite dans l’arène. Il m’a mis K.-O avec un coup de poing. En 1986, lorsque mes petits frères ont intégré le milieu de la lutte, j’ai décidé de céder ma place à Moustapha Guèye. Une chose que je ne regrette pas, car il a porté le drapeau de Fass au plus haut niveau. Donc, je peux dire que j’ai fait 19 ans de carrière dans la lutte.
Qu’est-ce qui vous avait motivé à pratiquer la lutte?
A notre époque, il y avait des Américains qui disaient que pour faire une carrière sportive, il fallait faire des études supérieures. Et en ce qui me concerne, c’était un défi que je devais relever. J’ai juste fait l’école coranique et j’avais mon métier. Mais étant motivé pour subvenir aux besoins de ma famille, j’ai décidé de pratiquer la lutte. C’est à cause de la pauvreté que je suis entré dans la lutte. Aujourd’hui, je ne regrette rien, car tout ce que j’ai, c’est grâce à ce sport. Tout ce que j’ai aujourd’hui, c’est grâce à la lutte.
Donc, c’était un défi pour vous ?
Quand on a la volonté, on peut tout faire dans la vie. Il suffit juste de croire en ses qualités et accepter la volonté divine. J’ai fait une excellente carrière dans la lutte. Même si je n’ai pas dépassé les Boy Nar Faye ou Mame Gorgui Ndiaye, je peux dire que j’ai presque côtoyé ces icones. Aujourd’hui, on ne peut pas citer des noms dans le milieu de la lutte sans parler de moi.
Quand est-ce que vous avez senti que vous alliez devenir un champion ?
Quand je suis revenu de l’armée, j’ai commencé à faire la lutte simple et j’ai battu tous mes adversaires. C’est l’année où mon père est décédé que j’ai senti que je deviendrai un lutteur. Peu de lutteurs m’ont terrassé dans la lutte simple. J’ai fait des prouesses dans la lutte
A vous entendre, on a l’impression que vous avez rampé pour vous hisser au sommet ?
Oui, j’ai lutté partout à Dakar, surtout à Pikine et dans les régions. Je me rappelle notre groupe qui avait pour nom Onu. On était chez Sadio Ndiaye à Angle Mousse (Pikine). Il y avait d’autres lutteurs comme Mbaye Cissé, Papa Kane et Boy Ndiaga. On dormait là-bas. C’est lors de discussions entre nous qu’on programmait nos entraînements. C’étaient des discussions comme du genre : tu ne peux pas me terrasser. Et dans tard dans la nuit, nous nouions nos pagnes pour lutter jusqu’au petit matin. L’après-midi, on allait en salle de musculation ou on faisait des contacts. C’est ainsi qu’on a vécu pendant trois longues années.
Comment se déroulaient vos préparations ?
On n’avait pas peur de nos adversaires. Et on n’était pas des poltrons. On n’avait peur de rien. Pour moi, quel que soit l’adversaire qui était en face de moi, j’étais capable de le battre. Je ne reculais devant rien. Dans la lutte, il existe trois choses. C’est soit la victoire, soit la défaite ou le match nul. La troisième option fait partie de la lutte mais aujourd’hui, cela a tendance à disparaître
A votre époque, est-ce que vous aviez des managers ?
Il y avait bien des managers. Mais c’était à nous lutteurs de choisir nos adversaires et de négocier le cachet, mais aussi le jour de nos combats. Mon manager qui était Dame Mbaye allait récupérer l’argent et signait le contrat.
Existait-il les 10% que nous voyons aujourd’hui?
Non, cela ne se passait pas comme ça. Je peux dire même que cela dépassait même les 10% d’aujourd’hui. C’était un contrat moral avec mon manager. C’était à moi de décider de ce que je devais lui donner, même si on ne nous donnait pas des millions. C’est moi qui avais augmenté les cachets. Le stade Demba Diop fait 30 000 places. Si le stade est plein, avec des tickets de 1000 francs, le promoteur gagnait 30 millions Fcfa. C’est par la suite que j’ai demandé qu’on me paye un million pour lutter. Et beaucoup de personnes me taxaient de fou. C’était juste de l’ambition. C’est par la suite qu’un promoteur qui se nommait Bassirou Diagne m’a proposé un cachet d’un million Fcfa pour lutter. Et certains étaient contre. C’est ainsi que je suis devenu un ennemi dans le milieu de la lutte, car tout le monde voulait ma défaite. Si je suis devenu un acteur de la lutte, c’est pour rétablir la vérité. Pour vous dire la vérité, à l’époque, Fass était un quartier où il y avait beaucoup de délinquants. La plupart des jeunes consommaient de la drogue. Et en tant que lutteur, j’avais pour mission d’éradiquer ce fléau. C’est ce qui a dérangé beaucoup de personnes qui ne souhaitaient que ma défaite. C’est pour cela qu’il y avait la situation de un contre tous. Je ne luttais pas uniquement contre mes adversaires, mais contre ceux avec qui je vivais dans le même quartier. Il fallait qu’on purifie Fass. Et c’était seulement par le sport qu’on pouvait faire cela. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’autorités qui se réveillent à Fass
Quel bilan tirez-vous de votre carrière ?
J’ai fait une carrière exemplaire. J’ai pratiqué la lutte pendant 19 ans. J’ai eu à battre la plupart de mes adversaires. C’est après ma chute contre Mouhamed Aly que j’ai décidé de céder la place. Mon plus grand cachet dans la lutte a été de 3,5 millions Fcfa. Après mon retrait, j’ai décidé de former les jeunes comme Toubabou Dior, Birahim Ndiaye, Moustapha Guèye à l’écurie Fass dont je suis le fondateur avec mes amis. C’est en 1986 que j’ai ouvert une école de lutte à Fass Mbao. En 2000, beaucoup de jeunes lutteurs ont fait leurs débuts avec moi. Mais aujourd’hui, ils sont la cause des querelles entre les promoteurs et les anciens lutteurs. C’est pour cela qu’ils n’ont pas pu avoir beaucoup des combats. Il y avait Laye Pythagore, Tigre de Somone entre autres. Ils ont fait leurs débuts avec moi à Fass. En plus, des lutteurs comme Balla Gaye 2, Modou Lô étaient présents dans mes «mbapatt» (combats de quartiers). Il y a eu une année où Modou Lô a remporté le tournoi dans la catégorie des légers.
Quel a été votre plus grand souvenir dans l’arène?
Le souvenir que je ne suis pas encore près d’oublier, c’est lorsque j’ai battu Moussa Diamé. Je faisais 85 kilos et mon adversaire était un lourd. Pour ce combat, je m’étais entraîné comme un fou. J’étais en compagnie d’Ibrahima Sall, plus connu sous le non de Bill. Il était au ministère des Sports. Et il m’a mis en rapport avec Mansour Dia, un athlète. Ce dernier a été plusieurs fois champion du Sénégal de saut en longueur dans les jeux locaux. C’est lui qui m’avait en musculation. Et Alioune Sarr, l’actuel président du Cng, me conseillait sur ce que je devais manger. Nous avons fait un très bon duel. J’étais petit à ses yeux. Je l’ai frappé jusqu'à ce qu’il ne soit plus en mesure de lutter. Et il s’est accroché, mais je lui ai même donné un coup de tête. Il avait beaucoup saigné lors de cette confrontation. Et j’avais utilisé une technique folle pour le terrasser. C’est à la suite de cette victoire que je suis entré dans le cercle des grands
Comment étaient les arbitres à cette époque?
Notre époque, beaucoup de combats sont restés sans verdict, car il y avait des erreurs d’arbitrage. Mais aujourd’hui avec Sitor Ndour et Malick, les choses commencent à changer. Et le règlement évolue de plus en plus.