ELINKINE, LA COSMOPOLITE
De sa fondation à aujourd’hui, le village a toujours été un point de rencontre. Attirées par la pêche, plusieurs ethnies, venues de toute la sous-région, y vivent aujourd’hui en parfaite harmonie

Une odeur âcre de poisson séché. « Une fois rentrés, il faut aussitôt enlever vos habits et les laver avant de les mélanger avec les autres ; sinon cette odeur vous restera coller pendant longtemps », conseille Seyni Keïta, président du quai de pêche. À Elinkine, toute la vie semble tourner autour de la pêche. Aussi, le visiteur est particulièrement frappé par cette odeur dès son entrée dans le village. Ce vendredi 7 août, même si le drapeau affiche vert, signe que la mer est praticable, l’essentiel des embarcations sont à quai. « Durant cette période de l’année, et jusqu’au 15 août, aucune pirogue ne va en mer à cause des intempéries et de la houle », renseigne un vieux pêcheur. Un groupe de jeunes Ghanéens, muscles saillants, coupe de cheveux à la Jordan Ayew, essaient de remonter une grande pirogue qui surplombe tout ce beau monde. « Joogui Oh ! Joogui ! Joogui Oh ! ». Au signal, les solides gaillards tirent les cordes. Le bloc de bois bouge à peine. Ils recommencent. Assis à côté, Mamadou Thiam répare tranquillement ses filets, un garçon de deux ans sur ses genoux. Il est le président du Conseil local de pêche artisanale (Clpa) d’Élinkine. « Cette pirogue nous appartient. Mais, comme la communauté ghanéenne est très organisée, nous avons sollicité leur aide pour la remonter », renseigne-t-il. De parents niominka (sérères des îles du Saloum), Mamadou, qui est né à Élinkine, s’est aujourd’hui « diolaisé ». Il parle parfaitement la langue diola. Son père s’était installé ici en 1968. À l’époque, c’était le seul qui s’activait dans la transformation de gros poissons (requins et autres raies). Aujourd’hui, cette activité est l’apanage des Ghanéens. Avec leurs grosses pirogues, ils ne sont intéressés que par ces deux espèces qu’ils vont pêcher jusqu’en Guinée Bissau (voir ailleurs).
Un fondateur venu du nord du Sénégal
En plus des Ghanéens, la population d’Élinkine est composée de quasiment toutes les ethnies du Sénégal. On y retrouve les diolas, les sérères, les wolofs, les peuls, les mandings et même des soussous (d’origine guinéenne) et des Sierra-Léonais. « A Élinkine, c’est la sous-région », résume Frédéric Sambou, le chef du village depuis 25 ans.
Assis sur le « kabita » (grand tambour utilisé pour la communication des nouvelles importantes : décès, détresse, fête…), à l’ombre d’un « butol », un grand arbre au bord du fleuve, le septuagénaire nous raconte comment le village est devenu, au fil du temps, un melting-pot, symbole de la diversité ethnique et linguistique qu’est la Casamance. Cette diversité se retrouve même dans l’histoire de la fondation du village. Il existe ainsi trois versions sur l’origine du nom d’Élinkine. L’une veut que le nom soit une déformation d’Elen King, une ressortissante sierra-léonaise qui tenait une boutique dans le village. L’autre voudrait que ce soit une déformation du mot diola « hulinkine » (le nom d’une pierre, un fétiche ou encore le bras droit du roi). En revanche, il y a consensus sur le nom du fondateur du village, Omar Teuw, un wolof venu du nord du Sénégal. Quant au premier chef du village, il s’appelait Thiokane Ndiaye. A l’image d’autres localités en Casamance, il y a un cimetière commun à Élinkine où musulmans et chrétiens sont enterrés côte à côte. Et dans une même famille, on peut retrouver un musulman, un chrétien et un animiste. Signe de cette coexistence pacifique, des membres des autres ethnies peuvent être autorisés à participer au « boucoute » (circoncision diola) s’ils sont initiés, renseigne Frédéric Sambou, jetant un coup d’œil aux menuisiers métalliques qui s’activent autour d’une grande pirogue.
Le tourisme, l’autre mamelle grippée par la Covid-19
A 75 ans, le chef du village ne fait pas son âge. Il est encore très solide. Seule sa bouche, où subsiste une dentition clairsemée, renseigne sur son âge avancé. Il nous fait visiter tout le village, sous la pluie. Dans sa famille, la longévité est de règle. « Mon père a vécu plus de cent ans, ma mère aussi. Peut-être que je vivrai autant », répond-il à notre question sur son « secret ». Si secret, il y en a, ce serait une alimentation saine, puisque « je mange du riz blanc et peu d’huile », argumente le chef du village.
Élinkine est la porte d’entrée des îles (Ourong, Éhij, Wenday et Kifoka) où est pratiquée la riziculture. Ce sont ces quatre îles qui forment le grand Élinkine. Pour ce qui est de la pêche, la principale source de revenus des habitants, « l’activité marche toujours, même si on note une raréfaction de la ressource », note Mamadou Thiam, le président du Clpa. « C’est amer à avaler, mais l’État du Sénégal a vendu sa ressource aux bateaux étrangers », accuse Frédéric Sambou. Actuellement, il ne reste pratiquement qu’une seule espèce, le « kaabo », ajoute M. Thiam.
Selon Seyni Keïta, président du quai de pêche, plus de 150 embarcations opèrent à partir d’Élinkine. Comme le veut la tradition, à chaque débarquement, le propriétaire de la pirogue donne au chef du quai un gros poisson. Ce dernier peut le revendre. Dans ce cas, c’est le propriétaire qui est prioritaire pour le racheter.
En dehors de la pêche, le tourisme est la deuxième source de revenus du village. Seulement, depuis le début de la Covid-19, le campement villageois attend désespérément des visiteurs. Lors de notre passage, une famille était en train de prendre un toast au bar, avant de reprendre la route. « En période normale, nous faisons tout le temps le plein ; il faut faire une réservation avant de venir », explique le tenant du bar, en l’absence du gérant, d’un ton dépité.
Situé à bord du bolong, à 25 minutes de pirogue de Karabane et de Djembereng, le réceptif est le tout premier campement villageois au Sénégal. Il a été construit en 1970 et mis en service deux ans plus tard. Pendant longtemps, il a été la « vache à lait » du village. Les ressources générées ont servi à la construction d’un poste de santé et d’une école. Conséquence d’une construction anarchique, Élinkine connaît, toutefois, des problèmes d’urbanisation. Certains quartiers sont inondés à chaque hivernage. « Nous avons besoin d’un plan d’urgence d’assainissement », plaide Frédéric Sambou.