LES BESOINS DU SECTEUR DE LA MICROFINANCE DANS LE CADRE DE LA RELANCE ECONOMIQUE
Dans cet entretien, Zahra Iyane Thiam, ministre de la Microfinance, de l’Economie Sociale et Solidaire, renseigne que le secteur de la Microfinance injecte quasiment 30 à 35 milliards par mois dans l’économie nationale
A l’instar des autres secteurs, celui de l’économie sociale et solidaire n’a pas été épargné par la pandémie de covid-19. Mais il a été résilient, selon la ministre de la Microfinance, de l’Economie Sociale et Solidaire, grâce à l’appui conséquent de l’Etat à hauteur d’un milliard aux acteurs et aux 21 mutuelles isolées. Dans cet entretien accordé à «L’As», elle renseigne que le secteur de la Microfinance injecte quasiment 30 à 35 milliards par mois dans l’économie nationale. Aussi, le système financier décentralisé finance chaque année les Petites et moyennes entreprises et autres organisations à hauteur de 400 milliards. Elle affirme, dans le cadre de la relance économique, que les besoins du secteur tournent autour de 90 milliards. Zahra Iyane Thiam s’est également prononcée sur des questions politiques, notamment les prochaines Locales à la Sicap Liberté.
Quel est l’impact de la Covid19 dans la Microfinance et l’Economie sociale et solidaire ?
La covid-19 a eu comme conséquence l’arrêt total ou partiel de l’activité économique. Puisque pour endiguer la pandémie, le gouvernement avait pris des mesures qui ont impacté surtout les acteurs du secteur informel. Par exemple dans les zones rurales, les marchés hebdomadaires étaient des moments forts d’activités commerciales. Au niveau des services financiers décentralisés, il faut situer l’impact de la covid-19 à deux niveaux. Le premier se situe au niveau du système financier décentralisé à travers les institutions de Microfinance, et le second reste les cibles (acteurs, Ndlr). Pour ce qui est des institutions de Microfinance, nous avions fait une étude pendant la pandémie. Plusieurs difficultés ont été constatées même si, par ailleurs, le secteur a été résilient. Parce qu’il fallait d’abord gérer le portefeuille crédit, sécuriser l’épargne et gérer le remboursement du crédit. Donc, l’impact est réel à ce niveau-là. Au sein des institutions de Microfinance, nous avons deux catégories. Il y a les institutions dites articles 44 Uemoa et celles isolées qui sont des émanations d’initiatives locales, mais qui concentrent une cible importante. Là également, il fallait préserver l’activité de Microfinance. Les bénéficiaires des services de ces institutions de Microfinance pour le financement de leurs activités sont au nombre de 3,5 millions. Le secteur de la Microfinance injecte quasiment 30 à 35 milliards par mois dans l’économie nationale. L’impact de la Covid-19 y a été ressenti parce que certaines activités étaient à l’arrêt total. Aujourd’hui que nous parlons de relance économique, la première remarque est qu’il faut des ressources conséquentes à réinjecter dans le secteur de la Microfinance pour lui permettre de prendre une part active dans la relance. A la lumière des enseignements de la pandémie, nous nous rendons compte que nous avons des économies vulnérables.
Y a-t-il une stratégie de relance peaufinée par votre département ministériel ?
Nous avons fait le diagnostic du secteur, identifier des objectifs, fixer des objectifs et des défis notamment celui de la mise à disposition de ressources à longue durée à la Microfinance. Nous nous sommes rendu compte, à travers nos rencontres avec les acteurs, que le secteur a besoin d’être accompagné pour qu’il puisse mieux faire face à la réalité des besoins des bénéficiaires. Ainsi, les enjeux et défis du secteur de la Microfinance tournent autour de plusieurs points. On cite entre autres l’inclusion financière de la majorité de la population, le développement de mécanismes de financement innovants et participatifs, notamment la finance islamique, la participation adéquate au financement des activités des secteurs prioritaires du PSE, une contribution plus significative au financement de l’économie locale, l’ajustement du cadre réglementaire aux potentialités du secteur, la stabilisation et la sécurisation du secteur de la Microfinance, l’accès durable à des services financiers de qualité et sécurisés, viables et pérennes, l’articulation entre la Microfinance et les secteurs prioritaires du PSE, la rationalisation et/ou mutualisation des différents fonds d’appui à la Microfinance, l’institutionnalisation des cadres de concertation et d’harmonisation des interventions, la promotion d’un modèle de gouvernance centré sur la qualité, la mise en place d’un dispositif viable de renforcement des capacités institutionnelles du système financier décentralisé, la maîtrise de la technologie, notamment la digitalisation et la promotion de la finance inclusive responsable.
Où en êtes-vous avec la question du taux d’intérêt jugé élevé des systèmes financiers décentralisés ?
La question du taux d’intérêt des institutions de Microfinance revient souvent. Sur ce point, avec les effets néfastes induits par la pandémie de covid-19, il faut trouver des stratégies. Bien avant la pandémie de covid-19, dans le cadre de la validation de la lettre de politique sectorielle, nous avons convenu de trouver une orientation qui peut impacter sur les ressources financières qu’on met à la disposition des institutions de Microfinance. La pandémie a confirmé cette option. C’est pourquoi le chef de l’Etat a créé récemment le fonds national de la Microfinance (Fonamif) dont les objectifs tournent autour de services financiers et non financiers qui pourront permettre au système financier décentralisé d’offrir de meilleurs services adaptés aux réalités économiques de leurs bénéficiaires. Ce fonds pourra rendre plus accessible le crédit avec des taux d’intérêts allégés. Il pourra contribuer à solutionner plusieurs difficultés, notamment celle d’accès à des ressources longues et stables pour répondre aux besoins spécifiques des populations vulnérables et à leur réalité économique, l’insuffisance de mécanismes d’accompagnement en termes de renforcement des capacités et d’appuis divers, l’absence d’un mécanisme de sécurisation pour la gestion des nombreux risques auxquels sont exposés les systèmes financiers décentralisés (SFD), les taux d’intérêts débiteurs élevés pratiqués par les SFD, et l’absence d’un cadre unitaire d’harmonisation des SFD pour beaucoup plus d’impact et d’efficience dans les interventions. Il s’agit maintenant d’aller vers l’opérationnalisation de cet instrument très important qui existe dans plusieurs pays. Il faut noter qu’un atelier national avec l’ensemble des membres du secteur a été organisé pour diagnostiquer le secteur de la Microfinance et ensuite voir les nouvelles orientations.
A la suite de l’atelier, un comité technique a été mis en place pour approfondir la réflexion. On a eu à identifier les principales contraintes. La première, c’est l’accès des institutions de Microfinance au guichet de refinancement de la Bceao. Si les institutions de Microfinance avaient un accès direct au guichet de la Bceao en plus d’avoir accès à des ressources sur une longue durée, le taux d’intérêt allait baisser. Aujourd’hui avec la création du fonds pour la Microfinance, toutes ces questions peuvent y trouver des solutions. L’autre particularité du secteur est qu’il est sous-tendu par deux départements, à savoir le ministère de la Microfinance et le ministère des Finances et du Budget qui s’occupe de la règlementation. Maintenant, tout ce qui est de la réglementation du secteur se fait au niveau communautaire. D’ailleurs, c’est au niveau communautaire qu’on fixe le plafonnement du taux d’intérêt qui est de 24% dans l’espace monétaire. Ainsi, il nous faut un autre front au niveau communautaire pour régler le problème du taux d’intérêt. Mais au niveau interne, sur la base de nos échanges avec la Bceao, nous espérons qu’il y aura bientôt des avancées sur cette question.
Comment votre département ministériel va-t-il contribuer au PAPII ?
Il ne s’agit pas pour nous de réinventer la roue avec l’arrivée de la pandémie, mais de rester sur le Plan Sénégal Emergent (PSE) à travers le PAPII ajusté et accéléré à la lumière des enseignements de la pandémie. Si nous voulons que les populations consomment, il faut qu’on les mette dans des conditions d’entreprendre et de mener une activité économique. Tout le monde sait qu’au Sénégal, l’économie, c’est d’abord le secteur informel, c’est-à-dire les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Donc, nous devons donner des moyens aux acteurs et les encadrer dans leurs activités. C’est cela le rôle de l’économie solidaire dans la relance. Nous allons faire en sorte que la contribution de l’économie sociale et solidaire à la production intérieure brute soit déterminante ; atteindre un niveau d’organisation où les représentants des acteurs de l’économie sociale et solidaire ont une influence réelle dans la définition et la mise en œuvre des politiques économiques ; transformer la démocratie sociale en réalité visible à tous les niveaux de représentation dans le secteur de l’Economie sociale et solidaire etc. Nous sommes en train de préparer les acteurs dans ce sens.
Votre tournée avant la pandémie, était-ce dans ce cadre ?
C’était une tournée pour la résilience des acteurs. Par exemples les mutuelles isolées comme celle de Podor qui a plus de trois mille membres qui s’activent dans la transformation de céréales… Il fallait alors permettre pendant la pandémie à ces groupements de poursuivre leurs activités. C’était une tournée nationale pour la résilience et la relance avec deux composantes, à savoir l’accompagnement des mutuelles isolées et la subvention directe aux acteurs. Le bilan définitif n’est pas encore stabilisé mais à la date d’aujourd’hui, nous avons injecté quasiment un milliard dans le cadre de la résilience des acteurs et des 21 mutuelles isolées. Le secteur a été soutenu par le gouvernement et il bénéficie d’une attention particulière du chef de l’Etat. Parce que dans sa politique, l’inclusion économique et sociale occupe une place prépondérante. On ne peut pas développer le pays en laissant en rade une frange de la population. C’est un marqueur de gouvernance chez le chef de l’Etat.
Les financements octroyés aux femmes sont-ils remboursables ?
Non ! Ce sont des subventions faites sur la base de plusieurs critères. D’ailleurs nous avons finalisé la loi de l’économie sociale et solidaire qui doit prendre en charge ces questions de fichiers. Puisque le défi est d’avoir des données fiables sur le secteur, notamment les acteurs, leur contribution dans l’économie nationale etc. Cependant, le refinancement des mutuelles isolées est remboursable.
Quel est le coût du financement des services financiers décentralisés aux organisations et petites et moyennes entreprises ou industries (PME/PMI) ?
L’encourt crédit du système financier décentralisé aux petites, moyennes entreprises et autres organisations envoisine les 400 milliards par an. Cela démontre l’importance du système financier décentralisé. Rien que l’année dernière, pendant la campagne agricole, le secteur financier décentralisé à travers les institutions de Microfinance a décaissé 55 milliards pour permettre aux paysans d’avoir des intrants, du matériel etc. Au Sénégal, nous avons un système financier décentralisé performent malgré les effets de la pandémie de covid-19. Le secteur a été résilient, mais il faut le soutenir. Pour sa relance, le besoin exprimé est environ de 90 milliards.
Les propos du député Aliou Demborou Sow ont choqué tout le monde même dans la mouvance présidentielle. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il y a des transformations sociologiques qui s’opèrent dans notre société et qu’il faut analyser. Si cela n’est pas fait, on peut avoir des surprises d’ici cinq ans, dix ans etc. Une démocratie obéit à des règles. Il y a des choses qu’on peut dire et d’autres non. Il faut qu’on reste sur les principes démocratiques et qu’on respecte la loi. Le Sénégal est une grande démocratie. Donc, il faut cultiver l’esprit de dépassement et l’unité du peuple. L’Alliance pour la République s’est prononcée sur l’affaire. Nous nous en tenons à ça.
Les du dialogue politique ont remis un rapport sur les 21 points consensuels et invitent le chef de l’Etat au respect de son engagement. Avez-vous espoir qu’il va approuver les points consensuels ?
Le dialogue est un exercice fréquent. Le fait que les acteurs politiques se retrouvent pour discuter du processus électoral est un exercice qui se fait après chaque élection. La particularité du dialogue national est que le cadre est beaucoup plus global avec plusieurs secteurs. 21 accords sont enregistrés sur les 28 points. C’est une prouesse. Puisque d’aucuns disaient que le dialogue ne sert à rien. Il y a eu de fortes avancées. Maintenant quel sera le sort de ces accords ? Je pense qu’il faut attendre la décision du président de la République, le commanditaire de ce dialogue. Mais je ne doute pas qu’il va valider tous les points consensuels.
Est-ce que vous allez briguer les suffrages des populations de Sicap liberté aux prochaines élections locales ?
Je pense qu’il faut d’abord préciser comment fonctionne la coalition Benno Bokk Yaakaar qui est composée de plusieurs sous coalitions et de personnalités. Ce qui nous a permis de conserver jusqu’à présent cette coalition dont la mort a été annoncée à plusieurs fois, c’est la concertation, le dialogue et les négociations au sein de nos partis et sous coalitions. Puisque si nous voulons être ensemble, il faut qu’on fasse des concessions. Pour nous, la candidature à la commune de Sicap Liberté revient à deux choses : attendre l’avis du parti et les directives de la coalition Benno. Il faut noter que c’est la coalition Benno qui dirige la commune. Aujourd’hui ma préoccupation, c’est d’élargir les bases du parti et de la coalition. Maintenant le choix du maire revient à la coalition et de son président. Cependant, tout acteur politique a une ambition. Mais cette ambition n’a de sens que lorsqu’elle prend en charge le collectif. Dès que vous êtes dans un parti, votre ambition se confond à celle du parti. Votre arrêté demandant à vos employés de retour de Magal de se confiner pendant 14 jours qui seront déductibles de leurs congés annuels a suscité la polémique.
Pourquoi êtes-vous revenue sur la décision ?
C’est un acte administratif. Maintenant le constat est qu’il a créé de l’émoi. Il était normal de clarifier ce que nous avons fait et peut être rappelé le contexte de cet arrêté. Vous voyez dans d’autres pays, c’est le (re)confinement des populations à cause de la covid19. C’était notre contribution à la lutte contre la covid-19 et qui nous vaut une reconnaissance mondiale. Mais en profiter pour dire que Zahra Iyane Thiam est contre une confrérie n’est pas acceptable.