LA CORDONNERIE LOCALE EN QUÊTE D’UN NOUVEAU SOUFFLE
Si le savoir-faire des artisans de Ngaay est connu de tous, il peine toujours à profiter aux acteurs. Entre un problème d’écoulement, des outils de travail encore archaïques, le mal est profond. A ces maux s’ajoute une concurrence chinoise et turque
Si le savoir-faire des artisans de Ngaay est connu de tous, il n’en demeure pas moins qu’il peine toujours à profiter aux acteurs. Entre un problème d’écoulement, des outils de travail encore archaïques, le mal est profond. A ces maux s’ajoute une concurrence chinoise et turque, avant que les impacts de la Covid ne viennent compliquer davantage une situation déjà complexe.
En cette matinée de mercredi, le soleil darde ses rayons sur Ngaay. De part et d’autre de la route, les cantines sont installées. Les artisans rivalisent de créativité. Entre babouches, sandales en cuir, ceinture, mocassins, l’offre est très diversifiée. Selon les chiffres officiels de la municipalité, Ngaay compte 250 fabriques qui, en moyenne, font chacune 10 paires de chaussures par jour pour une valeur de près de 2 milliards de francs CFA par an. Un chiffre qui devrait s’effriter de plus en plus malheureusement.
Selon Mady, de la cordonnerie Cawen, il y a non seulement un sérieux problème de disponibilité du cuir, mais les produits ne s’écoulent plus comme avant. «Le plus paradoxal, c’est que ceux qui vendent le cuir le prennent au Sénégal.Ils l’amènent chez eux, le transforment et reviennent nous le vendre plus cher. Aujourd’hui, en plus d’être cher, on le trouve difficilement. Ils exportent de plus en plus vers la Turquie ou le Portugal», dénonce-t-il. Non loin de là, la boutique de Sanor. Le décor de son atelier en dit long sur la situation. Allongé sur un canapé, il a les yeux rivés sur son téléphone. Les marchandises soigneusement rangées peinent à trouver preneur. «On peut rester une journée entière sans voir de clients. J’ai été obligé de libérer deux employés. Je ne pouvais plus tenir et je ne suis pas le seul», relève-t-il.
CONCURRENCE CHINOISE ET TURQUE
Si les accords commerciaux entre le Sénégal et la Chine ou la Turquie ont rendu les échanges faciles entre les pays, ils sont en train de porter un sacré coup à l’artisanat local. Pour Kassé, un des responsables des cordonniers de Ngaay, cela s’explique par le manque de volonté de l’Etat de protéger ses fils. «Allez à Dakar, Tilène, Sandaga, vous aurez une idée de ce qui entre dans ce pays comme produits que nous fabriquons déjà beaucoup mieux», regrette-t-il. «On a des événements religieux sur toute l’année, des abattoirs, avec un peu de volonté, on n’aura plus besoin d’importer pour régler nos problèmes. Aujourd’hui, on ne peut pas rivaliser avec ces produits importés. Chez eux, ils sont exonérés. Ici, ils cassent les prix, ce que nous ne pouvons pas faire, eu égard à l’inaccessibilité des matières premières», dénonce-t-il. Quoi qu’il en soit, Ngaay souffre dans ce créneau qui employait, jusqu’à un passé récent, un nombre important de travailleurs.
A LA MEDINA, LES CORDONNIERS COMMENCENT A DESERTER LES ATELIERS
Il est 11 heures passées en cette matinée de jeudi, mais les ateliers de fabriques de chaussures et autres sacs situés à la Médina, le long du stade Iba Mar Diop, sont pour la plupart vides d’occupants. «Les produits chinois ont inondé le marché sénégalais et aujourd’hui, les cordonniers payent les pots cassés. Les revendeurs venaient de beaucoup de pays de la sous-région pour se ravitailler chez nous. Mais les produits chinois ont changé la donne», explique Balla Ndiaye, cordonnier. Ici, seuls 2 postes sont occupés sur 5.Une situation qui se comprend facilement, si l’on sait que beaucoup restent plusieurs jours sans recevoir de commandes.
Las d’attendre, certains ont changé de métier, explique Malick Fall. Certains sont devenus tailleurs, d’autres se sont reconvertis dans le commerce. Selon des informations, beaucoup de jeunes cordonniers sont partis s’installer au Mali. D’après Malick Fall, certains exportateurs de chaussures ont recruté de jeunes cordonniers qu’ils ont amenés au Mali pour qu’ils fassent le travail sur place. «Ils gagnent beaucoup plus que ce qu’ils avaient ici. Parce que la cordonnerie n’est pas très développée etils sont en train de protéger leur artisanat», estime Fall. Pour la plupart des artisans rencontrés sur les différents sites, il n’y a pas mille solutions : il faut encourager le consommer local. Et d’après eux, «c’est à l’Etat de donner le ton».
MINISTERE DEDIE, L’ESPOIR RENAIT
C’est l’une des décisions fortes du dernier remaniement du gouvernement du Sénégal. Le pays dispose désormais d’un ministère à part entièrement dédié à l’artisanat.Un espoir pour les acteurs. « Depuis qu’on nous promet la relance du secteur, on attend. Aujourd’hui, les gens souffrent. Les quelques rares qui se débrouillaient pour exporter dans la sous-région ont pendant longtemps été freinés par la Covid. Les recettes ont baissé. Des gens ont tout simplement changé de métier. Aujourd’hui, si on nous donne un ministère plein, nous osons espérer que le secteur décolle à nouveau», déclare Assane, spécialisé dans la fabrique de ceintures. Quoi qu’il en soit, avant ce nouveau ministère, les acteurs s’étaient réunis il y a moins de deux mois à Saly pour décliner une feuille de route pour la relance.
A l’époque ministre de tutelle, Dame Diop donnait les grands axes de cette relance. «Le secteur souffre de sites aménagés où les acteurs peuvent travailler convenablement, mais également, d’un manque de financement ou encore, d’un manque de formation adéquate de mise à niveau des artisans ainsi que des équipements des ateliers artisanaux, entre autres. Nous voulons aujourd’hui, un nouveau type d’artisan qui comprend que l’artisanat est un secteur économique très fort, créateur de richesses mais aussi, créateur d’emplois», avait-il esquissé.