CEDEAO, CHANGER OU PÉRIR
Entre crises politiques, montée du terrorisme, criminalité transfrontalière, entre autres, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est aujourd’hui confrontée à plusieurs défis.

Entre crises politiques, montée du terrorisme, criminalité transfrontalière, entre autres, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est aujourd’hui confrontée à plusieurs défis. Ce, malgré ses succès reconnus en matière d’intégration africaine, de paix et de sécurité, de libre circulation des personnes et des biens mais également de bonne gouvernance. Toutefois, elle doit surtout faire face au départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Le retrait de ces pays qui viennent de créer l’Alliance des Etats du Sahel (AES), met en lumière des fractures profondes au sein de la région. Le constat a été fait hier, lundi, 24 février, lors de l’ouverture de la Conférence préparatoire au Colloque marquant le cinquantenaire de la CEDEAO sur le thème « la CEDEAO, 50 après : changer ou périr »
L ’inquiétude grandit après le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO. Pour cause, le divorce entre l’organisme régional et ces pays considérés comme des membres stratégiques pourrait remettre en question la sécurité, la stabilité et la libre circulation des personnes et des biens dans la région ouest-africaine. Réunis hier, lundi 24 février, à l’occasion de l’ouverture de la conférence préparatoire au Colloque marquant le cinquantenaire de la CEDEAO sur le thème « la CEDEAO, 50 après : changer ou périr », des membres du Comité scientifique d'Africajom Center, des diplomates, des experts de la sousrégion, des universitaires, des femmes et des jeunes ont listé les défis auxquels fait actuellement face l’organisme régional. « Le premier grand défi de la CEDEAO, c'est le départ des trois pays. Ce n'est pas n'importe quels pays. C'est pratiquement le cœur vibrant du Sahel : le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Je pense que ces défis étaient déjà inscrits dans ce qu'on a construit comme le G7 Sahel », a déclaré d’emblée le fondateur de Afrikajom Center, Alioune Tine. En effet, le départ de ces pays constitue une crise politique et économique sans précédent dans la région ouest africaine. C’est pourquoi, dans sa communication, le coordonnateur du mouvement citoyen « Tournons la page » au Togo, David Dosseh indique « qu’il est clair que notre institution commune traverse une grande zone de turbulence avec le départ des trois pays de l'AES ». « Ce départ constitue à mon sens une évolution presque logique compte tenu des contradictions internes à l'organisation, au manque de leadership et compte tenu surtout de la position hégémonique de la conférence des Chefs d'États et de Gouvernements qui imprime un fonctionnement rigide et peu démocratique de l'institution », a fait savoir David Dosseh. A l’en croire, la CEDEAO a été incapable de mettre en place une série de réformes indispensables à son renouveau. « Elle a été incapable du coup de procéder à cette mutation vers la CEDEAO des peuples qui aurait pourtant accru son aura, qui lui aurait davantage conféré de crédibilité et qui lui aurait permis d'obtenir et d'avoir le soutien indispensable des peuples », a-t-il souligné.
Prenant la parole, le représentant de la CEDEAO, Constant Gnacaja a abondé dans le même sens. Il s’est interrogé sur ce qui fait qu’aujourd’hui, la CEDEAO n'est pas la communauté des peuples. « Les défis, nous les connaissons tous. Quand ça arrange les Etats, ils font appel à la CEDEAO. Quand ça ne les arrange pas, ils montrent leur souveraineté. C'est de ce seul mal que nous souffrons », at-il dit. En effet, la multiplication des crises politiques est réelle en Afrique de l’Ouest. « La région est confrontée à une montée du terrorisme, des coups d'État récurrents au Mali, au Niger, au Burkina. On sait qu'il y a la Guinée et il y a une espèce d'impuissance à la fois, et de l'organisation régionale et de l'organisation multinationale, les Nations Unies, à se dresser face à ce qui se passe en Guinée-Conakry », déplore Alioune Tine. A ces pays qui préoccupent la CEDEAO, s’ajoute le Togo où « il n’y a jamais eu d’alternance au Togo et il y a des formes de contournement de l’alternance et de pérennisation de régime », précise le fondateur du think tank Africajom Center
Parmi les défis auxquels fait face la CEDEAO, il y a aussi la criminalité transnationale, le trafic de drogue et d'êtres humains ainsi que l'exploitation illégale des ressources naturelles, qui menacent la sécurité régionale et affaiblissent les Etats membres
Le CEDEAO est également confrontée à une faiblesse institutionnelle. Selon Alioune Tine, « les capacités institutionnelles réduites et limitées de la CEDEAO entravent son efficacité dans la prévention et la résolution des conflits ». Le fondateur de Afrikajom Center pointe aussi du doigt l’absence d’attractivité de la jeunesse auprès de la CEDEAO. « Contrairement à ce qui se passait pour la génération des années 90, qui se bat pour les droits humains, pour la démocratie, nous avons une jeunesse qui soutient des dictateurs », regrette Alioune Tine. Ces défis économiques, politiques et géopolitiques remettent donc au goût du jour l’urgence d’une solution à la hauteur pour la CEDEAO..
REINVENTION DE LA CEDEAO : LA RECETTE DE ALIOUNE TINE
Face aux crises qui secouent la région ouest-africaine, la CEDEAO est sommée de hâter le pas pour retrouver sa place d’antan. De l’avis du fondateur de Afrikajom Center, il faut « réinventer, refonder, réformer, réparer et soigner les institutions malades de la CEDEAO ». « Il n'y a pas d'autres alternatives pour sauver la CEDEAO », précise Alioune Tine. Il propose également de « renforcer le dialogue avec les États sortants, c’est-à-dire les États de l'AES, d’engager toutes les initiatives diplomatiques si nécessaires, en vue de réconcilier la CEDEAO avec les États membres et les citoyens de la CEDEAO notamment en ciblant particulièrement les jeunes et les femmes, d’intégrer le développement politique, économique et social dans les réponses sécuritaires ». Le fondateur d’Afrikajom Center recommande « d’engager une réflexion pointue sur le partenariat sécuritaire international », « d’élaborer une géopolitique », de « renforcer la coordination entre les États et les organisations de la société civile » entre autres.
CONSTANT GNACAJA, REPRESENTANT DE LA CEDEAO : « IL FAUDRAIT QU’ON S’ADAPTE AUX DEFIS ET QU’ON TRAVAILLE A TROUVER DES SOLUTIONS »
« Les 50 ans de vie d’une institution, ce n’est pas une mince affaire. 50 ans de vie pour une personne, ce n’est pas non plus une mince affaire. Il y a des hauts et des bas. Si nous avons des problèmes, reconnaissons qu’il y a des problèmes et dialoguons autour de ces problèmes pour pouvoir trouver des solutions. Nous sommes dans une époque différente de 1975, l’année de naissance de la CEDEAO. Si 50 après, il y a de nouveaux défis, je pense qu’il faudrait qu’on s’adapte aux défis et travailler à trouver de solutions. Nous travaillons pour cela. La CEDEAO est ici représentée parce qu’elle croit à cette initiative de Afrikajom Center. Nous sommes en train de travail pour mettre en place le conseil économique, social et culturel de la CEDEAO pour renaitre les organisations de la société parce que quand nous parlons de la CEDEAO des peuples, il faudrait que ça soit une masse critique de citoyens qui puissent porter la vision de la CEDEAO, parler de ses réalisations et qu’on ne puisse plus laisser place aux fakenews ».
ALPHA OUMAR BA, REPRESENTANT DE LA DELEGATION GUINEENNE AU NOM DU FRONT REPUBLICAIN POUR DES ACTIONS PATRIOTIQUES, (FRAP) : «Nous sommes préoccupés du fait que la CEDEAO n'a pas assez de pouvoir pour obliger la Guinée à respecter les droits de l'homme»
«En tant que Guinéens, nous sommes préoccupés dans la mesure où la Guinée et la CEDEAO, il y a un an, avaient signé une date limite pour la transition. C’était le 31 décembre 2024. Aujourd'hui, on n'a pas respecté cela. Vous savez qu'il y a un problème de crédibilité de la CEDEAO à ce niveau. La Guinée a failli basculer à l'AES. S’il y avait ce respect de la bonne gouvernance et de la démocratie, je pense que notre pays ne serait pas à ce niveau-là. Donc, nous n'avons pas de solutions miracles en ce moment. Nous sommes plutôt préoccupés du fait que la CEDEAO n'a pas assez de pouvoir, n'a pas assez de force pour obliger la Guinée à respecter les droits de l'homme, à respecter un engagement signé par le Chef de l'État, luimême, qui était là, le colonel Doumbouya, la junte militaire, qui s'était engagé solennellement et aujourd'hui, rien n’est respecté ».
LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ET BIENS, MECANISMES DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION, PARLEMENT CEDEAO… Babacar Carlos Mbaye liste les réussites et succès de la CEDEAO
De la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace communautaire, en passant par le droit de résidence et d'établissements jusqu’à la mise en place des mécanismes de prise en charge des questions de droits de l'homme, de lutte contre la corruption, le consultant indépendant en Relations internationales, Intégration régionale et Gouvernance politique, Babacar Carlos Mbaye a cité des progrès accomplis par la CEDEAO au cours de ces 50 ans d’existence. Traitant le thème « les réussites et les succès de la CEDEAO », il a aussi magnifié la politique régionale de l'eau, la politique industrielle et commune de l'Afrique de l'Ouest, la politique de l'emploi, la politique de santé à travers l'organisation ouest-africaine de la santé. Par les réalisations de la CEDEAO, Babacar Carlos Mbaye cite aussi la création d'un cadre juridique favorable au renforcement de la démocratie, l’établissement d’un réseau d’institutions nationales des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest. Selon le consultant indépendant en Relations internationales, Intégration régionale et Gouvernance politique, il existe un Parlement et une Cour de justice de la CEDEAO qui a un mandat de tribunal des droits de l'homme. « Elle devrait être suivie par le Conseil économique et social qui tardera à être mise en place, mais je pense que ça va se faire très prochainement », a-t-il dit. Aux réussites de la CEDEAO, s’ajoutent la prise d’instruments d'autonomisation comme l'adoption d'une convention sur la circulation des armes légères et mécaniques, la mise en place d'un système régional d'alerte précoce, l’interconnexion des réseaux électriques et l’appui aux systèmes de production de l’électricité de l’espace CEDEAO, la mise en place d’une agence consacrée à la sécurité alimentaire.