QUI MANIPULE QUI ?
AFFAIRE KARIM WADE
Par deux fois la nuit dernière, à l’heure vraiment tardive où les quotidiens devaient boucler leur prochaine parution, je tombais sur les réseaux sociaux sur une information qui m’ébahit : demain, la plupart des journaux titreront que 45 «nouveaux milliards» appartenant à Karim Wade auront été découverts à Singapour.
On allait même jusqu’à livrer le nom du grand patron de presse qui a coordonné cette «opération intox» à coup de billets de banque et celui des rédactions qui se seraient compromises.
Perplexe (c’est quand même gros) et avide de vérification (c’est quand même normal), j’ai tenu à me coltiner la première revue de presse aux premières heures du matin avant même de me tirer du lit : le fait évoqué s’avéra dans sa partie informative ; ce que je ne puis vérifier dans sa partie accusatrice.
Plus tard dans la journée, je tombe sur une sortie radiophonique d’un des avocats de Karim qui dénonce «l’opération intox» et envisage de porter plainte ; pas contre le parton de presse auquel avait été fait allusion, mais contre un authentique commis de l’Etat cette fois-ci.
Toutefois, ce qui a surtout retenu mon attention dans le propos de cet avocat, c’est que j’y ai vu déroulé, en substance, thématique par thématique, l’argumentaire sur lequel je suis tombé quelques heures auparavant sur les réseaux sociaux.
Atomes crochus avec les auteurs ? Simple coïncidence ? Prémonition et riposte anticipée ? Contre offensive médiatique concertée et coordonnée face à un complot médiatique éventé ? J’use de mon droit au questionnement sans rien affirmer de catégorique.
Pour faire bonne mesure et ne pas donner l’impression de charger «un camp» au profit de l’autre dans cette affaire, je peux user du même droit au questionnement pour me demander à quelles fins les sommes supposées détournés par Karim ont été (selon toute vraisemblance et jusqu’à preuve du contraire) exagérément gonflées.
Qu’avait-on à gagner à nous faire croire que Dpw appartenait à Karim dans un premier temps, pour par la suite reconsidérer cette énormité ? Nietzche nous avait averti que «plus le mensonge est gros, plus on y croit».
Il aurait dû ajouter à l’attention des exégètes faciles de conclusion que la désillusion n’en serait que plus grande et le dépit plus prononcé une fois la vérité ramenée à ses justes proportions.
Que Karim Wade ait abusé de nos deniers n’a jamais fait l’objet de l’ombre d’un doute dans l’esprit de la plupart des Sénégalais non partisans. C’est du moins ce que j’ai constaté autour de moi. Impressions et intimes convictions ne faisant pas Droit, tout le problème restait pour ces braves citoyens de savoir comment établir cela par des preuves et rendre justice pour que l’impunité déserte à jamais les rangs de leurs gouvernants.
Notre gouvernement, sûr de son fait lui aussi, avait promis d’y travailler, allant même jusqu’à laisser cette affaire ombrager toutes nos autres priorités. Sommes-nous sur cette voie ?
C’est à ce niveau qu’il convient, en prolongation des questions ci- devant soulevées, de se demander depuis quand l’affaire Karim a cessé d’être une affaire strictement juridique pour se muer en bataille d’opinion dont tous les enjeux sont discutés dans la rue ou par presse interposée ?
C’est habité par cette dernière interrogation que j’ai entendu le ministre de la Justice rappeler de façon juridiquement bien à propos, que dans quarante huit heures, Karim Wade sera soit renvoyé devant un Tribunal pour jugement, soit libéré, soit (encore) remis en demeure de s’expliquer.
Mais qu’est-ce qu’on n’a pas raté en s’éloignant par moment de cet «intégrisme juridique» exprimé aujourd’hui par M. le ministre, pour laisser s’immiscer dans le dossier, populisme et politique politicienne ?
Vu la tournure que prennent les évènements, on aurait pu gagner beaucoup de temps, économiser beaucoup d’énergie, et éviter beaucoup de stress, en décidant dès le départ que ce n’était pas d’un Tribunal qu’on avait besoin pour juger Karim, mais d’un vulgaire sondage d’opinion pour décider de son sort.
Là-dessus, la bataille d’opinion qui continue de se mener autour du dossier, tant dans la façon dont il est piloté, que sa forme et son fond auraient eu plein sens. Les juristes s’en seraient offusqués, les démocrates s’en seraient plaints et les défenseurs des droits de l’Homme malades.
Mais au moins les choses auraient été claires de bout en bout, et le Peuple aurait pu digérer avec moins d’amertume tous ces feux et contre feux allumés ainsi que toutes ces manipulations et contre manipulations dont il se trouve victime.
Dans deux jours, les derniers dés seront jetés sauf rebondissement de dernière heure. Et on s’acheminera vers une décision de justice enfin, au nom du Peuple.
Mais que l’on me permette d’exprimer un sentiment de façon prémonitoire à mon tour : quel que soit le verdict qui sera rendu en son nom, le Peuple sénégalais risque de se retrouver avec un goût de cendre dans la bouche, avec la drôle d’impression que c’est le camp qui aura mieux manœuvré, mieux manipulé qui l’aura emporté.
C’est ce qui arrive toujours quand la justice se voit contaminée par des affections qu’elle ne peut pas gérer en restant elle-même. Et c’est la vérité qui en pâtira et le Peuple qui en souffrira.