INFIDÈLES !
DOSSIER : POURQUOI DE PLUS EN PLUS LES HOMMES TROMPENT-ILS LEURS FEMMES ?
L’infidélité est-elle consubstantielle à la nature de l’homme ? S’il est difficile de répondre par l’affirmative à cette interrogation, force est de constater que l’infidélité prend des proportions inquiétantes dans la frange masculine de la population sénégalaise. Dans ce dossier EnQuête propose un diagnostic du phénomène, donne la parole à des femmes bafouées et recueille l’avis des spécialistes de la question.
L’infidélité masculine : "Intéressant comme sujet. L’homme est de nature polygame. Il est infidèle, depuis la nuit des temps." C’est en substance, la manière dont plusieurs personnes ont réagi à la question. Cette thèse est d’ailleurs appuyée par des études qui montrent que "le pourcentage de couples connaissant l'infidélité se situe entre 70% et 85%" dans le monde. Le sujet garde donc toute sa pertinence à un moment où le phénomène est décrié un peu partout. L’infidélité masculine a fini par s’ériger en mode.
Au Sénégal, aucun chiffre n’est disponible pour jauger le phénomène, même s’il est noté, comme partout ailleurs, dans le monde, une tendance à la hausse. Aujourd’hui, des Sénégalaises s’offusquent de la double vie de leurs époux.
"Les hommes ont perdu la raison. Au lieu de remplir leurs devoirs conjugaux, ils préfèrent financer leurs maitresses et déserter leurs foyers" ; "Je suis tombée des nues quand j’ai découvert que mon copain est marié et que sa famille vit au deuxième étage de l’immeuble où il a loué une chambre meublée au quatrième étage, pour nos retrouvailles" ; "Depuis 5 ans qu’on est marié, mon époux n’a jamais passé le week-end chez nous. " ; "J’ai eu écho de ses liaisons extra-conjugales, mais je suis tombée à la renverse quand je l’ai surpris sur notre lit conjugal avec une voisine..." ; "Mon mari m’a délaissée chez ses parents à Rufisque pour vivre en ville avec sa maitresse. Je n’en revenais pas quand je l’ai appris."
A entendre ces différentes femmes, on se rend compte que l’infidélité a de beaux jours devant elle. Même le psychiatre Momar Kamara de la clinique psychiatrique de l’hôpital Fann estime qu’il y a "recrudescence, en l’absence de statistiques dans notre pays" de l’infidélité. "Il faut, dit-il, essayer de le placer dans le cadre des difficultés que rencontre le couple aussi bien au Sénégal que partout dans le monde."
Et le psychiatre d’ajouter : "les études ont prouvé que les couples évoluent de plus en plus au même titre que les sociétés. On ne peut pas trouver des réponses toute faites face à ces évolutions. Est-ce qu’il faut rester conservateur ou évoluer ? Le fait de vouloir voir autre chose peut être une réponse à l’évolution que nous donne cette transformation qu’on est en train de vivre. "Toujours est-il que, selon une étude réalisée par l’Ifop, elle est en très nette progression", depuis les années 70, souligne le psychiatre.
Paroles de femmes bafouées
Au Sénégal, en raison des nombreuses mutations sociales, certaines femmes ont du mal à faire table rase de cette phase douloureuse de leur vie. Elles préfèrent claquer la porte et refaire leur vie, quand d’autres se résignent.
"Mon mari reçoit la visite de ses maitresses chez moi. Il prétend qu’ils sont liés par des affaires professionnelles. Je ne suis pas dupe, mais je n’en ai cure. Tous les hommes sont pareils. Je m’en passe", confie Mme Thiam.
Son réconfort : elle vit dans une maison de rêve, après avoir connu une enfance difficile, voire un passé tumultueux. Elle ne voit son mari, monogame à l’état civil, qu’en de très rares occasions. Celui-ci traîne l’étiquette d’un infidèle chronique, mais le luxueux cadre de vie pousse son épouse à fermer les yeux sur ses escapades.
Katy est une Française d’origine sénégalaise qui a fini par nourrir un dégoût pour les Sénégalais . Celle qui a voulu se ressourcer au pays de ses ancêtres a préféré retourner sur ses talons. "C’est trop dégoûtant. Mon mari se permet de draguer à gauche et à droite. Il est allé jusqu’à courtiser une voisine d’en face. C’en était trop.
Pourtant, Maguette Ka a vu pire. "J’ai surpris mon mari sur notre lit conjugal avec une voisine. J’avais eu écho de ses escapades, mais j’ai voulu fermer les yeux..." Des témoignages qui sont légion.
Même chez les jeunes filles sénégalaises, on rechigne à franchir le Rubicon par crainte de devoir partager son "homme" avec toute "une cour". "Les hommes sont malades ...", fulminent certaines.
C’est une jeune Ivoirienne qui tempère. "Chez nous, une femme s’attend toujours à se faire tromper par son mari. C’est connu, la plupart de nos hommes ont une épouse, une maîtresse et une petite-amie."
Polygamie et infidélité
Pour des étrangers de confession chrétienne rencontrés un peu partout à Dakar, l’infidélité des Sénégalais se justifie et "est encouragée par la polygamie qui leur octroie le droit d’avoir quatre épouses". Une raison valable ? Un prétexte ? La thérapeute familiale, Mme Seck, le reconnait aussi.
"Des hommes se servent de la polygamie comme couverture pour courtiser d’autres femmes. Ils vont prétexter s’inscrire dans la dynamique de prendre une autre épouse, occultant le fait que l’islam établit des critères. Il s’y ajoute qu’infidélité ne rime pas avec adultère."
Même si l’infidélité est contraire à la morale, Mme Seck tient à rappeler que "le mâle, aussi bien l’animal que l’humain, est de nature polygame. Il aime s’entourer de plusieurs partenaires sexuels. Mais il faut noter que tous les animaux ne sont pas polygames, certains restent monogames à vie."
Elle considère que ce thème devrait être traité sous l’angle de l’infidélité dans le couple, tout en évitant de toujours incriminer les hommes. Pour autant, des Sénégalais ne cautionnent pas les arguments avancés par les coureurs de jupons à la recherche de "fortes sensations".
"La polygamie ne peut justifier l’infidélité, car si un homme est mû par l’intention de prendre une seconde épouse, il réalise son projet dans un bref délai... c'est-à-dire avant que la première ne soit au courant", croit savoir le vieux Moussa Kane.
L’avis du religieux
Interpelé sur la question, le célèbre prédicateur Oustaz Iran Ndao ne mâche pas ses mots.
"La polygamie ne légitime aucunement l’infidélité masculine. Selon la charia, un homme marié ne peut cacher ses projets d’épousailles à sa femme. Il s’y ajoute que lorsqu’il est animé par l’intention de convoler en secondes noces, on suppose qu’il est tombé sous le charme d’une autre femme, il doit l’épouser dans un bref délai", souligne l’islamologue pour qui l’épouse doit être préparée psychologiquement.
Autre précision. "L’islam ne permet aucunement à ses fidèles de courtiser à gauche et à droite. Tromper son épouse est un acte vil que condamne la religion musulmane. D’ailleurs, selon la charia, un homme marié qui commet l’adultère doit être tué."
L’ŒIL DES SPÉCIALISTES
Les hommes au bout de l’infidélité
"Plus de la moitié des hommes mariés sont infidèles", lâchent nombre de personnes interpellées.
Si cela sonne comme une évidence, rares sont ceux qui savent que les infidèles souffrent d’une crise d’identité. Le psychothérapeute et sexologue Gérard Leleu pousse plus loin dans les explications. Si des raisons biologiques, économiques, émotionnelles sont avancées de part et d’autre, lui tranche le débat.
Il souligne que "l'infidélité relève d'une structure fondamentale et que certains êtres éprouvent des désirs tous azimuts. Mais cela révèle souvent un état de manque profond, qu'il faudrait peut-être analyser par un travail personnel. Et cette quête permanente de la femme que mènent certains, traduit sans doute un manque d'amour de soi et d'affirmation. Ce manque conduit donc à cette position de mendiant d'amour. Alors que l'amour, nous l'avons en nous, dans notre noyau".
Le psychothérapeute estime donc que seuls les grands esprits savent faire preuve de fidélité. "La fidélité est, en effet, une manière de prouver à l'autre qu'on l'aime. Bien qu'en réalité, dans l'amour, il n'y a pas de telles preuves à donner : on est fidèle parce qu'on aime ! Je considère également que la fidélité n'est pas une question de moralité, mais de respect de soi et de l'autre."
Insatisfaction émotionnelle et pauvreté
Dans d’autres études, une majorité d’hommes ont avancé qu’ils n’ont pas toujours été guidés par leurs pulsions "mâles". "L'insatisfaction émotionnelle est une des raisons majeures de leur infidélité et seuls 8% ont parlé d'insatisfaction physique." Ce qu’a révélé une étude réalisée sur un échantillon de 200 hommes en France.
Pour le sociologue, Pr El Hadji Sidy Niang , les problèmes qui minent un couple ne peuvent constituer une raison valable pour justifier et légitimer l’infidélité. La thèse économique est plus plausible à ses yeux.
Dans cet ordre d’idées, il avance, entre autres causes, "la pauvreté, le sous emploi, le chômage, le vice, l’envie, la volonté de puissance et de domination masculine, le goût de l’argent facile, le besoin de satisfaire des besoins extraordinaires liés au luxe".
D’ailleurs, ajoute-t-il, le fait que le sous-emploi ait atteint 30% de la population active n’est pas à écarter. "La difficulté pour trouver un emploi est réelle et cet état de fait est dû en partie à l’absence de formation. Selon les statistiques de la Banque mondiale, seule une personne sur cinq travaille à plein temps au Sénégal. "
Catégories d’infidélité
Une thèse corroborée par Charlotte Le Van, une sociologue française qui classe, dans une étude sur la question les infidèles en quatre catégories. Elle souligne que des hommes ont versé dans ce cercle, parce qu’ils sont "devenus père, ont perdu leur emploi ou désirent une promotion professionnelle".
Avant de préciser : "bien évidemment, l’infidélité est surtout l’apanage de ceux qui ne parviennent pas à entretenir des rapports exclusifs avec une seule femme et trompent régulièrement leur compagne. La raison ? Peur de l’engagement, besoin de connaître de nombreuses partenaires sexuelles ou encore insatisfaction dans le couple."
D’autres vont avancer comme arguments : l’ennui, le manque de mordant dans la vie de couple. Autre réalité, les infidèles arborent des casquettes différentes. Parmi eux, certains entretiennent "les infidélités instrumentales".
Pour la sociologue française, elles concernent ceux-là qui cherchent à faire mal à leur partenaire. "La tromperie a un certain but : vengeance, désir de rupture, comportements sadiques (on a envie de "faire mal" à l’autre)."
Viennent après ceux qui tentent "l"infidélité comme expérience". Elle est perçue comme une évolution de la société, et regroupant ceux qui justifient la tromperie par une recherche de maturité sexuelle : "Nous nous sommes mis en couple trop jeunes", "J’avais besoin de vivre plus d’expériences", etc.
Ce sont "les infidèles chroniques" qui remportent la palme. Ceux-là ne se départiront jamais de ce manteau. Et pour cause, ils considèrent que c’est une "composante de la vie de couple" : on conçoit les tromperies comme des éléments normaux d’une vie de couple. Les infidèles chroniques regrettent leurs actes, mais recommencent.
MOUSTAPHA WONE, SOCIOLOGUE
"Dieu n’a pas réussi à rendre les hommes fidèles, les IST non plus"
Qu’est-ce qui explique l’infidélité masculine?
Avant tout développement, il y a lieu de faire savoir que les aventures extra-conjugales ne se résument pas toujours qu’en de simples histoires de coucherie furtive. On peut trouver en elles une bonne dose de partage durable, d’écoute profonde et une confidentialité sincère perdue ou non, au niveau du couple marital. Cela dit, qu’est-ce qui peut bien expliquer l’infidélité ?En l’absence de statistiques fiables ou d’études récentes faites à ce sujet, l’un dans l’autre, on peut dire que les facteurs de l’infidélité plus ou moins massive, ont toujours été les mêmes, qu’elle soit acceptée, tolérée ou non par les mœurs. On peut les énumérer en ces termes : les difficultés de la vie de famille, les crises existentielles, les addictions sexuelles et la liberté sexuelle dans les sociétés contemporaines.
Cette liberté sexuelle est-elle l’une des principales causes ?
En fait, dans tous les cas de figure, il faudrait mettre l’accent sur le fait que d’une manière générale, les sociétés humaines n’ont jamais pu tolérer la sexualité furtive, même entre adultes consentants. A l’heure où la sexualité perd de plus en plus son cadre traditionnel d’exécution qu’est le mariage, on peut à juste titre se demander : qu’est-ce qui fait que la sexualité furtive n’est pas toujours acceptée ou que les relations exclusivement à caractère sexuel ne sont pas encore bien vues ? Cependant, dans le cadre du mariage, le problème de l’infidélité n’est pas réellement l’infidélité en tant que telle, mais le fait que cela soit fait en catimini, par l’un des conjoints ou par les deux, chacun de son côté. En effet, si on observe que dans certaines contrées, quand les conjoints acceptent l’infidélité dans leur couple, ou même la vivent ensemble on pense aux couples échangistes il n’y a pas de problème, on peut réellement en convenir. On peut retrouver la même chose dans les pays musulmans, où un homme peut se permettre légalement de ne pas être fidèle. Donc, l’infidélité est plus une question d’acceptation ou de légalité qu’une question de cœur ou de sentiment uniquement. Mais, à l’heure où il y a une éclosion sentimentale, l’infidélité peut faire mal, comme c’est le cas souvent, mais parfois on peut trouver que c’est bien vécu, comme c’est le cas avec les adeptes de ce que l’on appelle la "compersion". Dans ce dernier cas de figure, la jalousie se trouve reléguée au second plan. On se partage tout, même l’infidélité ! Dans tous les cas de figure, on parle de plus en plus de "polyfidèlité" que d’infidélité en tant que telle. Et à y regarder de prés, les sociétés humaines ont été toujours plus "polyfidèles" qu’infidèles.
Justement comment appréciez vous cette thèse qui souligne que l'islam balise la voie à l’infidélité ?
L’islam est, comme nous venons de le dire, pour la "polyfidèlité" et non pour l’infidélité ! En reconnaissant que l’homme peut disposer officiellement de plusieurs femmes, l’Islam met l’accent sur cet aspect de polyfidèlité. Cependant, il ne faut pas être sexiste ni discriminatoire. Alors que la polyfidèlité moderne ne fait pas de distinction entre les sexes, la polyfidèlité islamique, quant à elle, accorde cette faveur, si faveur il y a, aux hommes exclusivement.Dans ce cadre, on peut dire que les hommes, dans les pays musulmans, peuvent se considérer comme n’étant jamais infidèles, parce que pouvant se dire qu’ils sont toujours dans une entreprise de conquête, pour de nouvelles éventuelles épouses. Mais, une fois de plus, la question de l’infidélité ou de la fidélité est toujours une question de loi, ou plus généralement de règles de vie matrimoniale. Autrement dit, ce n’est que quand elle est faite en catimini ou en l’absence de loi l’autorisant que l’on peut parler d’infidélité.
Et que faudrait-il pour faire revenir les hommes à la raison ?
Si le sociologue a un conseil à donner, encore que ce n’est pas son rôle, il invitera la société tout entière à légaliser l’infidélité ou à défaut à l’accepter, parce que comme le dit Paule Salomon, l’auteure de l’ouvrage "Bienheureuse infidélité", l’infidélité acceptée et tolérée participe plus à rendre plus solides les couples qu’à les fragiliser. Il faudrait apprendre à conscientiser les couples, que ce qui est dramatique, c’est de le faire en cachette et à la sauvette. Cependant, cette forme d’infidélité ou de "polyfidèlité" n’est pas l’apanage du sexe masculin. La gent féminine peut s’en prévaloir. C’est peut-être ça la seule petite nouveauté dans l’histoire de l’infidélité ou de la "polyfidèlité", encore que...Ainsi, l’infidélité a de beaux jours devant elle. Les hommes semblent être plus fidèles à la polyfidèlité ou à l’infidélité, et ce n’est pas demain la veille, qu’ils reviendront à la raison, si raison il y a dans ça. Dieu n’a pas réussi à les rendre fidèles, les IST non plus. Il ne faut pas compter sur la raison.
Des hommes qui font exception
Si l’infidélité est considérée comme le mal du siècle, tous les hommes mariés ne flirtent pas avec. Certains sont parvenus à résister aux multiples tentations.
La raison est simple, si l’on se fie aux propos d’un confrère, coordonnateur d’un magazine spécialisé dans le people "Beugouma kouma yapp, yapp souma diabar"(je tiens à mon honorabilité et je ne voudrai pas qu’on manque de respect à mon épouse). Et pourtant, il se souvient encore de son passé de don juan. "J’étais infidèle avant le mariage, c’était une façon de vivre ma jeunesse. Il me fallait tester mon pouvoir de séduction. Je m'amusais", confie t-il, le sourire aux lèvres.
Aujourd’hui, il s’est rangé pour savourer les délices de la vie de couple. Mais, en vrai connaisseur, il juge que "ce sont des hommes qui n’ont pas profité de leur jeunesse qui ont tendance à se rattraper brisant ainsi leur ménage, pour d’autres, c’est un vice".
Moussa Kane aussi dit faire exception. Témoignage : "Mon épouse avait tendance à douter de ma fidélité. Ce qui me révulsait. Pour l’énerver, je me mettais sur mon 31 et me rendais chez des amis où je passais des heures à parler de tout et de rien. Elle me stressait, sa jalousie, elle a fini par revoir son jugement".