''RAKI'' D’ALIOUNE BADARA BÈYE

A partir de cette présente édition, « Le Soleil » publie, dans ses « Feuilles d’Hivernage », le récit d’Alioune Badara Bèye, « Raki, fille lumière ». Ce texte a été publié aux Editions Maguilen. Voilà ce qu’en dit l’auteur, avec un accent très poétique : « RAKI était la seule rose à éclore au matin d’hivernage, comme au soleil du couchant..Il est de coutume au Sénégal d’entendre souvent au commencement de toute histoire ou de toute légende, la célèbre phrase « il était une fois ». Pour ne pas rompre avec cette tradition. Je commencerai l’histoire de Raki par : il était une fois, une fille, une époque, une contrée.
Dans une époque encore pas très lointaine dans le cœur du Fouta là bas derrière les cercueils poussiéreux des « Brak » gardiens immortels des hauts lieux du « Dièry ».
Là-bas où l’herbe égoutte sous les galopades des chevaliers bazanés. Là-bas derrière « Nder », terre des gloires éteintes dans les feux d’un Midi devenu le célèbre « Mardi de Nder ».
Derrière les contrées du Oualo, surgissait le « Fouta ». Romantique et éternel Fouta. Terre de Samba le valeureux, terre des Almamys, terre natale de El hadji Oumar et d’Ahmadou.
Ces gloires éternelles bercées par le sommeil des adolescents au sexe de bat.
Abritant les soleils d’un monde pieux, le Fouta couvrait de ses tentacules indélébiles un royaume épousant les rituels des prières écloses, les chants des muezzins convertis, les nuits de lutte.
Ce Fouta ignorait encore la pluralité des religions, symbole de quelques épopées solidement attachées aux racines premières de l’Islam. Dans le cœur du Fouta, dans un village retiré presque caché par les épines des caïlcédrats, s’immobilisait « Saré Lamou. Un faubourg au passé glorieux, au présent riche de poésie et d’épopées. Un présent vivant encore dans les contes, dans les légendes, dans les veillées sénégalaises.
La nuit venait de tomber douce et sensuelle, elle venait s’assoupir lentement dans la somnolence des « djimbé ». Le village dormait sous la protection de la lune, hermétique et imaginaire, elle dormait d’un profond sommeil troublé parfois par les cris des hiboux, la magnanimité des bêtes dans leurs courses errantes.
Au milieu du village s’imposait, majestueusement colorée, la demeure de Demba Bakar.
Demba Bakar, un toucouleur bon teint, d’une quarantaine d’années, une beauté masculine, un corps qui résistait encore aux exigences de la terre. Sans exagération, une beauté portant encore quelques cicatrices : séquelles des durs labeurs.
Demba Bakar était « Torodo » de père et de mère ; issu d’une très grande famille, il jouissait du respect de toutes les contrées voisines. Sa renommée était grande, ses richesses ne se mesuraient plus en bœufs ni en vaches, encore moins en or. Sa démarche était majestueuse et ses phrases toujours lancées avec éloquence, sans nuance.
Les « Diawandous » fidèles serviteurs de son illustre passé le surnommaient « Bakar Mayata » : Bakar l’immortel. Une réflexion, puérile certes, mais sereine, dans la pensée de ceux qui adoraient religieusement Bakar. Il avait tous les attributs ‘d’un être supérieur. Il était riche. Il était très beau et sa noblesse ne faisait l’ombre d’aucun doute
Des plaintes sortirent de la maison de Bakar, une mai- son qui, par sa position géographique et stratégique portait au temps de son père le nom de « Lewrou Saré », grâce à sa construction au cœur du village et sa beauté dans le style architectural qui justifiait cette flatteuse appellation dont Bakar et sa famille étaient si fiers.
Les plaintes s’accentuaient dans « Lewrou Saré », jusqu’à ce que l’on vit Demba Bakar sortir de sa maison, le corps à demi couvert brillait sous la clarté des étoiles minuscules. Son attitude alerte et inquiète et les appels qu’il lançait provoquaient une ceinture de curieux autour de lui.
Tous les regards interrogatifs se posèrent sur son visage devenu d’un coup serein : attitude des seigneurs dans les moments difficiles. D’un ton presque calme il s’adressa à la petite foule : Appelez-moi la vieille Miriam. Dites-lui de venir rapidement car Bodiel ma seconde femme a des douleurs, c’est peut être le moment de la délivrance. Faites vite !
Bakar baissa la tête en signe de réflexion, il entendit encore les gémissements de Bodiel. Les perles de sueurs coulèrent et ruisselèrent sur ses joues plus abondantes ; elles coulèrent jusqu’à assombrir sa vue devenue terne à cause de cette émotion, nouvelle chez lui et quasiment inimaginable. C’était une épreuve dans la peau du noble descendant de noble.