LE BONHEUR DE LA REINE DE SARÉ LAMOU
« RAKI », LIVRE D’ALIOUNE BADARA BèYE, PRéSIDENT DE L’ASSOCIATION DES ECRIVAINS DU SéNéGAL

A partir de cette présente édition, « Le Soleil » publie, dans ses « Feuilles d’Hivernage », le récit d’Alioune Badara Bèye, « Raki, fille lumière ». Ce texte a été publié aux Editions Maguilen. Voilà ce qu’en dit l’auteur, avec un accent très poétique : « RAKI était la seule rose à éclore au matin d’hivernage, comme au soleil du couchant.
Bakar baissa la tête en signe de réflexion, il entendit encore les gémissements de Bodiel. Les perles de sueurs coulèrent et ruisselèrent sur ses joues plus abondantes ; elles coulèrent jusqu’à assombrir sa vue devenue terne à cause de cette émotion, nouvelle chez lui et quasiment inimaginable. C’était une épreuve dans la peau du noble descendant de noble.
Quand Bakar redressa sa tête, la vieille Miriam était déjà dans la chambre de Bodiel. La porte se referma derrière elle. A l’intérieur de la chambre s’échappait la fumée de l’encens embaumant.
Il s’agenouilla le buste face à l’ouest, il leva les deux bras aux cieux et implora : Baba, toi qui reposes ici dans la tiédeur des nuits d’Afrique, toi qui alimentes encore le verbe des gaolos dans ses incantations nostalgiques, ne suis- je pas le sang de ton sang? le sang transmetteur des puissances légendaires ? le sang emblème de la lignée des torodos ?
- Baba, si c’est vrai que je suis le sang de ton sang ; que ton sang à travers les fibres de mon sang alimente le souffle de mon premier descendant.
Devant la tombe de son père et le bruit assourdissant Bakar découvrit ses dents blanches dans un rire presque strident. Le ciel ne venait t-il pas de répondre à son appel ?
Lui Bakar demba descendant direct de Lebo Mikaïlou l’un des plus prestigieux fils du pays. Pouvait--il ne pas oublier les caresses et l’affection que nourrissait sa défunte mère disparue dans les feux d’un incendie alors un jour son unique fils Bakar Demba à la tête du Fouta et faire de lui ce que fut son père, un illustre « Torodo » de la pointe des pieds jusqu’à la cime des cheveux.
Cette mort brutale gravée dans l’esprit de Bakar avait fini de forger son tempérament. Il méprisait la souffrance, ce que certains considéraient comme une forme de défi et de mépris. Sa mère souffrit atrocement avant de disparaître de sa vie. C’était assez suffisant pour lui pour détester les larmes des autres.
C’était suffisant aussi pour lui pour adorer sa maman à travers pensées et images. Il respectait en elle un culte qui grandissait à travers les âges. Sa mère avait aussi hérité de ce courage des « Torodos ».
Une nouvelle fierté s’empara de son corps, il se redressa les yeux fixés maintenant aux cieux poursuivant l’étoile fuyante. il se demandait maintenant pourquoi les Dieux de l’amour ont attendu si longtemps pour le mettre à épreuve ?
N’avait-il pas quarante ans, deux femmes et presque vingt ans de mariage ? Seule l’absence d’un héritier pourrait être un point noir dans son existence. Au fil des temps sa personnalité en souffrirait peut-être, et il perdrait peu à peu de son autorité, de son prestige et de sa fierté. C’était un vendredi devant une foule compacte ; Bakar affronta sa nouvelle destinée.
Comme freiné par cette vision il marqua le pas et vit la vieille Miriam tenant entre ses bras un amas de couvertures découvrant la tête d’une petite âme qui vient de voir le jour dans une nuit de septembre !
Il l’arracha presque des mains de la vieille et demanda : (garçon ou fille)?
- Fille, répondit timidement la vieille Miriam qui ajouta aussitôt :
Bakar, Allah vient d’exaucer tes prières, ta lignée est désormais tracée, d’autres enfants suivront, ton foyer s’agrandira d’année en année et le flambeau des Bâ s’implantera à nouveau, dominateur et éternel dans tout le Fouta. Presque ému, Bakar souleva l’enfant au-dessus de sa tête, au terme des acclamations, il déclara solennellement :
- Allah le Tout Puissant, Allah le Compatissant, mon rêve est là entre mes bras, il est devenu réalité, ce n’est pas un garçon mais c’est mon sang. Il servira et adoucira mes peines dans les moments de troubles. Peut être un jour le Tout Puissant m’offrira un héritier, guidant les enfants de son âge dans les sentiers battus.
Tu m’as tout offert dans ma vie : la noblesse, la richesse, le bonheur. Enfin cette fille qui s’appellera Oulèye Dona. Et la foule de conclure presque en une seule phrase « In Chaallah » tes vœux seront exaucés.