LE BONHEUR DE DADO
ROMAN D’ALIOUNE BADARA BÈYE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES ECRIVAINS DU SÉNÉGAL
La vie reprenait son allure quotidienne à Saré Lamou la défaite de Bodiel n’est pas entièrement consommée mais la victoire de Dado était maintenant presque certaine. Elle était redevenue ce qu’elle ne devrait jamais cesser d’être : l’astre au zénith brillant au firmament des cieux nus.
Les années passèrent rapidement. Les deux filles grandissaient ensemble, leur différence d’âge ne se faisait plus sentir car Raki était précoce et surtout radieuse. Sa beauté était chaste et pure.
A quinze ans sa grâce était sans égale. De Saré Lamou à Ronkh de Pathé Badio à Ndiawar elle était devenue l’astre rare destiné à fleurir le « Bépar Gorom ». Elle était d’une beauté presque insolente
Les princes du Fouta, les Braks du Oualo, jusqu’au « Teigne » du Baol. Les messages des cours ne cessaient de van- ter les futures promesses de cette étoile.
Les germes de beauté ne trompent guère, elles surgissent des ongles des pieds au creux des oreilles, elles façonnent le verbe chatoyant, capable d’endormir le lion en furie.
Raki n’était pas de la race des roses d’un soleil, elle portait sur ses épaules le poids de tout un peuple, la largesse infinie des fantômes divins. Dado était peinée d’avoir une si belle fille, elle reflète l’image d’un pur-sang à l’allure seigneuriale. Elle rappelait les divinités de la Grèce antique, l’Egypte sous le règne de Toutankhammon. Elle rappelait Salammbô dans le temple de Tanit ou dans les jardins de Megara.
Raki était un alliage d’étain et de cuivre, d’or et d’argent. Raki détenait dans son corps la peau chaire des Ethiopiennes, la grandeur des Signares, l’éloquence des princesses du Cayor, la beauté des Peulhs du Massina. Elle était vraiment belle, de ces beautés qui naissent une fois par siècle.
Oulèye Dona avait dix sept ans main- tenant. De deux ans l’aînée de Raki, mais son effacement était total. Son visage était tacheté : séquelle d’une maladie enfantine qui ne cessait de se manifester au fil des années.
Elle n’attirait l’attention de personne, sa laideur était devenue un fait sans équivoque. Elle était ronde et sans grâce, les points noirs sur son visage rendaient sa vue presque sombre. Seuls quelques vieux « torrodos » dépassant presque la cinquantaine faisaient attention à elle.
Elle ne pouvait prétendre aux jeunes Princes du Fouta, encore moins aux « Braks » du Oualo terre de Raki était une pleine lune dans son onde cristalline, Oulèye un éclair fugitif dans un ciel de septembre.
La beauté de Raki avait atteint les frontières du pays. Elle faisait peur au vieux Bakar qui commençait à sentir les poids des années d’épreuves. Il s’inquiéta beaucoup de l’avenir de ce bijou qui éclairait tout le Fouta. Ce bijou dont il était fier d’être l’artisan.
Sous l’ombre de l’arbre à palabres il méditait le rêve de l’enfant sous le sein de sa mère. Il méditait le retour de l’oiseau égaré dans le crépuscule d’un soir,
il méditait le sort de la rose d’un jour ensoleillé. Le sommeil gagnait son corps chaque fois qu’il était bercé par les feuillages de cet arbre dépositaire des confidences anciennes.
Il se réveillait chaque fois, qu’il était envahi par l’amertume d’un certain jour qui viendrait prochainement frapper à sa porte, il se réveillait chaque fois qu’il pensait aux amours juvéniles, aux jeux des enfants insouciants, pêchant les carpes dans le reste des eaux hivernales.
Une vague de satisfaction l’envahissait chaque fois qu’il apercevait de son village les femmes dans les champs de maïs, les calebasses pleines, les fagots de paille sur le dos des ânes.
Il souriait presque chaque fois qu’il voyait les paysans du delta débarrasser l’arachide nourricière de ses panes. Il était rassuré par les richesses de son terroir.
Le Fouta ne sentira jamais la faim encore moins la misère. Il tombait dans la mélancolie chaque fois que la providence de la pluie se faisait rare. La crainte des sécheresses futures, l’oubli de la terre des aïeux, semaient parfois la hantise dans l’esprit du vieux Bakar. beauté, royaume des éclatantes victoires dans les champs de bataille.
Ce complexe abrita son corps et gêna sérieusement sa mère qui ne pouvait encore accepter ce coup du sort.
Pourquoi sa fille était laide ?
Elle méditait pendant plusieurs années, l’enfance difficile de Oulèye, elle était respectée parce qu’elle était noble, mais n’était pas choyée, elle n’était pas aussi convoitée comme la fille de Dado qui était devenue la seule langue des ambitions nouvelles. Le contraste était trop grand entre Raki et Oulèye.
Raki représentait l’océan aux vagues inépuisables. Oulèye un marigot asséché, refuge de quelques restes hivernales.