CE QUE JE PENSE DU CORED
EXCLUSIF SENEPLUS : MADIAMBAL DIAGNE, ADMINISTRATEUR DU GROUPE AVENIR COMMUNICATION
La remise en scelle du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie (CORED) est une excellente chose, selon le président du groupe Avenir communication. Cependant, Madiambal Diagne estime que cette instance d’autorégulation des médias aurait plus gagné en légitimité si elle avait été consacrée par une loi de la République.
Le CORED vient d’être remis en scelle depuis le mois de mars dernier. Le tribunal des pairs, l’une de ses principales instances, a été installé cette semaine. Une bonne nouvelle pour les professionnels des médias ?
Absolument. Je pense que c’est une excellente nouvelle que le secteur de médias prenne en charge les questions de régulation et d’autorégulation. Nous pensons qu’il y a eu une tendance, ces dernières années, à une judiciarisation de l’activité des médias. De nombreux contentieux qui n’en valaient pas la peine se trouvaient devant les tribunaux. Je pense que ça a cristallisé les passions, induit des contraintes inutiles aux journalistes, aux rédactions et aux entreprises de presse. Aussi, ça donnait l’impression d’une société dans laquelle la libre expression n’est pas acceptée. Donc le fait d’instituer ces organes d’autorégulation me semble une bonne chose dans la mesure où, ça pourra pallier une situation de tension, de conflit entre les consommateurs, la société et les acteurs de médias. Donc il faut se féliciter de cela et souhaiter que ces organes-là aient l’autorité et la légitimité nécessaires pour pouvoir officier de façon efficace dans le secteur des médias qui a besoin- il faut le dire- d’une nouvelle réorganisation, mais aussi d’une remise en question. Nous avons observé de nombreuses dérives dans le secteur des médias, nombre d’entre nous l’ont déploré, nombre d’entre nous l’ont regretté. Avec le CORED nous sommes placés devant nos responsabilités, c’est-à-dire que nous autres membres de la profession des médias nous nous interpellons nous-mêmes. Nous sommes mis devant nos responsabilités pour qu’on puisse vraiment, - je ne dis pas faire la police dans nos rangs-, mais au moins, faire en sorte de renforcer la crédibilité des organes de presse et des hommes et des femmes qui travaillent dans le secteur des médias, mais aussi essayer de polir les relations entre les professionnels des médias et le reste de la société.
Dans le nouveau Code de la presse, il était justement prévu une instance d’autorégulation. Mais le CORED a été installé avant même l’adoption de ce nouveau code par les parlementaires. N’avez-vous pas l’impression que la charrue a été placée avant les bœufs ?
Je dois dire que l’approche est pertinente. Je considère que c’est une très bonne chose que le CORED installe le tribunal des pairs. Toutefois, j’aurais préféré que ce fût dans le cadre de l’adoption du nouveau code de la presse pour une bonne et simple raison que le CORED est l’un des instruments préconisés dans le nouveau code de la presse pour organiser le secteur des médias. Mais de là à extirper un instrument parmi tant d’autres pour l’installer, ce n’est pas une mauvaise chose en soi ; il faut toujours commencer par quelque chose. Mais je pense qu’il serait de l’intérêt du CORED, il serait de l’intérêt de l’autorégulation que le tribunal des pairs fût adopté dans le cadre du vote du nouveau code la presse. Ce serait alors une loi de la République qui allait institutionnaliser une telle structure.
Qu’est-ce que cela changerait concrètement?
Ça lui (le CORED : Ndlr ) donnerait plus d’autorité, plus de légitimité. Je crois que ça renforcerait plus sa crédibilité. Aujourd’hui, le CORED est une institution consensuelle du secteur des médias, consensuelle aussi avec les pouvoirs publics puisque le Conseil a obtenu la caution morale des pouvoirs publics. Ce n’est pas rien que le président de la République en personne ait présidé l’installation du tribunal de pairs, par exemple. Je pense que c’est une caution politique très importante. Mais encore une fois, je regrette que ce ne soit pas une loi qui l’ait institutionnalisé. Ce n’est pas trop tard, l’institution existe. On peut parfaire cela en faisant passer un texte de loi à l’Assemblée nationale qui pourra, avec le code de la presse, ou une loi spéciale, consacrer le CORED. Je pense que c’est une approche pertinente.
N’existe-t-il pas un risque de conflit d’intérêts à partir du moment où certains membres du CORED et du tribunal des pairs exercent le métier de journalisme ?
Je pense que quand on assure une responsabilité, que ce soit dans le tribunal des pairs ou dans toute autre institution arbitrale, il faut savoir transcender sa posture personnelle et l’objet pour lequel on a été dans cette structure. Quand on est là pour trancher les conflits, il faudra travailler dans le sens de se garantir sa neutralité, son indépendance, s’élever au-delà de certaines contingences particulières. Et j’ose espérer et je pense très sincèrement que les personnes qui ont été choisies pour siéger dans le tribunal des pairs devront pouvoir officier sans qu’on ait à craindre un conflit d’intérêts ou un parti pris quelconque.
Les profils des juges des pairs vous conviennent donc ?
J’ai une présomption très favorable sur les profils des personnes qui ont été choisies pour diriger l’instance. Et je les exhorte à mériter cette confiance-là, mais surtout à confirmer et à conforter l’aura que chacun d’entre eux a eu à dégager du point de vue sa carrière professionnelle, du point de vue de son comportement sociale. Je pense que l’enjeu, c’est ça.
Croyez-vous qu’il soit réaliste de prôner le respect des normes d’éthique et de déontologie de la pratique journalistique dans un contexte où la plupart des acteurs vivent dans la précarité ?
Il y a une organisation internationale qui s’occupe de la protection des journalistes et la promotion de la liberté d’expression qui dit qu’il n’y peut pas y avoir la liberté d’expression, d’indépendance de la presse dans un environnement de pauvreté. Quand le journaliste ne peut pas toucher son salaire, quand le journaliste est dans des conditions sociales très précaires, je crois que ça, c’est l’évidence même. Il faudrait donc encourager l’entreprise de presse à être forte, à avoir des capacités de pouvoir assurer une prise en charge sociale des professionnels des médias. Encore une fois, on va revenir au code de la presse. Je ne dis pas que le code de la presse est la solution. Mais au moins dans le code de la presse, qui a été un code consensuel, il a été préconisé des mécanismes qui pourraient renforcer le secteur des médias. Je pense qu’on doit mettre en œuvre cela. Il faudra aussi qu’il y ait une remise en cause des professionnels des médias au sein de l’entreprise de presse Je pense que parfois il y a un problème de viabilité qui se pose au niveau du secteur des médias. Cette situation de précarité grandissante menace l’existence même de la profession dans notre pays mais aussi, crée les conditions qui feront que de moins en moins les journalistes seront crédibles, professionnels, se conformeront aux principes d’éthique et de déontologie. Je pense que c’est une situation à laquelle il faut trouver une solution.
La loi du 25 janvier 2008 relatifs aux droits d’auteurs et aux droits voisins concerne également les journalistes en tant que créateurs d’œuvre de l’esprit. Mais malgré la violation flagrante de leurs droits d’auteurs, via notamment l’Internet, on dirait que les journalistes ne s’en préoccupent guère. Que pensez-vous de cette situation ?
Vous avez raison de poser le problème en ces termes-là. Je crois qu’il y a une culture qui jette dans le domaine public toute création intellectuelle, toute création artistique. Chacun se croit autoriser de prendre les idées de quelqu’un, prendre les écrits de quelqu’un à son profit, à son compte personnel sans même citer la personne ou bien sans avoir l’autorisation de la personne ou encore sans rétribuer le travail produit de cette personne. On assiste à des situations de plagiat dans le secteur des médias, des situations difficilement qualifiables, des comportements aux antipodes des règles professionnelles. Il y a une loi qui organise ce secteur. Mais une loi peut être dans le domaine public, si sa mise en application n’est pas effective, ça va poser problème. Il appartient aussi aux autorités de l’Etat de veiller à ce que cette loi soit appliquée, mais aussi il appartient aux personnes dont les droits d’auteurs sont violés d’intenter des procédures judicaires parce que la justice ne peut statuer que si elle est saisie. Si maintenant les gens laissent faire pour une raison ou pour une autre, jamais ces contentieux ne seront vidées, jamais une jurisprudence ne sera créée, jamais la loi ne sera appliquée parce que chacun continuera à faire comme bon lui semble. Il peut même sembler curieux pour certains qu’un auteur ou un créateur se lève et dise : ‘’Ecoutez, ça c’est ma création, ça c’est ma production, vous n’avez pas le droit de l’utiliser’’. Il est arrivé par exemple que dans les secteurs des médias, les organes de presse s’insurgent contre l’utilisation abusive de leur production sans autorisation ou bien des productions qui ont été tronquées ou qui ont été à la limite plagiées, on a reproché aux propriétaires de ces œuvres-là de revendiquer ou de dénoncer l’utilisation qu’on en a faite. Voyez bien la curiosité de cette situation.