LE BONHEUR DE DADO
ROMAN D’ALIOUNE BADARA BèYE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES ECRIVAINS DU SÉNÉGAL

Cet après-midi après la prière de vendredi, Bakar encore drapé d’un grand boubou enrichi d’un turban d’une blancheur éclatante, reçut dans ses bras sa fille Raki accourue à sa rencontre. Il était magnifique le vieux Bakar, il rappelait les Almamys conquérants des peuples païens.
- Que tu es belle ma fille ! S’exclama- t-il.
Comme un enfant Raki répondit : -Oui, je sais«baba», mais tu es plus beau que moi. Cela faisait sourire le vieux Bakar.
Sa fille ne s’était-elle vue dans la surface des eaux miroitantes ? Il continua à la serrer dans ses bras quand Raki souleva sa tête de la poitrine et fixa du regard son père.
Il comprit qu’elle voulait quelque chose et comme toujours il était prêt à la satisfaire. Elle l’entraîna dans la chambre, Dado dormait encore, il demanda à sa fille :
- Qu’es-ce qui ne va pas ?
- Paix seulement Baba, mais depuis cinq ans je n’ai pas vu Grand-mère et je voulais lui rendre visite. Elle a besoin de moi, elle espérait et rêvait de me voir grandir sous son toit, un rêve qu’elle n’a pas pu réaliser. Permet-moi de rester quelques jours avec elle. Tu sais, elle est très vieille maintenant et je sais que ma seule présence l’aiderait à reprendre goût à la vie.
- Je sais Raki mais tu vas me manquer terriblement, tu sais Thillé Boubacar est loin d’ici il te faudra beaucoup de temps pour rejoindre Thillé. Tu auras à traverser toute cette savane environnante, c’est très dangereux en cette époque où la chasse est devenue impossible avec les fauves !
- Je sais Baba, mais je ferai attention. Dans quinze jours, je serai à Saré Lamou saine et sauve. Ne me refuse pas d’aller voir grand-mère Baba !
Baba était vaincu, il souleva le menton de sa fille et ajouta : Soit fit-il ! Tu partiras demain, je vais te préparer une escorte digne de toi. Une escorte digne de tes illustres appartenances, de tes illustres ascendances.
Raki venait de gagner une nouvelle bataille. Remerciant vivement son père, elle regagna sa chambre. Elle trouva une joie immense et mettant autour de son cou l’amulette sacrée, qu’elle avait reçue à l’occasion de son baptême. Au premier chant du coq, elle était déjà debout, sa prière terminée, car elle était très pieuse, elle alla retrouver sa maman.
Bonjour Maman. Dado était envahie par la joie débordante de sa fille :
Ma fille tu es si pressée de nous quitter ? Raki confuse : c’est pour quelques jours maman !
Je sais ma fille ! C’est bien que tu penses encore à ta grand-mère. Un bon enfant doit s’occuper toujours de ses parents, mais tu seras certainement fatiguée à ton retour. Va maintenant continuer ta préparation.
Elle sortit presque en courant et se trouva nez à nez avec son père presque gêné, elle s’agenouilla :
- Bonjour Baba. Bakar tenait encore son chapelet entre ses doigts tremblants. Les perles se suivaient dans un rythme calculé. Quand la première perle reprit sa place initiale il serra fortement son chapelet entre ses deux mains et le posa sur son front en prononçant quelques phrases coraniques. Solennellement Bakar s’adressa à sa fille : Raki tu es déjà prête ?
- Pas encore Baba, j’y suis
- Cours vite ma fille. Il faudra te lever avec les rayons du soleil, cela t’évitera d’affronter tôt la chaleur !
Raki quitta son père dans un sourire enchanteur.
Les arbres amortissaient déjà les premiers rayons du jour. Le convoi de Raki était prêt. Une escorte digne d’une reine.
Des bœufs comme cadeaux ! Une dizaine de chevaux, deux courtisans pour ses prestations ! Un groupe de fidèles tenait à faire partie du voyage.
La sage Awa pour sa santé. Les « Gaolos », détenteurs des richesses culturelles, une voyante de la cour des « Lamtoro », quelques servantes pour les besoins quotidiens, tout ce beau monde était au service de la princesse de Saré Lamou.
La sécurité composée d’une vingtaine de soldats était aussi fortement représentée. Raki avait tous les honneurs d’une reine.
Les adieux durèrent quelques instants et le convoi s’ébranla porteur de richesses, d’espoirs et de rêves.
Les villages succédaient aux villages, le vol plané de l’aigle veillait sans cesse sur la marche des nuages. Raki au milieu du convoi avait à sa droite la fidèle Awa, à sa gauche une servante de son âge qui ne cessait de lui masser les pieds. De temps en temps, elle fermait les yeux, rêveuse.
L’avant et l’arrière du convoi étaient tenus par les « Mathioubés » défiant les rayons du soleil. Le beuglement des vaches déjà vaincues par la chaleur se mêlait aux hennissements des chevaux.
A chaque halte l’eau dans les peaux tannées garda sa fraîcheur. Raki était toujours la première servie suivie d’Awa puis des autres femmes après quoi la sécurité prenait sa part. On n’oubliait pas non plus les bœufs et les chevaux qui à chaque halte profitaient de l’ombre profilée des filaos.
Le voyage dura toute la journée, le crépuscule s’effaçait devant Tillé Boubacar. Raki toute excitée sortit de sa tente. Elle secoua respectueusement Awa que le sommeil commençait à gagner !
- Mame Awa, nous sommes arrivés ! La vieille Awa de dire : - Dieu merci : cela ne pouvait se passer autrement, mais avant que tes Pieds touchent le sol de Thillé, arrose ton visage de ce fluide extrait des mamelles d’une « Maye Maydo » dans l’agonie d’une tempête.
De cette mixture tu en prendras trois gorgées en commençant par « Bissimilahi » en terminant par « Alham doulilahi ». Cette pièce d’argent, tu la jetteras avant de descendre et prends bien soin de la jeter le plus loin possible. « Inchallah », tu retourneras saine et sauve à Saré Lamou.
- Je ne sais comment vous remercier Mame Awa, vous faites beaucoup pour moi avança Raki.
Ceci est mon devoir Raki. Je suis la première personne à t’avoir touchée, La première à entendre ces cris de vainqueur. J’avais prévu que tu seras un jour l’étoile du Fouta, même encore fraîche. Dans les bras de ta mère tu avais une façon particulière de pleurer.
Tu étais déjà prédite à porter le flambeau, d’un peuple, l’étendard de la gloire. Je dois beaucoup te surveiller Raki, tu n’es pas une simple jeune fille, tu as la beauté d’une déesse, la chasteté d’une lune, la pureté de l’eau bénite des lieux saints. Raki était troublée mais le convoi s’ébranla encore dans un sursaut et s’arrêta.