ROMPRE AVEC NOTRE CULTURE FÊTARDE
Lors du séminaire de Benno bokk yaakaar où le président Macky Sall faisait le point sur les réalisations à mi-chemin de son magistère et l’état de sa coalition, il en a profité pour flétrir l’oisiveté et la flemmardise qui caractérisent les Sénégalais en ces termes : «Le drame c’est que l’on ne travaille pas assez. Tout le monde exige tout de l’Etat, tout le monde veut consommer et attend tout de l’Etat, mais il faut d’abord que tout le monde se mette au travail et produise les ressources. Et le PSE, c’est justement les réformes qu’il faut engager. Nulle part dans le monde, on ne verra un développement fondé sur des rêves. Il y a des gens qui travaillent beaucoup. Nous devons engager ce combat essentiel pour le changement de mentalité dans ce pays.»
Et le chef de l’État d’enfoncer le clou : «La vérité c’est que nous sommes des… je ne dirais pas des épicuriens en général- je ne voudrais pas utiliser un terme qui pourrait être mal interprété demain, parce que nos amis de la presse sont là et je vois déjà les titres de demain. Disons, nous voulons beaucoup d’abondance, alors que nous n'y mettons pas autant d’efforts pour créer cette richesse… Nous consommons très mal aussi ce que nous produisons parce que nous passons tout notre temps à faire la fête. Si vous voyez la structure de la dépense (des Sénégalais) du 1er janvier au 31 décembre, vous voyez que tout ce qui a été produit, c’est pour fêter : fêtes sociales, fêtes religieuses, fêtes de je ne sais quoi… Ce travail-là il faut que tout le monde s’y mette, surtout les religieux.»
Ce discours rappelle celui de Mahammad Dionne qui, fraichement nommé Premier ministre, invitait triplement les Sénégalais au travail. Mais le préalable pour répondre favorablement à une telle invite est d’abord d’avoir du travail. Et depuis le 25 mars 2012, les Sénégalais attendent la matérialisation des 500 mille emplois (réduits à 300 mille) promis par le candidat Macky Sall. Depuis cette date, le président semble ramer à contre-courant de son engagement électoral.
En sus, pour exhorter les Sénégalais, il faut créer les conditions qui font qu’ils ne soient pas des adeptes des orgies et bacchanales. Abdoulaye Wade avait fait sien ce slogan : «il faut travailler, encore travailler, toujours travailler», mais dans les faits, il n’a jamais exhorté les Sénégalais à croire au fruit de leur sueur. En tant que guichet automatique, il distribuait à la pelle l’argent de «ses» fonds politiques au point que beaucoup de Sénégalais partisans du moindre effort, subitement enrichis, ont fini par croire que dans ce pays, «khalis kène douko liguèy, dagne koy lidianti» («l’argent ne s’acquiert pas grâce au travail mais par des voies peu orthodoxes»).
Oui, les Sénégalais aiment les fêtes parce qu’ils ont une culture du gaspillage des ressources gagnées et épargnées. Toutes nos fêtes sont caractérisées par leur côté bachique ou jouissif. Nous dépensons beaucoup en nourriture, boisson, vêtement pour chaque fête sans se soucier des priorités familiales.
Dans notre pays, la fête n’a de sens que lorsqu’on mange à satiété, on boit à suffisance et on danse avec folie. Et pour ce qui concerne les fêtes religieuses, l’aspect sacré est relégué au second plan ; finalement les pratiques païennes prennent le dessus.
Déjà avant l’accession de Macky Sall au pouvoir, le patronat se plaignait du nombre important des jours fériés au Sénégal : quatorze dates (trois civiles, cinq musulmanes et six chrétiennes) chômées et payées. Et pourtant c’est le chef de l’Etat, qui se plaint de ces nombreuses fêtes, qui a fait voter la loi rendant chômé et payé le jour du Magal de Touba.
Maintenant la chose est simple, il faut faire comme l’Allemagne où sur les 16 fêtes qu’elle compte, seules six sont légalement reconnues. Qu’est-ce qui empêcherait le président de la République de baisser drastiquement les jours de fêtes musulmanes et chrétiennes chômés et payés à travers des lois votées à l’Assemblée ? S’il n’a aucune préoccupation électoraliste, il pourrait réussir un tel projet. Maintenir chez les musulmans, les fêtes des Aïd (Fitr et Kébir) et chez les chrétiens Noël et Pâques. Mais cela demande un courage fort et non de la démagogie. En France, malgré la laïcité, aucune fête musulmane n’est fériée.
Pour se départir de notre culture fêtarde, seule une volonté politique hardie sans crainte ni influence des chapelles confrériques ou religieuses peut réduire cette flopée des fêtes qui plombent en grande partie la productivité des entreprises et de l’administration. C’est devenu une exigence citoyenne.