Dans l’antre des Indophiles du Sénégal
La culture et la civilisation de l’Inde sont bien ancrées au Sénégal, où des compatriotes s’organisent en communautés pour danser et s’amuser en imitant les grands acteurs Indous. Amadou Badiane et Baïdy Dia sont les précurseurs de l’implantation de cette culture et de cette civilisation dans notre pays. Au sein de ces associations, certains s’habillent comme au pays de Mahatma Gandhi, vouant en outre une considération sans limite à la fleur, qui demeure un trait d’union et une attraction constante entre les hommes et les femmes.
Nous sommes en 1970. Baïdy Dia, aujourd’hui cinéaste en France et Amadou Badiane, animaient une émission dénommée « échos d’orient » sur les ondes de l’Orts, la radio nationale devenue RTS. Les deux compères, à travers la magie des ondes, ont grandement contribué à l’expansion de la musique orientale dans notre pays, à travers la diffusion de sons et d’informations. M. Badiane, l’assistant de M. Dia, met en place les « Amis de l’Inde », la première troupe sénégalaise au sein de laquelle des hommes et des femmes peuvent vivre leur passion pour cette culture. Plus tard, Dia quitta le studio, ce qui propulsa Badiane au-devant de la scène musicale. Il introduisit dans la grille des programmes deux nouvelles émissions : « Musique et culture de l’Inde » sur la chaîne nationale et « l’Inde, le pays aux mille visages » sur la chaîne inter. Ces émissions d’Amadou Badiane connurent à l’époque un succès retentissant, au point que dans plusieurs contrées, des fans commencèrent à s’intéresser de plus en plus à cette culture orientale. Et c’est le moment choisi par M. Badiane pour remplacer sa troupe par le « Rafi Club » qui, en 1975, s’est transformé en « Rajasthan Club », un véritable orchestre afro-indien qui finit par se produire un peu partout dans la sous région. A cette époque, la musique indienne était à la mode, allant de pair avec les films indous et leurs magnifiques play-backs qui faisaient danser beaucoup de jeunes branchés.
Similitudes entre les cultures sénégalaise et indienne
Amadou Khalil Rassoul Badiane est plus connu sous le sobriquet de Amadou Badiane. Il fait partie des rares sénégalais qui ont eu la chance de vivre leur passion en orient, pour avoir bénéficié d’une bourse qui lui a été offerte entre 1975 et 1978, par le Premier Ministre de l’époque, M. Abdou Diouf, pour étudier la musique classique, l’anglais, le Batik, les langues dravidiennes et le « Ralindra Sangeet », (les chansons dédiées au grand poète Tagore). En 1985, Badiane a obtenu une invitation du gouvernement indien pour visiter les grandes régions de l’Inde, les principaux studios et le « Taj Mahal » (le symbolique tombeau et hymne à l’amour) qui fut construit par l’empereur « Shahjahan » à la mémoire de sa femme décédée. Le mausolée est en marbre aves des écritures en or au nom de l’impératrice « Muntaz », a révélé M. Badiane, selon qui ce tombeau fait partie des sept merveilles du monde.
Quant aux similitudes entre nos deux cultures, M. Amadou Badiane a répertorié le fait que les sonorités indiennes sont dansantes comme les nôtres. Au plan vestimentaire, le voile porté par les sénégalaises (meulfa), est l’équivalent du « chari » ou « sari » indien et comme ici, les femmes indiennes portent des anneaux aux pieds, de gros bracelets. Ce sont les « payal ». Au niveau linguistique, la clé se dit « tiabi », la jambe est appelée « tank », le matin « souba » en ouolof se dit « soubé » en hindi, a précisé Badiane, qui a ajouté à ces similitudes la sensibilité et le sentimentalisme, la façon de célébrer nos mariages, les morceaux d’étoffe que nous attachons à la taille et autour de la tête, « dupat » chez les indous.
« C’est moi qui ai initié et proposé à l’Unesco le Prix Mahatma Gandhi »
Ces propos sont de Badiane l’homme de Bombay, de Calcutta et de New-Dehli, capitale de l’Inde. Selon lui, c’est en 1985 qu’il a envoyé une proposition écrite à l’Unesco, dans laquelle il a insisté sur la nécessité d’instituer un prix pour la recherche de la paix et c’est en 1995 que l’Unesco a mis en place le prix, 10 ans après sa proposition. L’homme nourrit une passion infinie pour l’Inde et maîtrise tellement son sujet qu’il parle de l’Orient comme s’il s’agissait de son propre pays. Le moins que l’on puisse dire, en tout état de cause, est que Amadou Badiane reste très attaché à la culture indienne.
Nous l’avons rencontré dans un quartier sis à Pikine, au moment où il recevait une fillette d’une dizaine d’années venue de Mermoz avec le chauffeur de la famille pour se faire soigner son asthme. Après lui avoir interdit un certain nombre d’aliments, Badiane a remis une bouteille qu’il a concoctée lui-même, avant de donner un rendez-vous, non sans s’être engagé à soigner la fillette qui se plaint du tort fait régulièrement à ses camarades avec ses malaises fréquents et répétés en classe. Il a par ailleurs indiqué avoir soigné, avec l’aide de Dieu et grâce à la médecine traditionnelle indoue, plus de 700 personnes. Il s’est également dit capable de guérir les hémorroïdes. C’est le Professeur Jaspail Singh venu de l’Inde qui lui a donné la recette, raconte M. Badiane.
Parlant du succès qui a couronné la visite effectuée au Sénégal par Vaidehi, l’actrice indienne, il y a quelques années, M. Badiane a souligné qu’il est essentiellement dû au fait que les Sénégalais aiment la culture indoue, à laquelle ils s’identifient parfois. Mais, soutient-il, le fait que les films de cette dernière soient dits en français a beaucoup pesé sur la balance ; contrairement aux visites des autres troupes devancières, qui sont : « Bharthiya Lokalamandal » et « Thangtha Odissi » qui, elles, n’avaient pas connu la même réussite.
Il a conclu en fustigeant le fait que toutes les troupes sénégalaises ne bénéficient pas des subventions octroyées par l’Ambassade de l’Inde à Dakar. Celui qui fut Conseiller culturel du Président Ahmed Sékou Touré (Guinée) de 1973 à 1976, a également déploré les rivalités internes au sein des clubs, qui occasionnent même parfois des bagarres. Entraînant un manque d’unité et une dispersion des forces, qui affaiblissent les indophiles du Sénégal.
« Adam, l’ancêtre de l’humanité, est descendu sur le mont Kailash en Inde »
Amadou Badiane, le spécialiste de la culture indienne au Sénégal, a affirmé avoir chanté en duo avec Mohammed Rafi, le plus grand et le plus adulé chanteur de l’Inde de tous les temps, au stade Indoor de Calcutta. M. Rafi a eu à son actif la bagatelle de 26000 chansons avant sa mort le 31 décembre 1980, après avoir prêté sa voix à la presque totalité des grands acteurs de son pays, selon M. Badiane.
Le Monsieur qui se dit être le précurseur du film indou à la télévision, s’est épanché sur la symbolique qui entoure la fleur, une plante primordiale dans la vie en Inde, surtout la « goul », une fleur très rare, qui fait partie intégrante de la civilisation indienne. Avant de prendre congé de nous, Amadou Badiane nous a révélé qu’en Inde, il se dit que Adam, l’ancêtre de l’humanité, est descendu du paradis sur le mont kailash.
A la découverte de Khatre Dieng alias Shahrukh Khan, un danseur indou
Makhtar Dieng dit Khatre est un jeune de 35 ans qui habite au quartier Makka Colobane à Pikine, à 50 m du domicile du transporteur Lobatt Fall. Khatre est très populaire dans ce patelin où, à chaque coin de rue, on n’arrête pas de l’appeler en le saluant d’un signe de la main. Longiligne et clair de teint, le jeune a pris congé de l’école en classe de Cm2, avant de s’engager plus tard dans l’armée nationale, qu’il quittera au terme de la durée légale de 18 mois.
Bien que n’ayant jamais mis les pieds dans le pays de Gandhi, le jeune n’en demeure pas moins très attaché à la culture et à la civilisation de ce pays. Après avoir travaillé dans une société de sécurité et à la marine marchande, il découvre courant 2002, le clip d’un acteur indou du nom de Shahrukh khan qui, dans un film intitulé « Dilto Palgal Hai » (amour fou) a esquissé des pas de danse ressemblant à ceux de Mikael Jackson. Selon Dieng, son oncle Habib qui était à ses côtés, lui a lancé le défi qu’il ne saura jamais imiter une telle danse, tellement elle est compliquée. Pendant six bons mois, le jeune Khatre, soucieux de relever le défi que lui a lancé son oncle, se rend régulièrement à la plage pour s’entraîner en rivant les yeux sur le clip. Il s’attacha même les services de Pape Ngom qui évolue dans les spectacles de faux-lions et prit des cours de danse, dans l’enceinte d’une école privée mise à la disposition de certains jeunes.
Quelques mois après, Khatre Dieng releva le défi en dansant le clip mieux que l’acteur lui-même, d’où le nom d’emprunt qui lui colle désormais à la peau : Shahrukh Khan. Il sera ensuite décoré par son oncle et par une société textile de la place, qui avait pris l’habitude de l’inviter à se produire le 1er mai de chaque année, à l’occasion de la fête des travailleurs.
Unis pour le meilleur et pour le pire avec la bénédiction de Shahrukh Khan
Shahrukh Khan de New-Dehli s’adonnait au théâtre dans son école, jusqu’à ce qu’il se fit découvrir par un grand acteur du nom de Dilip Kumar dit Jay. Celui-ci le mit entre les mains du producteur Yash Tioprah, qui a façonné le jeune Shahrukh Khan ; si bien qu’à 27 ans, il sortit son premier film intitulé « Deewana » (fou d’amour) en 1992.
C’est ce grand monsieur de la culture indienne qui est l’idole de Makhtar Dieng Khatre dit Shahrukh Khan. M. Dieng a affirmé que la danse lui a beaucoup apporté, en le faisant sortir du banditisme et en le transformant en animateur au niveau des radios Oxy-jeunes, Afia et aujourd’hui à la radio Tétiane à Cambérène.
Khatre est marié à une fille du nom de Mariama Diallo, une indophile, qu’il a connue au cours d’une célébration. Le danseur, après un spectacle, a confié le poster de son idole Shahrukh Khan à une demoiselle qui était à côté de lui, le temps de raccompagner une dame handicapée venue suivre sa prestation. Entretemps, la fille a disparu avec le poster. Ne voyant ni le poster ni la fille qu’il ne connaissait pas, Khatre a beaucoup souffert, avant de retrouver la demoiselle qui avait soigneusement gardé le poster. Ils finirent par s’unir pour le meilleur et pour le pire, avec la bénédiction de Shahrukh Khan. De leur union sont nés de nombreux et mignons petits bouts de bois de Dieu.